Via Versac, une initiative de débat2007 : établir une “cellule de chiffrage” des propositions de campagne des principaux candidats à l’élection présidentielle. Cette cellule, composée de trois experts en finances publiques anonymes (nous dit-on sur le site) a commencé à travailler, pour chiffrer les principales propositions du projet socialiste, et celles de Nicolas Sarkozy. Quelques remarques sur cette initiative.
A priori, j’étais un peu circonspect sur cette initiative. Je craignais qu’elle soit une énième variation sur le thème absurde de la vertu budgétaire, ou les mythes entourant le déficit public. Je craignais qu’en insistant sur le coût budgétaire des propositions, plutôt que sur leur impact économique, on passe à côté de l’essentiel; Je craignais aussi qu’à trop se focaliser sur les questions d’équilibre budgétaire, on en vienne à considérer toute réforme un peu coûteuse comme mauvaise, et toute augmentation des impôts comme bonne; ce qui n’est pas non plus très sain.
Et puis, à la réflexion, en allant voir ce qui a déjà été fait, et en lisant les commentaires chez Versac, je me suis dit que finalement, c’était une excellente initiative, pour plusieurs raisons.
– Tout d’abord, c’est une façon de focaliser le débat public. Collecter au même endroit l’ensemble des coûts des programmes, c’est conduire les commentateurs à aller voir (les journalistes, notamment, seront naturellement orientés vers cette page qui leur offrira beaucoup d’informations avec un minimum d’efforts); comme tous les programmes seront logés à la même enseigne, on peut espérer voir les candidats interrogés sur des choses concrètes, plus que sur des intentions. C’est une bonne chose d’orienter le débat vers des réalités, fussent-elles partielles.
– Car, on pourra le constater, les évaluations de débat2007 sont tronquées : elles se concentrent sur l’impact des mesures sur le budget de l’Etat et des collectivités locales; l’impact économique des mesures, par contre, n’est pas chiffré, et est uniquement décrit de façon qualitative. On peut penser que c’est un défaut de cette description, pour deux raisons invoquées par des commentateurs chez Versac; premièrement, cela néglige les changements organisationnels ou sociaux que des mesures peuvent entraîner; deuxièmement, cela tend à favoriser les programmes moins ambitieux, qui apparaîtront comme moins coûteux, alors que des programmes plus ambitieux seront systématiquement pénalisés. Un commentateur considère par exemple que cette forme de calcul favorisera systématiquement le programme d’un Sarkozy au détriment de celui du parti socialiste.
Ces objections me paraissent très contestables. Tout d’abord, le décalage constaté actuellement entre les programmes étudiés tient au fait que le programme du PS est plus explicite que les quelques mesures ponctuelles annoncées par Sarkozy. Il ne faut pas oublier que la fascination pour le constructivisme n’est pas une spécialité socialiste, mais qu’elle est également très répandue chez les gaullistes (surtout dans sa version de soutien aux industries lourdes). Ensuite, et surtout, parce que le biais que ce calcul entraîne ne fait que contrer un autre biais : le discours politique électoraliste favorise systématiquement “l’action” au détriment de l’inaction. Or bien souvent, en matière de politique publique, l’inaction est préférable à l’action.
Vous pensez que construire une luxueuse médiathèque dans une commune de 600 habitants n’est pas très opportun, et que le coût pour les contribuables serait élevé? On vous rétorquera que vous êtes un philistin ennemi de la culture. Avoir un budget équilibré, limiter la dépense publique aux domaines où elle est réellement utile, cela ne vous donne pas beaucoup d’occasions de faire une inauguration ou un article de presse. Pour l’électeur, qui paie déjà des impôts, il y a un déséquilibre entre payer plus d’impôts (sachant qu’il en paie déjà, ce qui est d’ores et déjà pénible) et bénéficier d’une prestation dont il ne bénéficie pas encore, en faveur de cette prestation. De la même façon qu’on apprécie plus ses cadeaux de noël avant de les recevoir qu’après les avoir reçus, la promesse de dépenses publiques est souvent mieux perçue que les désagréments liés aux impôts supplémentaires qu’elle entraîne. Se focaliser exclusivement sur les coûts est une façon de corriger ce biais. Cela défavorise les grandes ambitions constructivistes? C’est une très bonne chose.
Il est vrai que les effets d’une mesure sont moins clairement identifiables que ses coûts budgétaires; mais c’est en grande partie parce que ces effets sont plus difficiles à apprécier et à prévoir avec précision. Dans ces conditions, il est normal que la charge de la preuve revienne au promoteur de la mesure; et plus celle-ci est coûteuse, plus il devra trouver d’arguments pour la justifier. Par ailleurs, comme l’effet indirect d’une mesure est plus difficile à estimer, la subjectivité de l’évaluateur sera plus importante , en faveur ou en défaveur de la mesure.
Limiter l’évaluation chiffrée aux coûts budgétaires des mesures, et se contenter de descriptions qualitatives de leurs effets potentiels, me semble donc une bonne pratique, qui apporte une information utile au débat et contribue à l’indépendance de l’évaluation. Néanmoins, se limiter à une évaluation qualitative des effets des mesures ne doit pas empêcher de décrire ceux-ci de façon précise. Or trop souvent l’effet des mesures est présenté de façon à mon avis un peu insuffisante. On ne peut pas se contenter de déclarer qu’un effet d’une mesure est de “relancer la consommation”; en quoi est-ce une bonne chose? La façon dont est décrit l’impact d’un “service obligatoire” est aussi très contestable. Ce n’est pas parce que le nombre de demandeurs d’emploi serait réduit par cette mesure que le chômage se réduirait! il ne faut pas oublier qu’elle aurait aussi un impact (à la baisse) sur l’offre d’emplois, précisée d’ailleurs dans le paragraphe suivant (“effet d’éviction” sur le PIB). Bref, ces descriptions d’effets économiques mériteraient parfois d’être précisées, même en restant dans la simple description qualitative.
Plus génant est le décalage entre l’évaluation des mesures générant des coûts et celle des mesures visant à accroître les recettes. Dans le coût du programme socialiste, ces mesures sont présentées en fin de page, de façon très rapide, avec un simple chiffrage non explicité. Or ces mesures devraient faire l’objet de la même évaluation : comment est obtenu ce chiffrage? Comment peut-on décrire l’impact économique de ces hausses de taxes? Les auteurs expliquent que ces mesures n’appellent pas de contre-expertise, et reprennent les chiffres donnés par les partis, sans décrire les effets économiques du tout. Cela paraît assez contestable.
La critique est facile, l’art est difficile : si les auteurs de ce travail cherchent des moyens de l’améliorer, voilà selon moi quelques voies qu’ils pourraient envisager. Mais en principe, et dans sa réalisation, cette démarche mérite d’être saluée, et suivie.
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Puis-je recommander que, dans cet exercice, vous suiviez l’excellent conseil de H.Hazlitt :
L’art de la politique économique consiste à ne pas considérer uniquement l’aspect immédiat d’un problème ou d’un acte, mais à envisager ses effets plus lointains ; il consiste essentiellement à considérer les conséquences que cette politique peut avoir, non seulement sur un groupe d’hommes ou d’intérêts donnés, mais sur tous les groupes existants.
Bonne chance!
(Source: "L’économie politique en une leçon"
herve.dequengo.free.fr/Ha…
Gu si Fang : certainement. Mais les effets lointains sont vagues, et les effets immédiats sont plus clairs; seule une connaissance précise des seconds permet de bien considérer les premiers.