Une lectrice nous a récemment envoyé par courrier cette question :
Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de ce genre d’analyse sur votre blog?
(je ne comprends pas pourquoi le fait de consommer des produits majoritairement importés explique la faible croissance française, après tout, les américains aussi consomment beaucoup de produits importés non?)
La réponse tient en plusieurs temps. Premièrement, il faut comprendre ce que l’argument, tenu par le journaliste et par l’individu interrogé (je ne m’étends pas… Chacun connaît mon peu de goût pour les conjoncturistes de cabinets) signifie. L’argument repose sur une identité comptable, qui est ce qu’on appelle l’équilibre emploi-ressources d’une économie. L’équilibre s’écrit de la façon suivante :
PIB + M = C + I + X + varS
Avec M importations, C consommation, I investissements, X exportations, varS variation des stocks. Il s’agit d’une identité comptable (qui repose sur le fait que tout achat est en même temps une vente) ce qui signifie qu’elle est toujours vraie. On peut la présenter aussi de la façon suivante :
PIB = C + I + varS + (X – M)
A partir de cette identité, supposons que le PIB augmente de 2%. Pour que l’identité subsiste, il faut que le total des éléments de l’autre côté de l’équation augmente globalement de 2%. Bien sûr, en pratique, ils varient dans des proportions différentes. Par exemple, on peut imaginer que la consommation augmente de 3%, l’investissement de 1%, les stocks diminuent, les exportations augmentent et les importations diminuent. Au passage, on peut constater que comme dans l’équation les importations se retrouvent affectées d’un signe négatif, cela signifie que toutes choses égales par ailleurs, PIB et importations varient en sens inverse (ce qui correspond au fait suivant : si globalement l’économie consomme autant qu’avant mais importe moins, il faut que le PIB augmente pour compenser). On appelle contributions à la croissance les variations des agrégats du côté gauche de l’équation; il s’agit d’un instrument qui permet de savoir en gros ou est allé quoi dans la croissance.
Mais ces “contributions” sont souvent mal interprétées; on tend souvent à les considérer comme les facteurs de la croissance économique, dont la hausse “tire” le PIB en augmentant la demande. C’est l’interprétation qui est faite dans l’article de libération cité : ” Pourtant cette frénésie de consommation profiterait de moins en moins à la croissance française?
Oui, parce que les biens industriels consommés viennent de plus en plus de l’étranger.”
Vous pouvez voir qu’on est exactement dans cette perspective : la consommation est décrite comme “tirant” la croissance, mais hélas pas assez parce que les importations augmentent. Cette interprétation, abusivement qualifiée de keynésienne (négligeant le fait que dans le modèle keynésien, plusieurs agrégats comme l’investissement sont déterminés a posteriori et non a priori) est pour l’essentiel fausse. Un exemple permet de l’illustrer : supposons que dans un pays, par un coup de baguette magique, la productivité double, le PIB est alors multiplié par deux. Il n’y a alors aucune raison pour que toutes les autres composantes doublent aussi : par exemple, les exportations (qui dépendent en bonne part du revenu dans les pays étrangers) peuvent rester constantes. L’investissement peut diminuer (après tout, si la productivité double, il sera moins intéressant à l’avenir d’investir). Par contre, la hausse du PIB va conduire les consommateurs à consommer plus, en particulier des produits étrangers : on devrait donc assister à une hausse importante de la consommation et des importations.
Dans cet exemple, un conjoncturiste expliquerait gravement à un journaliste de libération que la “contribution” de la consommation à la croissance du PIB est spectaculaire, mais que par contre, il y a un grave problème : les exportations n’augmentent pas, et les importations explosent (signe sans doute d’un manque de compétitivité!), et l’investissement ralentit. Notre conjoncturiste nous expliquerait donc qu’il est très mauvais pour un pays de voir sa productivité doubler… Vous voyez l’absurdité de l’argument.
