En commençant le livre d’Eric Maurin qui, pour les besoins de sa démonstration, fait quelques détours méthodologiques en matière d‘expériences naturelles, j’ai repensé à un reportage vu il y a quelques semaines dans un journal télévisé de France 2.
On y relatait une expérience en région parisienne où je ne sais plus qui (l’ANPE ?) avait mandaté des coachs pour aider des jeunes issus de quartiers défavorisés à préparer leur recherche d’emploi. Ces jeunes volontaires pour l’expérience suivaient un travail sur la présentation, la tenue, le langage, etc. Le but étant de mieux réussir les entretiens de recrutement. Le reportage s’achevait par “Six mois après ce stage, 8 jeunes sur 10 ont un emploi”. Y entendre : ça marche vraiment très bien. Alors, je vous pose la question : qu’en penser ?
Ma réponse au petit jeu
C’est Mathieu qui est le plus proche de ce que j’avais en tête (exactement même, il en ajoute juste un peu). Quelques autres allaient dans le même sens. Par contre, je suis extrêmement surpris de la réponse presque hors-sujet du petit Alexandre D., d’habitude plus en verve [1]. D’un point de vue méthodologique, il y a confusion implicite entre corrélation et causalité. J’ai bien précisé que les jeunes étaient volontaires. Or, dans ce genre de situations, on craint effectivement un biais de sélection. C’est celui qui est le plus motivé pour trouver un emploi qui va se donner une chance supplémentaire de le faire. Rien ne dit cependant que sans le stage de coaching, il n’en aurait pas trouvé un aussi facilement. Il y a même tout lieu de croire qu’il est mieux placé que les autres pour en trouver un. On retrouve typiquement la même relation que dans les études sur la réussite scolaire. Les établissements les plus efficients ne sont pas forcément ceux où les résultats sont les meilleurs. C’est aussi, et surtout, parce qu’ils regroupent les meilleurs élèves, qu’ils ont les meilleurs résultats. Typiquement, cette situation fait penser aux programmes expérimentaux menés à l’étranger par les adminsitrations et mentionnés dans certains ouvrages de qualité, vantés ici à diverses reprises (Là, celui-ci, celui-là, ou encore là, voire ça ou ça ; j’en oublie sûrement.). Lorsqu’on observe la trajectoire des individus ayant bénéficié d’un dispositif d’aide, il ne faut pas confondre l’effet du dispositif et l’effet des qualités particulières de ceux qui en ont bénéficié.
Comme le signale encore Mathieu, on aurait pu avoir une idée plus précise si on avait étudié le sort d’individus comparables n’ayant pas suivi le stage de coaching. Sur la taille de l’échantillon, il me semble qu’elle commençait à être correct, plusieurs sessions ayant eu lieu, si je ne m’abuse.
En conclusion, peut-être bien que ces stages de coaching ont un effet positif. Après tout, comme le dit Alexandre et Antoine, entre autres, ce peut être aussi bien un mode de construction d’un signal (sur le CV, cela montre bien un souci et une capacité à s’insérer dans des codes sociaux appréciés) qu’une contribution à l’accroissement de leur capital humain (la dernière touche à une éducation où manquent quelques éléments de détails, mais qui peuvent compter pour rendre rapidement opérationnel).
Mais, en l’état, rien n’empêche de penser que ce sont simplement ceux qui auraient été 80% à trouver un emploi dans les six mois suivants qui font ces stages. Auquel cas, l’effet est nul. Encore un bonnet d’âne pour des journalistes.
Notes
[1] Et qui comprendra au passage pourquoi je réponds jamais à ses petits jeux 😉
- Sur le passeport vaccinal - 18 mai 2021
- Laissez le temps de travail en paix - 19 mai 2020
- Élinor Ostrom, le Covid-19 et le déconfinement - 16 mai 2020
- Ne tuons pas l’enseignement à distance. Optimisons-le - 15 mai 2020
- Quelques commentaires sur les évaluations à l’arrache des systèmes de santé en pleine épidémie - 9 mai 2020
- Du bon usage du supposé dilemme santé vs économie - 9 mai 2020
- Le problème avec la courbe. Édition Covid-19 - 4 mai 2020
- Reprise d’activité - 21 avril 2020
- Problème corrigé sur les notes de lecture - 6 février 2020
- éconoclaste a 20 ans. Épisode 2. Passeurs dans les années 2000 - 27 décembre 2019
D’abord, il faut comparer le taux de réussite sur 6 mois à celui d’une population comparable non coachée. D’ailleurs, le nombre de mois n’est pas pertinent, ce qui compte c’est le nombre d’entretien avant de décrocher un job.
