Compléments de macro

Alexandre explique dans son billet d’hier pourquoi la macroéconomie a un rôle pivot dans l’analyse économique. Je suis d’accord, ne serait-ce que parce que sans la macro, je n’aurais jamais fait d’économie de ma vie (je ne sais pas si c’est une bonne nouvelle, mais c’est un fait).

L’article qu’il pointe est intéressant à plusieurs titres. De façon générale, il donne la parole à beaucoup de points de vue et rappelle quelques épisodes notables de l’Histoire récente. A charge, certes. Mais l’heure est à charger, pour des raisons évidentes. Dans le détail, il m’inspire deux commentaires.

Alan Kirman tend à y être présenté comme quelqu’un qui débarque du jour au lendemain avec de nouvelles idées. Or, il se trouve que j’ai eu la chance de l’avoir comme enseignant durant mes études. Et ça ne date malheureusement pas d’hier, puisque c’était à la fin des années 1990. Les fourmis, il bossait déjà dessus. Après des décennies de travaux sur la théorie de l’équilibre général. Dès 1992, si j’ai bonne mémoire, il publie dans le vénérable Journal of Economic Perspectives un article considéré par beaucoup comme un brûlot, intitulé “Who or whom does the representative agent represents ?”. Puis publie de plus en plus sur les agents interactifs. Mais alors, pourquoi n’écoutait-on pas ce genre d’analyses ? D’abord, je vous garantis que ses étudiants l’écoutaient ! Ensuite, parce qu’elles sont très complexes, incompréhensibles dans leur version brute par la plupart des bons journalistes économiques (pourne prendre qu’un seul exemple de passeurs d’idées). Enfin, il faut du temps pour faire avancer la science et la diffuser. Il a fallu des années pour que passent des idées dans la lignée de celles développées à l’époque par Kirman, telles que les cascades informationnelles. Des années pour qu’une communauté échafaude un sous-corpus solide. Pendant ce temps là, une science normale continuait à diviser l’économie entre analyse macroéconomique et microéconomique (alors que Kirman à l’époque envisageait une mésoéconomie, dans une optique plus modulaire que celle que préconisait déjà depuis un moment l’économie industrielle). Et, évidemment, en ce qui concernait la politique économique, la référence était macroéconomique. Ce que je veux dire par là, c’est que des gens comme Kirman étaient respectés dans la profession mais n’avaient pas encore fini leur boulot. Il faut ajouter à cela le fait que leurs modèles sont d’une grande contingence et débouchent souvent sur une conclusion bien peu excitante, du genre “on ne peut pas prévoir, c’est trop non linéaire”. L’idée que les dynamiques complexes sont la clé d’une meilleure compréhension des phénomènes économiques ne datent pas d’hier. Oui mais voilà, politiquement, philosophiquement et sociologiquement, c’est bien peu vendeur tant que le courant n’est pas très prolifique avec, à la limite, un modèle pour chaque cas identifiable. Ce qui était, si j’avais bien compris à l’époque, correspondait à l’idée puissante et modeste de la modularité mésoéconomique qu’Alan Kirman appelait de ses voeux. On peut regretter (et nous sommes nombreux à l’avoir fait un jour ou l’autre) que pendant ce temps des Lucas et autres aient pu prendre une assurance démesurée en ce qu’ils professaient (ceci dit sans négliger leur apport réel à la réflexion et le respect qu’ils méritent pour cela). Il n’empêche qu’il serait un peu injuste de condamner la discipline dans son ensemble. Car, finalement, aujourd’hui, les Kirman et consorts ne sont pas triomphants, ils supportent tout autant que d’autres le discrédit de la discipline.

Autre point, les modèles macroéconomiques sont-ils si mauvais ? Comme le dit Alexandre, on ne sait pas encore. En particulier, qu’entend on par “macroéconomique” ? Si on parle des modèles macrofinanciers, alors probablement. Sinon, soit il vous est conseillé d’arrêter tout de suite de lire ce qu’on vous raconte la plupart des économistes considérés comme des références pour décrypter la crise, soit c’est seulement l’intégration des variables financières qui est totalement à revoir. Évariste Lefeuvre avait déjà souligné cet aspect dans son bouquin. Cela ne règle pas des questions fondamentales comme celles des anticipations macroéconomiques par exemple, mais cela signifie que les modèles standard permettent tout de même de comprendre beaucoup de choses. Ma défense peut paraître ridicule, je le conçois. Mais, quelque part, je fais un peu de socio de coin de table et je me dis qu’on sait ce qu’on a mais que si on décapite le roi, on ne sait pas qui on aura à la place. L’autoflagellation quasi généralisée, couplée aux “moi je vous l’avais dit” de quelques-uns, est assez inquiétante. Il y a quelques temps, j’ai pensé qu’un nouvel âge de la tour d’ivoire était arrivé : les économistes, comme dans les années 1970, allaient retourner travailler discrètement. Certains vont le faire à ne pas en douter (mais pas forcément les plus mauvais). En réalité, s’ils pouvaient parfois se taire un peu en ce moment, je pense que cela ferait plus de bien qu’autre chose. Hélas, je crains que cela n’arrive pas. J’essaierai d’expliquer mon point de vue une autre fois.

