Deux sujets qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre.
– Anders Aslund démasque Poutine. Au passage, il cite une information selon laquelle celui-ci aurait accumulé une fortune d’environ 41 milliards de dollars, ce qui en ferait, de très loin, le dirigeant politique le plus corrompu de tous les temps. Il dresse au passage une perspective sur la Russie différente de la version habituelle (version à laquelle il a consacré un livre). Dans la version ordinairement entendue, les années Eltsine ont été une catastrophe pour la Russie, le règne de l’incurie et de la corruption, sous l’influence d’institutions internationales imposant des politiques néolibérales sans se préoccuper des conséquences; Poutine aurait alors rétabli l’ordre en se débarassant des influences et des idéologies étrangères, avec succès.
Aslund est de ceux qui défendent le point de vue inverse : la crise de 1998 n’a été qu’un accident de parcours malheureux, mais les réformes menées à l’époque d’Eltsine sont à l’origine des succès économiques de la Russie d’aujourd’hui (avec le prix du pétrole). Poutine n’a fait que développer le mythe de sa compétence, alors qu’en réalité, la Russie ne fait que régresser depuis son arrivée, ne bénéficiant que de circonstances favorables (et donc, vouée à connaître des difficultés encore plus grandes qu’en 1998 lorsque, comme à l’époque, le contexte deviendra moins favorable). Difficile de trancher, et il faudra bien longtemps pour pouvoir faire un bilan raisonné et informé de tous les évènements et réformes économiques intervenus depuis la fin de l’URSS. Il n’est pas inutile d’avoir un point de vue différent de l’ordinaire, même si en la matière. Voir le toujours indispensable David Warsh sur le sujet.
– Versac s’interroge sur le modèle économique de Mediapart, le journal en ligne lancé par Edwy Plenel. Ce journal veut en effet se financer en faisant payer un abonnement à ses lecteurs, de 9 euros par mois, afin d’être indépendant à la fois d’actionnaires industriels et de la publicité. Dans l’absolu, l’idée de faire payer pour ce genre de services n’est pas aberrante; mais dans un cas comme celui-ci? Si je me réfère à mon expérience d’utilisateur de sites payants, jusqu’à récemment, je payais pour le Financial Times, le New York Times, et The Economist (accès au site internet pour les abonnés du journal). Parmi ceux-là, celui qui correspondait au prix de Mediapart est le FT (119 € par an), mais c’est pour le meilleur quotidien du monde; autant dire que Mediapart fixe sa barre de qualité très, très haut. Il ne suffit pas de clamer “c’est le prix de l’indépendance” : il faut aussi fournir mieux que la concurrence, pour justifier ce genre de prix. Ce n’est pas impossible, mais pas gagné.
Ceci d’autant plus que si je me limite à mes abonnements personnels, je constate que tous ont eu tendance à converger vers l’accroissement des contenus gratuits. Timeselect (du NYT) a disparu, et le journal peut désormais être totalement consulté en ligne; le FT a modifié sa formule d’abonnement, qui fait qu’il est désormais possible de consulter gratuitement 30 articles par mois (ce qui me conduit à me demander s’il est opportun désormais de renouveler mon abonnement payant); The Economist agit de façon plus dissimulée, mais on constate que de plus en plus souvent, ses articles sont accessibles en totalité sur le site du journal : leur contenu gratuit s’étend, discrètement pour que les utilisateurs payants continuent de souscrire : mais combien de temps cela tiendra-t-il? Surtout si de son côté, le Wall Street Journal renonce à faire payer son site internet (voir Felix Salmon là et là).
Vouloir lancer un contenu payant aujourd’hui en matière d’information, ce n’est pas seulement entrer en concurrence avec des blogueurs en pyjama et des journaux gratuits financés par la publicité et nourris à la dépêche d’agence; c’est se trouver en compétition contre ce genre de mastodontes, sans compter la version plus ou moins payante des autres organes de presse. Cela peut fonctionner à condition de se trouver une niche : un magazine comme Marianne, au site internet volontairement restreint et sur lequel on ne consulte pas le journal (leur métier, c’est vendre du papier, disent-ils) a suivi cette voie. Arrêt sur Images aussi, mais grâce à une notoriété déjà acquise (et on ne sait pas encore s’ils réussiront). Pour Mediapart, il ne suffira pas de dire “nous sommes différents des autres” pour se constituer une identité suffisamment forte pour être rentable. Cela dit, on verra bien.