Ensuite, en conclure que ça marche très bien en général est un sophisme de composition. Car le coaching fonctionne selon la théorie du signal : ce qui fait bon impression est de mieux paraitre que les autres, ce n’est pas l’apparence en soi qui compte (le shampoing anti-pelliculaire et le dentifrice au bicarbonate ne sont pas des remèdes contre le chômage en France).
Version théorie du signal : en suivant ce stage, ces jeunes montrent aux employeurs qu’ils sont prêts à faire un stage de maintien pour trouver un travail; ils signalent ainsi leur motivation et leur capacité d’adaptation.
Version capital humain : être vêtu de façon appropriée, savoir s’exprimer, se "vendre" est une compétence utile dans la vie professionnelle. Ils en ont fait l’acquisition, ce qui accroît leur productivité potentielle.
Version mixte : ils ont acqui juste ce qu’il faut de capital humain pour apprendre à envoyer un signal sur leur urbanité à leur employeur.
Les jeunes "coachés" étaient-ils pris au hasard, ou bien y avait il un point commun entre eux ? (même scolarité, même poste recherché ?)
Et à formation, age et poste similaire, quelle proportion d’inscrits à l’ANPE trouve un poste dans les six mois ?
Difficile de juger de l’apport du "coaching" sans cette information là.
C’est le coeur du problème, en effet.
Il y en a donc 2 sur 10 qui sont encore à la recherche d’un emploi ? Soit 20% de chômeurs, ce qui n’est pas si impressionnant que ça. Mais il faudrait connaître le taux de chômage des jeunes issus du même quatier avec les mêmes qualifications. Si ce taux est de 50% alors oui il y a probablement un effet, en revanche si le taux "témoin" est de 21%, l’effet du coach est négligeable.
On ne peut pas vraiment mesurer un taux de chômage (les 20% évoqués) de cette façon, pour des jeunes en première recherche d’emploi. 8 sur 10 qui trouvent un emploi dans les six mois suivants, c’est assez remarquable, en fait, quand vous savez que les taux de chômage mesurés sur tous les jeunes actifs de 16 à 25 ans dépassent largement les 20% dans les quartiers défavorisés, quelle que soit la durée de leur recherche d’emploi (de quelques mois à des années).
Quelle étrange manière de répondre quand est attendu un analyse critique. A force d’eclairage prismatique on reduit le signal et sans force toute réponse ne peut qu’être inadéquat au potentiel originel de la question. La cohérence du signal entrée sortie doit être garantie sinon c’est juste du blahblah…Donc pas étonnant de lire ensuite "la version capital humain" aussi maltraité.
Donc deux versants qui sont sans reflets dans ce commentaire, qui ferait passer un commentaire de bistrot du genre " c’est tellement débile que s’en est drôle cette histoire" pour une analyse de la modalité impotente mise en scène dans ce jeu de dupe présenté par F2.
A média triomphant et orienté réponse sans saveur et assémique. Tout cela fonctionne bien non?
Mais qui est le joueur en première base ?
Version journaliste improbable : quels emplois et quels contrats ont-ils dégoté ?
Version coach : quelle mobilité potentielle ?
Sur les emplois trouvés, peu importe. La question est de savoir s’ils les auraient eus sans coaching.
Vous êtes en 2007 et vous croyez encore ce qu’on vous dit à la télévision, bonsoir 😉
Combien de temps, dis-moi combien de temps… l’affaire tiendra-t-elle ? Franchir le pas de l’entretien et les 6 premiers mois c’est bien. Vont-ils réussir à continuer à se lever à l’heure 6 mois de plus ?
Sinon on va essayer d’éviter les antiennes sur l’échec de l’éducation parentale et nationale qui n’ont pas su doter ces jeunes ces outils élémentaires de la socialisation …
Et s’il faut en passer par là, allons-y. Tout vaut mieux que de laisser ces jeunes tourner en rond…
Tiens, dites moi : question très méthodologique, c’est juste une observation statistique qui vous conduit à ce genre de réflexions ou un genre de racisme social ? Je note, mort de rire, que vous considérez comme acquis que l’effet, même temporaire, de ces stages est spectaculaire… A moins que tout cela ne soit du second degré ?
Je me demande bien comment le journaliste d’Antenne 2 a donc fait pour entendre parler de la chose : ça sent l’opération de com à plein nez.
Ce qui ne veut pas dire que ce qui est dit est faux : mais il est probable que tout n’a pas été dit : par exemple, quel a été le procédé de sélection du public confié aux coaches ?