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6 Commentaires

  1. Votre collègue blogueur n’a-t-il pas déjà ébauché une réponse ici ?

    econoclaste.org.free.fr/d…

    Les modèles macro économiques, du peu que j’en sais, n’expliquent en rien les rapports de pouvoir entre institutions qui sont pourtant déterminants comme le souligne les articles Kirkegaard. N’est-ce pas une erreur fondamentale d’analyse que de considérer des agents mus par des conditions extérieures là où des marges de manœuvres individuelles et collectives existent ? Je comprends bien que les macro économistes tiennent au pouvoir prédictif de leurs modèles qui serait franchement amputé par le glissement conceptuel de l’agent vers l’acteur, mais n’y regagneraient ils pas leur capacité à expliquer le présent et comprendre les enjeux à court termes ?

    En tout cas, merci pour l’article sur la zone euro et les liens vers ceux de Kirkegaard que j’ai tout deux abondamment cité le semestre passé !

    Cordialement.

    Réponse de Stéphane Ménia
    La encore on croirait que les macroeconomistes decouvrent l’economie politique. Je crains que lAaz crritique sous cette forme soit foireuse. Des gens de grande qualitè bossent la dessus depuis un bon moment. Si coupables il y a ce sont les economistes morts, pas les alesina, rodrik, acemoglu et autres gens du même milieu.

  2. J’étais tenté d’ouvrir un nouveau débat sur le forum sur cette thématique là. Je suis un peu étonné qu’on nous balance tous les jours qu’on doit enterrer l’économie, et presque avec les économistes. C’est triste que les gens mal informés et même parfois nos compères professent le mauvais évangile…

  3. Une solution simple à ce constat serait de donner à la macro institutionnelle un rôle pivot dans l’analyse politique et la définition d’une ambition sociale désireuse de disposer d’outils prédictifs (récompensant les "bons" comportements à long terme)

    Réponse de Stéphane Ménia
    Ce serait probablement une connerie. Si vous n’avez pas un modèle techniquement valable, vouds pouvez vous masturber l’esprit tant que vous voulez, vous n’integrez pas correctement les institutions, basta. L’epoque est à charger et ceux qui demontent les dsge sont le plus souvent infoutus de dire ce qu’il y a dedans. Avec Ça on va avoir du mal a avancer.

  4. Est-ce que la remise en cause de l’analyse macro a quelque chose à voir avec le statut de l’économie comme science? C’est certainement partiel mais je pense que oui. L’idée que les macroéconomistes doivent "fermer un peu leur gueule" me rappelle la seule idée phare qui vaille en science sociale: "il n’y a rien d’évident". Si on paie des économistes, des thèses, des contrats de recherche sur un point particulier de l’économie, c’est parce qu’on part du seul principe suivant: ce point n’a rien d’évident. Sinon, autant s’adresser à mon beau-père qui a bac – 3 mais qui des solutions toutes trouvées au chômage, je vous assure. Ouais, OK beau-papa, mais c’est pas évident. La conséquence immédiate pour l’économiste est alors une éthique de la pondération, du dialogue, de la démonstration progressive. Sinon, il n’est plus économiste; malheureusement, bcp d’économistes médiatisés ont déjà les réponses ("il faut réguler!" "il faut libéraliser"!) sans connaître les problèmes ce qui est acceptable pour mon beau-père, les idéologues et le personnel politique à la pêche aux voix, mais pas pour les économistes.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Il y a deux problèmes : ceux qui sont médiatisés parce qu’ils se rendent disponibles. Ce sont par définition ceux qui produisent le moins. Et il y a ceux qui produisent beaucoup ou ont beaucoup produit au cours des années plus ou moins récentes et se médiatisent juste ce qu’il faut pour appuyer leurs thèses au delà de ce qui est raisonnable. Dans les deux groupes, vous trouverez d’authentiques abrutis. Ceux-là, pas de quartier. Et il y a des variétés de toute sorte à côté. Dans ces variétés, on a toujours des motivations très diverses et il me semble difficile de les accuser sans comprendre leurs motivations. J’ai néanmoins tendance à penser qu’un Nobel qui exagère ce que ses travaux peuvent induire est plus nuisible qu’un sinistre crétin médiatique, son potentiel d’influence étant ce qu’il est. A ce sujet, je trouve bonne l’attitude de Becker. Je ne lis pas tout ce qu’il écrit de vulgarisé, loin de là. Mais je n’ai pas souvenir d’avoir lu d’arguments d’autorité sur son blog (avec Posner). Et pourtant, il pourrait. D’autant plus qu’il est catalogué idéologue par beaucoup (alors quitte à être catalogué, autant envoyer la sauce…).

  5. S-T, les définitions que vous balancez sont relativement dans la catégorie du réductionnisme. Ne trouvez-vous pas? Vous mettez certes des gands mais il en ressort néansmons que les médiatisés sont ceux qui produisent les moins.

    Du reste, avec l’arrivée de la blogsphère et des sites comme Telos ou Vox, Project Syndicate, il y a de quoi à être très prudent…

    Réponse de Stéphane Ménia
    Ah, mais je suis un réductionniste 🙂

  6. Lol!!! Dans ce cas là, je dis aux lecteurs. Faites quand même attention : tous les économistes qui parlent à la presse ne sont pas forcément ceux qui produisent les moins.
    Un exemple en france : Agnès Bénassy-Quéré
    Un international : Alberto Alesina

    Je ferme mon "twuit" (rire)

    Réponse de Stéphane Ménia
    Moi j’entends plus Touati que Bénassy-Queret à la télévision française…

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