Causons un peu politique de la concurrence

concurrence

Je l’ai annoncé il y a quelques temps, je vais faire quelques questions/réponses consacrées à la politique de la concurrence. Cette série a été introduite par une question/réponse portant sur les barrières à l’entrée. Nous entrons davantage dans la vif du sujet ici. Je m’inspirerai d’un cours que j’ai donné sur le sujet. Je suis redevable à Emmanuel Combes, le seul auteur, à ma connaissance, à avoir pondu en Français des ouvrages de synthèse de bon niveau sur le sujet et que j’ai massivement pillé et remixé à ma sauce. Il a publié un Précis chez Dalloz sur le sujet et un repère à la découverte, que je vous recommande tous les deux, en fonction du niveau de détail que vous voulez atteindre.

La politique de la concurrence peut être définie comme l’ensemble des dispositifs juridiques  visant organiser et contrôler les marchés de sorte à favoriser le maintien d’un fonctionnement suffisamment concurrentiel pour que l’efficacité économique y soit maximale.

Le terme juridique interpelle, sur un blog d’économie. C’est que la politique de la concurrence et le droit de la concurrence sont clairement l’un des domaines où économie et droit coopèrent le plus. Peut-on dire que le droit de la concurrence est issu de l’analyse économique ? Ils sont intimement liés. La théorie économique est au fondement du droit de la concurrence. Une procédure en droit de la concurrence suit une logique souvent conforme à un diagnostic économique. Des outils économiques et des économistes sont impliqués dans le fonctionnement des autorités de la concurrence et dans un certain nombre de procédures où leur avis d’expert est requis (voir le procès Microsoft aux Etats-Unis par exemple, qui mobilisa de nombreux économistes – pas toujours d’accord, comme “d’habitude”). Mais le droit de la concurrence n’est pas une économie judiciarisée. Un point important dans sa formulation est par exemple la distinction entre règles per se et règles de raison. La règle per se s’exerce sur certains sujets de la même manière que voler est condamné par la justice, alors que la règle de raison évalue les conséquences finales d’un comportement sur un marché, afin de conclure sur sa nocivité pour l’efficacité économique. La première a le caractère normatif du droit. La seconde adopte plutôt le point de vue de l’économiste.

Pourquoi ne pas se limiter à la règle de raison ? Parce que l’analyse économique est complexe, contextuelle, voire contradictoire. Face à ces difficultés, le droit doit trancher pour conserver son caractère normatif (eh oui, sinon, ce n’est plus le droit). En définitive, le droit de la concurrence naît de la théorie économique (un juriste comprend il quelque chose à la concurrence à la base ?), tout en compensant ses limites en l’inscrivant dans un cadre juridique, destiné à rendre la justice (depuis quand les économistes portent-ils des robes ?).

Bon, maintenant qu’on a foutu les juristes dehors, je vous donne rendez-vous plus tard pour la suite. Le droit de la concurrence porte, dans un cadre national, sur les comportements des firmes sur les marchés. Dans le cadre européen, il ajoute un volet consacré aux aides publiques, qui sont susceptibles de fausser la concurrence dans le marché unique. On traitera essentiellement des questions liées aux stratégies des firmes, dans un cadre d’économie industrielle. Ce qui amènera à parler de la problématique des ententes entre firmes. Nous verrons que le droit de la concurrence distingue les ententes dites horizontales (entre firmes produisant le même bien) ou cartels, qui relèvent d’une règle per se (elles sont interdites car invariablement nuisibles, sauf aux yeux de certains libertariens) et les ententes verticales (entre entreprises clientes et fournisseurs, le cas le plus intéressant étant celui des producteurs et distributeurs) ou technologiques (qui visent à collaborer pour le développement de technologies communes ou concernent les échanges de brevets), qui relèvent elles d’une démarche reposant sur une règle de raison. Leur impact sur l’efficacité économique est contingente, ce qui nécessite une approche plus pragmatique. Pour justifier cela, nous présenterons les deux grandes écoles d’économie industrielle qui servent de base à l’analyse des politiques de la concurrence : l’école structuraliste et l’école de Chicago. Ce qui fera donc à ce stade deux questions-réponses. Une troisième portera sur la problématique des abus de position dominante. Pour le dire rapidement, dans l’optique de la politique de la concurrence, le fait d’occuper une position de force sur un marché n’est pas en soi un motif de condamnation. En revanche, ce pouvoir de marché, s’il est utilisé pour réduire ou contenir la concurrence est nuisible à l’efficacité économique et donc susceptible d’être condamné. Enfin, la politique de la concurrence s’intéresse aux concentrations, qui offrent le potentiel de devenir une firme dominante et ouvrent la voie à des risques en matière de concurrence.

L’objectif de cette série de questions/réponses est de montrer comment l’analyse économique donne un fondement au droit de la concurrence. A bientôt.

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