Cotisations sociales, CSG, cotisation sociale sur la VA, TVA sociale, et toute cette sorte de choses

La question du basculement d’une partie du financement de la protection sociale sur une taxe sur la valeur ajoutée des entreprises, traitée ici dans un post précédent, a suscité de multiples discussions. F. Brutsch nous a communiqué les travaux d’un professeur Genevois sur la question générale du financement de la protection sociale; Versac s’interroge sur l’opportunité d’élargir l’assiette du financement de la protection sociale; Selon Ceteris Paribus, il y a là peut-être l’opportunité de bénéficier d’un modeste “repas gratuit” fiscal, même s’il n’y a pas grand-chose à en espérer. François, de PHNK, cite Henri Guaino, qui dans les Echos s’oppose à une telle cotisation sociale sur la valeur ajoutée, mais préfère une TVA sociale; dans le même journal, F. Sirot considère ces deux mesures comme purement cosmétiques, sans grand effet sur l’emploi. François cite également un article de B. Bruhnes hostile à une cotisation sur la valeur ajoutée, et un article d’E. Chaney sur le même sujet.

Il est possible de dégager quelques idées générales importantes sur la question à partir de tout cela. Au passage, il me semble que le sujet est susceptible de donner lieu à des confusions (la distinction entre taxe sur la valeur ajoutée sociale et cotisation sociale sir la valeur ajoutée, par exemple, est un tantinet sybilline). Profitons-en donc pour décrire chacun de ces mécanismes, et leurs conséquences économiques. (Attention : post particulièrement long)

 

Les charges (ou cotisations) sociales : Soit un individu qui perçoit un salaire brut annuel de 20 000 euros. Sur ce salaire, sont calculées des cotisations employeurs et salariales. Supposons par exemple que le taux de cotisation (tout compris) employeur soit de 30%, et que le taux de cotisation salarial soit de 15%. Sur le bulletin de paie du salarié, on voit apparaître le salaire brut, d’ou l’on déduit les diverses cotisations sociales, déterminant le salaire net, qui dans notre exemple, sera de 17 000 euros annuels (20 000 – 15%). L’employeur, de son côté, devra verser aux organismes de protection la somme de 6 000 € (30% de 20 000). Au total, pour l’employeur, le coût de cet employé est de 26 000 €, sur lesquels le salarié touche 17 000 € de salaire net.
En pratique, s’y ajoutent des subtilités (certaines cotisations s’appliquent sur une fraction du salaire, certaines cotisations sont à taux modulé selon le niveau du salaire); mais le principe est bien celui-là.

On notera que les cotisations sociales employeur n’apparaissent pas sur les bulletins de paie des salariés en France (Michelin s’y était essayé, en indiquant le coût total d’un employé sur ses feuilles de paie, et cela a été interdit par les tribunaux). Ce qui fait que beaucoup de salariés ignorent leur existence ou leur montant, et croient que les seules cotisations payées sont la “part salariale”, différence dépourvue de tout sens entre le salaire brut et le salaire net, minimisant ainsi le coût réel de la protection sociale. On voit aussi que la distinction “part salariale” et “part employeur” est dépourvue de tout sens. Pour l’employeur, le coût déterminant une embauche n’est pas le salaire brut, mais le coût total du travail, cotisations “employeur” comprises.

De ce fait, si l’on augmente le taux des cotisations sociales, le résultat est toujours le même : ce sont les salariés qui supportent les conséquences de la taxe. Soit le coût du travail reste identique, et les salaires nets diminuent du montant de la taxe; soit le coût du travail augmente d’exactement le montant de la taxe, auquel cas l’emploi diminue. En pratique, les hausses de cotisations produisent un effet intermédiaire entre ces deux possibilités : pour partie, elles abaissent les salaires net, pour partie, elles réduisent l’emploi. Si l’on prend en compte l’effet sur l’économie dans son ensemble, les cotisations sociales sont partiellement répercutées dans les prix de vente des produits, ce qui signifie que tous les consommateurs paient une fraction de ces taxes.