Cela ne veut pas dire que l’argument est systématiquement absurde : analyser les composantes de la croissance peut apporter des indices sur la situation d’une économie nationale. Ce qui est aberrant, c’est de s’imaginer que c’est la demande intérieure qui détermine la conjoncture en “tirant” les secteurs d’activité : la réalité est beaucoup plus compliquée. Par exemple, Un pays avec une croissance plus rapide que les autres aura souvent un déficit commercial, des importations supérieures aux exportations. Dans cette perspective un déficit commercial, de fortes importations, constituent un indicateur de bonne santé économique. Un pays qui subit une hausse de prix de son pétrole importé et qui, pour pouvoir continuer de se le payer, est obligé de tailler dans les salaires pour rétablir la compétitivité de ses exportations, verra une hausse de ses exportations et une diminution de ses importations en volume : se porte-t-il bien pour autant?
En l’occurence, les conjoncturistes s’imaginent déduire d’estimations calculées sur un trimestre, et qui peuvent s’expliquer de multiples façons, de soi-disant tendances lourdes de l’économie française : ce genre de chose amuse beaucoup les journalistes, mais n’a à peu près aucun sens. Il y a des raisons de se poser des questions sur la capacité de l’économie française à croître à long terme (bientôt, un post sur le sujet). Mais ce n’est pas dans ce genre d’exercice futile “d’up and down economics” (les exportations baissent, pas bien! la consommation monte, bien!) qu’il faut chercher la moindre information utile.
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> L’investissement peut diminuer (après tout, si la productivité double, il sera moins intéressant à l’avenir d’investir).
Le monde le plus simple dans lequel je comprends cet effet concerne un progrès technique portant sur le capital installé (pas incorporé aux investissements futurs, ne portant pas sur le travail, pas sur la productvité globale des facteurs).
Dans plein de situations, une hausse de la productivité se traduit à court comme à long terme par une hausse de l’investissement.
Bien entendu, cette remarque périphérique ne change en rien les conclusions du billet.
Donc une baisse de C en fonction de varM, cette baisse ayant pour but d’augmenter I, serait ‘peut-etre’ une bonne initiative (a long terme et si M croissant continu)…?
Si l’on considère en outre que S-I=X-M, ne peut-on pas dire que ceteris paribus (Emmanuel ?), I est d’autant plus grand que M est grand ?
Et donc que le conjoncturiste de cabinet devraient, dans sa bêtise, au moins se dire que ce que l’on perd en importation, on le gagne en investissement ?
" les exportations n’augmentent pas, et les importations explosent (signe sans doute d’un manque de compétitivité!)"
Et l’euro fort alors ? Si Trichet et les idéologues libéraux de Bruxelles (tous les mêmes) n’y sont pour rien, c’est plus du jeu !
Question naïve: Si la productivité double, ne peut on envisager que les exportations, devenant plus compétitives, explosent par déplacement de la concurrence étrangère et que l’investissement augmente pour bénéficier du miracle productif français?
MD, code Pin, adam S : oui, ce sont des choses plausibles. L’idée est de montrer qu’il n’y a pas de lien causal – que ce ne sont pas les variations des composantes qui déterminent la croissance.
Pancho villa : je ne suis pas certain d’avoir compris ce que vous vouliez dire. Maintenant, augmenter I n’est pas toujours une bonne chose. Tout dépend dans quoi on investit…
taips : oui, bien évidemment.
MD: Exemple d’école : une coopérative viticole décide de devenir aggressive sur le marché du vin et investit pour faire baisser le prix de revient de son hectolitre en vrac de 23 à 18 E. : une fois les investissements réalisés et le progrès technique incorporé intégré, le chiffre d’affaires de la coopérative aura baissé, mais elle ne pourra pas pour autant augmenter sa production faute de raisin. Pour autant, le revenu de la coopérative ou des agriculteurs peut avoir augmenté d’une part, et il se peut très bien que, étant à l’état de l’art en matière de productivité, il n’y ait plus aucune raison objective d’investir.
Je suis d’accord que des éléments trimestriels ne permettent de tirer aucune conclusion et qu’il faut analyser plus finement en volume, en valeur et dans la durée.
