Imaginons un pays dans lequel le marché du travail dans la restauration est en déséquilibre : il y a beaucoup plus de personnes qui veulent travailler dans ce secteur qu’il n’y a d’emplois offerts. Du coup, il règne une forte file d’attente de gens désirant se faire embaucher dans ce secteur, et attendent qu’une place se libère pour espérer se faire recruter.
Par ailleurs, en examinant le marché de l’emploi dans la restauration de ce pays, on constate qu’il est très fortement règlementé, et lourdement taxé. Les règlementations font notamment que l’embauche et le licenciement d’un salarié dans la restauration nécessitent de nombreuses et fastidieuses procédures administratives; que le statut des salariés de la restauration limite fortement le nombre d’heures qu’un salarié peut effectuer. L’interprétation de la législation est par ailleurs sujette à des décisions de justice, à l’issue de procédures très longues dont le résultat dépend pour une large part des magistrats, dont l’opinion varie au cours du temps et selon les régions. Par ailleurs, l’emploi d’un salarié dans la restauration fait l’objet d’une taxe égale à 100% de son salaire.
Une partie de cette règlementation est justifiée par la volonté d’apporter avantages sociaux et protection aux salariés du secteur; mais pour l’essentiel, on constate que cette règlementation accomplit bien mal son office, car de nombreux salariés du secteur ne sont que très mal protégés et que le coût en emploi de cette protection semble outrepasser largement les avantages que les salariés en retirent. De nombreux rapports sont rédigés, qui vont dans ce sens, et envisagent des modifications de la règlementation qui corrigeraient ce défaut.
Le gouvernement décide d’un coup de se lancer dans un grand plan pluriannuel pour rétablir l’emploi dans la restauration. A grand renfort d’effets d’annonce, il présente son plan. Mais de façon très surprenante, le plan ne comporte qu’une disposition : “les candidats à l’embauche dans le secteur de la restauration devront annoncer, lorsqu’ils répondent à une annonce par téléphone, leur origine ethnique”.
Le gouvernement fait remarquer qu’il est normal d’informer l’employeur; cependant, les observateurs sont fort perplexes. Premièrement, on s’attendait à des mesures plus évidentes, comme la réforme de la règlementation, voire des allègements d’impôts; Mais cette réforme là paraît incompréhensible. Premièrement, parce que les employés non-blancs ne représentent qu’une part minime des employés du secteur, et qu’étant moins payés que les blancs, ils permettent l’existence de quelques restaurants moins coûteux pour les consommateurs.
Mais surtout, parce que la seule façon d’interpréter cette mesure, c’est de considérer que le gouvernement en appelle à la xénophobie des employeurs pour accroître l’emploi des blancs au détriment des autres origines ethniques. Si effectivement il s’agit d’une mesure “pour l’emploi” on ne voit pas à quel autre ressort le gouvernement fait appel. Et tout le monde de constater que le ministre qui propose cette mesure, une fois de plus, fait mine d’agir, mais se contente de brasser beaucoup de vent et de jouer sur les sentiments de la population (en l’occurence, les sentiments racistes de certains propriétaires de restaurants) dans ses gesticulations.
A ce point, le lecteur doit commencer à se douter de qui il s’agit. Bravo! il s’agit effectivement de la France et de son futur ex-ministre des finances. Sauf que le secteur d’activité concerné n’est pas la restauration, mais un autre secteur : celui des centres d’appel téléphonique. Certaines entreprises françaises, en effet, ont installé des centres d’appel téléphonique au Sénégal, ou dans les pays du maghreb; le ministère des finances envisage d’imposer par décret aux centres d’appel concernés d’annoncer, lorsqu’ils répondent aux consommateurs, le pays dans lequel ils se situent. Plus d’informations en allant lire cet article, ou celui-là.
Allez, mais c’est pour créer des emplois, pas vrai? Même pas. Les centres d’appel situés à l’étranger emploient environ 9 000 personnes au total, tous pays compris; pour mémoire, chaque jour, en France, plus de 15 000 emplois sont créés. Il est probable par ailleurs que ces centres d’appel permettent aux entreprises concernées de fournir ces services à leurs clients, et qu’elles ne le feraient pas sans cet avantage de coût (car installer un centre d’appel à l’étranger n’est pas simple). Cette mesure n’aura donc aucun effet sur l’emploi en France; elle conduira par contre, si elle est mise en place, à licencier des gens dans les pays qui fournissent ce service.
Il est vrai cela dit que l’avancement de carrière du ministre des finances français vaut certainement le sacrifice de quelques-uns des odieux profiteurs sénégalais ou marocains qui se font royalement payer 450 euros par mois pour fournir aux français des services utiles. Eux.
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