La CSG est un mécanisme proche des cotisations sociales : elle consiste en un prélèvement d’un pourcentage du salaire brut. Mais à la différence de celles-ci, elle n’est pas uniquement prélevée sur les revenus salariaux. Elle porte aussi sur les revenus des allocations et pensions (chômage, retraite), ainsi que sur certains revenus du capital.

En quoi consisterait une cotisation sociale sur la valeur ajoutée? La valeur ajoutée d’une entreprise est la différence comptablement calculée entre la valeur de ses ventes, et la valeur de ses consommations intermédiaires, c’est à dire les biens qu’elle achète et qui disparaissent dans le processus de production. Cette valeur ajoutée est ensuite répartie entre travail (coût total du travail) et “excédent brut d’exploitation” qui représente la somme qui sert à renouveller le capital de l’entreprise, à investir, et dégager un bénéfice. C’est cet EBE qui est appelé “part du capital”. En moyenne pour l’économie française dans son ensemble, la répartition entre “part du travail” et “part du capital” dans la valeur ajoutée est en gros de 2/3 pour le travail, 1/3 pour le capital. Cette répartition est remarquablement constante, à la fois au cours du temps, et entre les différents pays. Quel serait l’effet du déplacement d’une part des cotisations sociales sur une cotisation calculée sur la valeur ajoutée? Prenons un exemple fictif. Considérons une entreprise “moyenne” dont la valeur ajoutée est de 100, répartie selon la règle des 2/3-1/3; considérons par ailleurs que les cotisations sociales représentent un tiers du coût total du travail (ce sont des arrondis correspondant en gros à l’économie française). On a donc :
part du capital : 33
part du travail : 67 dont :
Salaires nets : 45 et cotisations sociales totales : 22
Remplacer les cotisations sociales par une taxe assise sur la valeur ajoutée signifierait remplacer un euro de cotisation sociale par 67 centimes de cotisations sociales et 33 centimes de taxe sur l’EBE. Pour une entreprise “moyenne” cela ne changerait rien : elle paierait toujours une taxe totale de 22. Pour une entreprise qui utilise beaucoup de travail et peu de capital, cela génère un gain; pour une entreprise utilisant beaucoup de capital, cela génère un coût supplémentaire. On aura donc bien des difficultés pour les entreprises intensives en capital et des avantages pour les entreprises plus intensives en travail. Le succès à court terme de la mesure dépend donc de ce que les embauches dans les secteurs à faible VA par travailleur soient supérieures aux destructions d’emploi qui interviendraient dans les secteurs à forte VA par travailleur. Or rien n’est moins sûr : les secteurs à faible valeur ajoutée par travailleur sont d’ores et déjà des activités (comme par exemple l’hôtellerie-restauration, le bâtiment ou la distribution) dans lesquelles il y a pénurie de main d’oeuvre.
A plus long terme, les effets positifs sur l’emploi de cette mesure sont encore plus incertains. Cette mesure aurait pour effet de ralentir l’accumulation de capital, ce qui implique des gains de productivité du travail moins grands, donc des gains salariaux moins grands; sur le long terme, ce sont essentiellement les salariés qui subissent les conséquences de cette cotisation. S’ajoute à cela d’autres problèmes spécifiques à une telle taxe. Comment calculer la valeur ajoutée? on décide actuellement d’en déduire les consommations intermédiaires, mais toute consommation est “intermédiaire” au bout d’un certain temps (la farine ne sert qu’une fois à fabriquer du pain; mais à terme, le four aussi sera devenu inutilisable ou obsolète) : la définition de la valeur ajoutée est assez conventionnelle, et la taxe peut de ce fait faire l’objet d’exemptions diverses, réduisant l’effet de la mesure.