Toutefois si un pays comme la France (i.e. pas vraiment un pays en voie de développement)voit ses exportations stagner et ses importations de biens de consommation (et non de bien d’investissement) croitre alors que l’investissement est plat n’est ce pas un signe de perte de compétitivité de la part des entreprises locales, ou alors un signe de mauvaise spécialisation ?
Adam S : pas forcément. Cela peut vouloir dire aussi que le prix de produits achetés à l’étranger augmente. Surtout sur une période courte.
Votre analyse aurait gagnée à prendre en compte la deuxième partie de l’équation. Le PIB c’est aussi la somme des valeurs ajoutés, c’est à ce titre qu’il est synonyme de richesse et c’est de cette façon qu’il est calculé.
Si on reprend votre équation, et que l’on s’interroge sur les méthodes d’évaluation de chacun des termes on à :
PIB : Calculé comme la somme des valeurs ajoutées
C : Honnêtement, je ne sais pas…
X- M : Solde de la balance extérieure. Assez bien évalué pour les biens matériels (encore que*), mais estimé à la louche pour les invisibles, et presque inconnu pour les transferts financiers.
VarSt : assez correctement estimé pour les biens industriels.
I : Alors là. Je dirais qu’il est estimé justement grâce à cette équation. C’est à dire complètement inconnu.
On se retrouve donc avec une équation dont la plupart des termes sont déterminés avec une précision très faibles. A partir de là épiloguer sur une composante de ces termes, c’est simplement occuper l’espace médiatique et vous avez raison de le souligner.
Enfin, sur la prospérité des états unis, ils ont un déficit commercial assez prodigieux. Mais il faut prendre en compte l’autre aspect de la balance. Ils sont également propriétaires – où plutôt les citoyens habitants les états unis – d’une grande parti de l’appareils productifs du reste du mode (30 % des entreprises du CAC 40 par exemple).
Pour des raisons fiscales, les groupes américains ont intérêt à concentrer leurs bénéfices dans les paradis fiscaux. Ils y arrivent grâce aux prix de cession des biens et services entre différentes branches du groupe. La conséquence, c’est une balance commerciale très déficitaire pour les états unis. C’est aussi des revenus conséquents pour ses firmes, et donc pour les actionnaires qui reviennent à travers les marchés financiers dans la poche des américains et qui échappent à l’analyse économique.
Cela se lit donc dans le calcul du PIB qui est aussi la somme des revenus de tous les agents. Malgré la balance commerciale.
* : ce qui est étonnant, c’est que le total au niveau monde des X – M doit être égal à zéro. Hors – en tout cas c’était le cas dans les années 80 – le total des importations est toujours supérieur de l’ordre de 10 % au total des exportations. Des extra-terrestres ponctionnent donc l’humanité à hauteur de 10 % des échanges mondiaux.
On pense encore en termes d’Importations et Exportations de biens tangibles (donc ce qui est dans la balance commerciale, X-M), alors qu’aujourd’hui la production est beaucoup plus compartimentée en taches différentes qui ne nécessitent plus d’être sur le même pays.
Il y a un papier très intéressant de Grossman et Rossi-Hansberg qui remet en cause notre façon de voir le commerce international. Selon eux, il faut arrêter de penser en termes de biens réels, et se focaliser sur la répartition des « taches ».
Exemple : quelques boites trouvent convénient de faire leur assistance téléphonique en Tunisie, des hôpitaux anglais font lire des radios par des infirmières en Inde; et Renault fait le design des voitures qui seront construites et vendues en Argentine. Dans aucun des cas précédents les flux sont comptabilisés dans la balance commerciale (par contre quelques uns le sont dans la balance des invisibles, et dans les transactions courantes).
Du coup la balance commerciale est peu informative sur le total du commerce international français, et les conjoncturistes feraient bien de trouver d’autres indices sur lesquels tirer des conclusions.
Je radote,mais signale néanmoins un petit bouquin de Paul Krugman:"La mondialisation n’est pas coupable",où il démythifie cette diabolisation du déficit commercial et où il démontre que la compétitivité d’un pays n’a strictement aucun sens économique.