Hum, je ne sais plus. Mais bon, le problème est de cet ordre.>
Version psy : la positive thinking attitude est bénéfique chez une partie de population marquée de signes de l’infériorité sociale – patronyme à consonance étrangère, adresse peu prestigieuse, aspect physique désavantageux (par ex. obèse, gueule d’arabe, les deux à la fois c’est très dur) qui sont la plupart de temps en contradiction avec les stéréotypes recherchés par l’employeur.
Cette attitude positive provoque une réaction altruiste (composante naturelle de l’esprit humain) chez l’interlocuteur, le coaching n’étant qu’une mise en forme comportementale. Etant entendu que les compétences doivent suivre.
Mouai… Et ?
Bon, dans l’ordre :
– Biais de sélection : les jeunes sont volontaires, donc ce sont les plus motivés, donc a priori ceux qui étaient déjà las plus susceptibles de trouver un emploi.
– Pas de référence aux résultats des autres jeunes à position comparable (ie pour voir si le coaching a fait une différence).
– Taille de l’échantillon non précisée.
Bref, l’expérience est sans doute exploitable, mais pas avec les seuls résultats donnés dans le reportage.
Même si on disposait d’une population de comparaison (détail qui passe manifestement par dessus la tête du journaliste moyen), le fait d’assister à ce stage dépend peut-être de la motivation à trouver un emploi, d’où biais d’endogénéité.
Oui. Rien à ajouter. C’est efficacement résumé.
On aurait sans doute pu leur apprendre à jouer "l’Internationale" en pétant, le résultat aurait été le même. Les études citées par Cahuc et Zyl dans leur bouquin sont autrement plus étayées (groupes tests, et démonstration des causalités, pas seulement des corrélations).
Eh eh… ça t’en a bouché un coin ça, hein. Les machins hyper précis avec des trucs bien sérieux. Crevant…
Pour ceux qui sont intéressés par le sujet référez vous aux statistiques des PLIE(Plan locaux d’insertion par l’emploi) qui soutiennent financièrement via subventions des activités(le plus souvent associative) visant à améliorer le capital humain des sans emplois.
Le reportage de France2 n’a donc pas trouvé la solutin au chômage francais, les PLIE et organisme de réinsertion existant depuis plusieurs années déja.
Quant aux résultats annoncés de 8 remises a l’emploi sur 10 ils me paraissent surestimés(par exemple le PLIE du grand Avignon a un taux de remise a l’emploi tournant autour de 30% 40%
Mouai, enfin, vous savez… ici, personne ne pense (du moins je l’espère) que France 2 a trouvé la solution au chômage.
Bien sûr que je considérais l’effet de ces stages comme spectaculaires. Je l’ai vu dans un blog, donc c’était vrai 😉
et si le journaliste n’était pas si idiot ?
Si il laisse vraiment sous-entendre ce que vous dites, cela revèle peut-être tout simplement que dans son esprit le taux d’intégration sur le marché du travail de ces jeunes, même motivés, est bien plus bas. Il partirait pour cela d’une connaissance commune supposée vraie par lui d’une difficulté rédhibitoire à entrer sur le marché du travail pour les jeunes des quartiers difficiles.
Par ailleurs, comme vous le soulignez, il n’a pas vraiment lui-même donné de conclusion sur l’utilité de ce coaching. Il le laisse sous-entendre dites-vous par sa phrase finale. Mais à partir de cette même phrase, vous relativisez l’effet de ce stage. Pourquoi supposer que le journaliste voulait sous-entendre un taux de succès du stage de 80%. Peut-être a-t-il souhaité lancer des discussions du type de celle que vous avez. " Voilà à la sortie du stage, le taux d’intégration est de 80%, compte tenu de ce que je viens de vous en dire et de ce que vous savez du marché du travail, je vous laisse, vous téléspectateurs, tirer vos propres conclusions."
Enfin, qui peut croire même à l’issu de ce reportage, que le problème du chômage dans les quartiers défavorisés pourrait être réduit de 80% par le biais du coaching.
Je veux bien admettre que les médias utilsent des raccourcis qui peuvent altérer la compréhension des enjeux. De là à supposer que le journaliste et les auditeurs sont des idiots, il y a une marge quand même.
Je n’ai pas insinué que le journaliste était idiot ; j’ai juste souligné que son information était suggestive et très incomplète. Vous pouvez lui trouver toutes les excuse possibles, ça reste vrai. Vous êtes journaliste ?
non, je suis plutôt économiste et formé à la dure école du Delta, peut-être suis-je juste indulgent
On ne peut pas vous le reprocher. En revanche, eux, le sont-ils avec vous ?