Le fait de financer une partie de la protection sociale par la TVA ne pose pas ce problème de définition. Le calcul et la perception de la TVA sont en effet assez simples. Chaque fois qu’une entreprise achète quelque chose, elle paie de la TVA qu’elle se fait rembourser par les services fiscaux; chaque fois qu’elle vend quelque chose, elle collecte de la TVA auprès de son client, qu’elle doit reverser aux services fiscaux. Faire peser une partie de la protection sociale sur la TVA signifierait, en clair, augmenter le taux de TVA, son mode de calcul restant inchangé, et verser le produit de cette hausse aux organismes de protection sociale. Qui paie une telle taxe, et quel est son effet? Une part de la hausse de la TVA est supportée par les entreprises, si elles ne répercutent pas la totalité de la hausse de la TVA dans leurs prix de vente. Cette partie de la taxe présente le même effet que la cotisation sur la valeur ajoutée vue ci-dessus. Il faut noter donc qu’elle élève en partie le coût réel du travail.
Le reste de la hausse de TVA est supportée par les consommateurs, sous forme de hausse des prix. Encore que le basculement n’est pas aussi net que cela. En effet, si les prix des produits augmentent, les entreprises vont devoir élever les salaires pour suivre l’inflation; les diverses prestations payées par les cotisations sociales vont devoir augmenter aussi, pour les mêmes raisons; au total, le coût du travail va devoir lui aussi augmenter. Comme certains revenus ne sont pas indexés sur l’inflation, les bénéficiaires de ces revenus subiront une petite part de la hausse des prix, qui ne sera pas répercutée; au total, on peut donc espérer que la hausse de la TVA ne sera pas entièrement répercutée sur le coût du travail; mais l’effet total sera très modeste.

Certains avancent que la TVA “sociale” aurait pour avantage de favoriser la compétitivité de l’économie nationale en “faisant payer les importations” et en accroissant la compétitivité des exportations, qui ne sont pas soumises à la TVA. Ce raisonnement est faux pour plusieurs raisons. Premièrement, la TVA ne fait pas “payer” les importations. Elle fait payer les consommateurs nationaux de produits importés sous la forme d’une hausse des prix qui porte sur tous les produits. Deuxièmement, un basculement d’une part du coût du travail sur la TVA produit le même effet qu’une dévaluation : les entreprises nationales en concurrence avec les importations subissent la même hausse de taxes que ces dernières, mais bénéficient en parallèle d’une réduction du coût du travail; les entreprises exportatrices bénéficient de la réduction du coût du travail sans subir la hausse de la TVA; les entreprises de biens non échangeables internationalement subissent un mélange de hausse des prix et des coûts. Est-ce véritablement avantageux?
Même si l’on imagine qu’il y a un avantage à subventionner les consommateurs étrangers sur le dos des consommateurs français (ce qui est en soi très contestable) il faut noter que cet “avantage” peut être réduit à néant en quelques secondes par une fluctuation des cours des devises. La seule façon d’éviter que les entreprises nationales ne soient victimes de telles fluctuations, c’est que leur compétitivité dépende des produits, non des prix : en d’autres termes, faire des produits permettant de vendre à un prix élevé des produits dont la fabrication a exigé un travail cher. Subventionner fiscalement les entreprises exportatrices n’est pas franchement le meilleur moyen de les orienter dans cette direction; De même, une telle spécialisation de l’économie exige le déplacement de la main d’oeuvre des secteurs soumis à la concurrence des importations vers les biens non échangeables (en clair, pour prendre un exemple, la disparition d’ateliers textiles et des créations d’emplois dans le commerce de vêtements, secteur non soumis à la concurrence étrangère). Déplacer la protection sociale tend donc à maintenir l’économie française dans une spécialisation peu avantageuse, pour un “gain” susceptible de disparaître à la moindre réévaluation de la devise nationale. Cet argument, avatar d’un crétinisme mercantiliste qui fait fureur en France, n’est pas sérieux.

Le point commun que l’on trouve à toutes les alternatives aux cotisations sociales pour financer la protection sociale; au bout du compte, une part conséquente de ces cotisations se retrouve d’une autre façon dans le coût du travail, ce qui réduit considérablement l’effet potentiel sur l’emploi de ces taxes alternatives. On peut espérer parfois trouver un modeste effet positif sur l’emploi, selon le principe de l’abaissement des taux et de l’élargissement de l’assiette.