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Les formules gratuites fonctionnent aussi car les journaux sont des two-sided markets. Les managers ont donc compris qu’ils peuvent maximiser le volume en faisant subir le cout au coté le moins élastique (pub), et en subventionnant le coté le plus élastique (lecteurs).
Pour ce qui est des blogs, marginalrevolution a de la pub sur le site. En plus, Cowen et Tabarrok utilisent leur blog aussi pour vendre leurs bouquins. Par contre, D.Rodrik et Mankiw n’ont pas de pub, mais vu leur rémunération de prof à Harvard, ce n’est pas d’argent dont ils ont besoin.
Je comprends bien qu’il y ait un effet de signal important à avoir un blog de qualité; et que ce signal peut etre une sorte de rémunération en soi. Je comprends aussi que tenir un blog soit plaisant (possibilité de s’exprimer face à une grande audience, plaisir d’écrire sur Hayek les lundis et sur Ségolene le jour suivant).
Mais, sérieusement Alexandre, n’as tu pas pensé à accepter de la pub sur ton blog ? Pourquoi tu ne le fais pas ? Je te lis tous les jours, et ça ne me dérangerait pas d’avoir des banières diverses qui défilent au dessus de tes post.
Dans un autre registre, les révélations de Warsh sur Shleiffer sont impressionnantes. Comment fait-il pour etre aussi bien informé ?
PS: j’ai toujours vu Alexandre un peu comme le David Warsh français, pas vous ?
Merci pour les "blogueurs en pyjama", sympa, vraiment sympa !
Mais au fait, votre énervement contre ces malheureux clampins de blogueurs en pyjama vous aveugle t-il au point de considérer qu’un modeste blog est un concurrent du FT ou du NYT ? Quand comprendrez vous que les blogueurs en pyjama ne sont pas dans le secteur de la presse mais ailleurs, qu’ils cherchent leur place et qu’ils la trouveront même si ca vous énerve !
Bon je vous dis ça car Econoclaste – ce site d’économistes en barboteuse :-)))) – est vraiment bien alors ca me fait pas du bien de lire des trucs comme ca chez vous.
Sur le fond, un article sur le modèle économique des sites d’information serait le bienvenu, la pub restant l’alpha et l’omega pour l’instant, c’est un peu court non ?
Heu… C’était de l’ironie, au cas ou vous n’aviez pas vu 🙂
Comme on pouvait s’y attendre, des statisticiens amateurs se sont évidément intéressés à la question de savoir si la statistique pouvait ou non établir la fraude électorale en Russie : un petit lien vers une des synthèses les plus lisibles sur la question :
krotty.livejournal.com/36… (via Slashdot)
Ceci dit, je ne me souviens pas avoir vu d’études publiques aussi claires sur les élections de 2000 aux USA ? Mais peut-être me trompe-je ?
Sur le premier-sujet-qui-n’a-rien-à-voir : si même économiquement,
Poutine est discutable, il ne lui reste pas grand’ chose, à part une bonne
technique électorale.
Ceci dit : est-ce que les mafias russes sont considérées comme un modèle
économique ? Si on s’abstrait de toute morale (ce qui est un principe de la
pensée économique, d’ailleurs…), ne peut-on considérer la mafia comme une
netreprise commerciale, et noter que leur floraison en Russie est le signe
d’une réussite ? Qu’en pense Attali ?
Sur le second-sujet-qui-n’a-rien-à-voir : sacré Edwy. La barre est très, très
haute.
Question à la con: pourquoi FT est-il le meilleur quotidien de la planète ? Vous n’êtes pas le premier à me le dire, je n’arrive pas à voir en quoi. En particulier, que faut-il lire ? La Lex Column ?
C’est le plus rigoureux dans le ton : il est très rare d’y trouver un de ces articles ou vous avez l’impression que la subjectivité du journaliste le conduit à dire des conneries. Les éditorialistes sont remarquables (Wolf, Kay, Munchau, notamment en matière économique, mais les spécialistes entreprises ou relations internationales sont eux aussi très bons). Lex est aussi très bien.