L’idée en est la suivante : mieux vaut une taxe de 10 centimes d’euro sur tous les légumes qu’une taxe de 10 euros sur les carottes. Une taxe de 10 euros sur les carottes risque en effet de réduire considérablement la consommation de ce légume, ruinant les producteurs, privant les consommateurs de ce produit (ce qui, si l’on en croit la sagesse populaire, les rendra désagréables), et au bout du compte, ne rapportera pas grand-chose aux services fiscaux. Alors qu’une taxe modérée portant sur tous les légumes modifiera peu le comportement des consommateurs, évitant ces inconvénients. Si l’on s’arrête à des considérations d’efficacité économique, c’est un principe assez sain; ses conséquences en matière de justice sociale sont plus discutables (selon ce principe, un impôt à taux fixe est préférable à un impôt progressif par exemple).

En application de ce principe, on se dit qu’élargir l’assiette des cotisations sociales au delà du travail permettrait, à recettes constantes, de diminuer les taux d’imposition pesant sur le travail, élevant de ce fait l’emploi. Pourquoi pas, mais il ne faut pas oublier que les revenus du travail constituent déjà une assiette très large, et que son élargissement ne peut donc que porter sur les revenus du capital ou les revenus de transfert. Malheureusement, le capital a un gros avantage sur le travail : il est beaucoup plus mobile, ce qui permet aux détenteurs de capitaux de maintenir leur rémunération nette d’impôts, en réduisant les investissements dans les pays dans lesquels la rentabilité du capital diminue. Cela réduit l’accumulation du capital, et à long terme pèse sur l’évolution de la productivité du travail et donc des salaires : à terme, ce sont donc encore les salariés qui paient. De la même façon, les revenus de transfert constituent pour les salariés un salaire différé ou une assurance; réduire ces revenus (en les fiscalisant, comme dans le cas de la CSG, ou en les réduisant par une hausse des prix non répercutée) constitue une façon de faire payer les salariés. C’est pour cela qu’au bout du compte, ce type de jeu de chaises musicales fiscales n’a qu’assez peu de chances de modifier le niveau de l’emploi de façon très conséquente. En réalité, les cotisations sociales constituent déjà un mode de prélèvement relativement efficace (comme l’est aussi la TVA); il n’y a pas dès lors beaucoup à gagner en termes d’emploi en changeant de type d’impôt.

Pour donner un avis plus personnel : on parle beaucoup d’améliorations de l’efficacité économique à attendre de modifications du système fiscal; On voit beaucoup moins souvent ces gains d’efficacité supposés à l’oeuvre. Après tout, les “baisses d’impôt” (en réalité transformation d’impôts en dettes et en autres impôts) menées en France au cours des dernières années n’ont pas eu d’effet notable sur la croissance économique. Les “baisses d’impôts” (même remarque qu’en France) menées au même moment aux USA n’ont eu non plus d’effet notable; de la même façon, comme le constate Mark Thoma, les efforts importants de Gordon Brown pour rendre le système fiscal britannique plus efficient n’ont pas produit grand-chose : la productivité en Grande-Bretagne est restée faible.

Un aspect mérite cependant d’être noté : Les divers types de fiscalités présentés tendraient à fiscaliser les recettes de la protection sociale, transformant l’actuel système dans lequel la protection sociale est un salaire différé, administrée de ce fait par les “partenaires sociaux”, en un système “Beveridgien” dans lequel la protection sociale est fournie et administrée par l’Etat, et financée par des taxes qui touchent toute la population. Il y a de bonnes raisons de penser qu’un tel système Beveridgien fonctionnerait mieux que l’actuel système social corporatiste français. Mais il serait anormal qu’un tel changement se fasse en douce, à l’occasion de réformes fiscales, sans débats.

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Alexandre Delaigue

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