Bac + 5 en terrorisme, une compétence recherchée

L’échec scolaire n’est pas toujours une mauvaise chose.

 

Après les attentats du 11 septembre, la thèse selon laquelle la violence terroriste, suicidaire en particulier, était l’affaire des exclus et des pauvres en a pris un coup. On découvrait que la plupart des kamikazes ayant pris part aux attaques étaient au moins diplomés du secondaire. Ce qui n’allait pas dans le sens commun, prompt à mettre sur le compte du désespoir l’attitude suicidaire des terroristes. L’analyse économique du terrorisme a connu un certain dynamisme depuis cette période. Pour Alan Krueger, économiste du travail, auteur d’un livre récent sur le sujet, ce domaine de recherche a sa place dans l’analyse économique pour deux raisons. L’activisme terroriste est une activité humaine comme une autre, en ce sens qu’elle repose sur un choix d’occupation de son temps. La pratiquer engendre des gains et des coûts entre lesquels il faut arbitrer. Typiquement un problème économique, donc. Au delà, il est intéressant de chercher à comprendre comment, à l’inverse, les situations économiques peuvent avoir une influence sur la violence des individus. La thèse de Krueger est que le terrorisme n’est pas une activité de pauvre et de mal éduqué, au contraire. Il existe une “rationalité du sacrifice” qui conduit plus facilement des individus diplômés ou riches à commettre des attaques suicide.

Dans l’édition estivale du Journal of Economic Perspective, Efraim Benmelech et Claude Berrebi ont publié un article qui étudie le lien entre niveau de capital humain et productivité des kamikazes en Israël . Leur hypothèse de travail, conforme aux vues de Krueger, est que les attentats sont d’autant plus meurtriers que les terroristes sont dotés en capital humain. L’article a un intérêt double : montrer que les données sur l’Etat d’Israël confirme bien la relation supposée et rappeler pourquoi des individus éduqués peuvent choisir la mort pour valoriser leurs compétences.

Un marché du travail pour suicide bombers

Benmelech et Berrebi s’appuie sur un arrière-plan théorique qui repose sur une analyse en termes d’offre et de demande proche d’une logique de marché du travail. Dans un “marché du travail” pour terroristes, les attaques suicides sont des tâches complexes, qui réclament une certaine habileté en matière de dissimulation, temporisation, évaluation des dégâts potentiels à un instant donné. Il est naturellement préférable pour une organisation terroriste de rechercher des individus dotés de telles capacités. Plus précisément, c’est l’importance de la cible qui doit déterminer le niveau de compétence du kamikaze. Outre la qualification pour faire le boulot, on peut aussi supposer qu’un haut niveau d’éducation signale un engagement plus important (ce qui compte en termes de confiance et fiabilité).[1]

Du côté de l’offre, les gains escomptés sont : la célébrité, les honneurs, la reconnaissance, le statut moral, l’accomplissement personnel, les gains obtenus par les proches ou soi-même avant l’attaque et, pour finir, la satisfaction de causer des dégâts à un groupe haï.[2]. Tous ces éléments sont croissants en intensité selon la difficulté et l’ampleur de l’attaque programmée.

Un lien avéré entre capital humain et efficacité des attentats

L’étude empirique porte sur les données collectées entre 2000 et 2005 par l’ISA (Israeli Security Agency). Elles décrivent les 151 cas d’attaques suicide en Israël sur la période (identité des kamikazes, âge, niveau d’éducation, etc.).
Pour mesurer l’importance de la cible, c’est la taille des villes attaquées qui est retenue. Pour établir un lien entre capital humain et productivité, les auteurs évaluent d’abord la corrélation entre taille des villes et dégâts causés. Elle est significative. Ensuite, c’est le lien entre capital humain des terroristes et taille des villes qui est étudié (pour vérifier si les organisations terroristes affectent bien les plus dotés en capital humain aux cibles importantes). Là encore, la régression est significative, aussi bien lorsqu’on se penche sur le niveau d’éducation que sur l’âge des terroristes (qui capture l’effet expérience dans le niveau de capital humain)[3] C’est finalement le lien entre capital humain et productivité des attaques qui est testé, pour des niveaux d’importance des cibles équivalents. Il en ressort que les terroristes les plus âgés et les mieux éduqués sont d’autant plus performants qu’on leur assigne un objectif ambitieux. Un terroriste éduqué peut tuer de quatre à six fois plus de personnes qu’un non éduqué quand la cible est importante. La comparaison des terroristes ayant échoué et de ceux ayant réussi leur attaque montre par ailleurs clairement que les plus âgés et les plus diplômés échouent moins souvent$$Un contre-exemple intéressant est celui des attentats ratés à Glasgow durant l’été 2007. Sur ce sujet et sur celui de ce billet en général, voir cet article de Tim Harford.

Conclusion

Les résultats de cette étude ne sont guère surprenants. Ils présentent néanmoins plusieurs intérêts. Ils confirment, en premier lieu, les hypothèses concernant la rationalité sous-jacente d’actes qui ne le sont pas en apparence. Pourquoi quelqu’un de sensé, diplômé et relativement mûr peut-il aller tuer des gens en faisant sauter une ceinture d’explosifs fixée à son corps ? Parce qu’il peut en retirer une utilité, d’autant plus grande qu’il dispose de qualités que d’autres recherchent et valorisent. Ensuite, ils attirent l’attention sur l’éducation comme frein tout relatif à la violence. Loin d’être toujours efficace, elle peut ponctuellement se retourner contre la société si celle-ci ne veille pas à véhiculer des enseignements capables de réduire l’utilité d’une action violente. A défaut de pouvoir le faire, on sait au moins vers qui doivent tendre en priorité les efforts pour réduire au maximum l’efficacité des attaques suicide…

Notes

[1] Où l’on retrouve la théorie du signal formulée en économie de l’éducation…

[2] Il faut noter qu’une part non négligeable de ces gains sont perçus avant le décès.

[3] Pour contrôler la causalité inverse taille des villes-capital humain, les données concernant le lieu d’habitation des kamikazes sont mobilisées. Il n’y a pas de lien entre les deux.

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27 Commentaires

  1. Article intéressant. A mon avis, ce qu’il reste à expliquer est justement pourquoi certains individus diplômés rentrent dans la carrière terroriste, pour quelles raisons ils acquièrent des préférences telles que se faire sauter à l’explosif devient rationnel – et pourquoi certains ne le font pas… Pour cela, il me semble difficile de se passer de la notion de socialisation. Je m’y étais essayé, un peu maladroitement, ici : uneheuredepeine.blogspot….

  2. Quand on dit que "corrélation n’est pas raison" c’est principalement destinée à ce genre de sujet. Quand on me présente une étude sur le terrorisme en ayant recours uniquement à l’analyse économique pure, je peine à suivre. Oui à la "rationalité du sacrifice" mais peut-on étudier ce problème d’un point de vue économique sans faire appel à la psychologie, à la sociologie ou à l’histoire. Je n’ai pas beaucoup compris. Soit ces auteurs cherchent à expliquer qu’une facette du problème et dans ce cas, ils l’ont écorchée, soit ils prennent vraiment au sérieux ce type d’analyse et dans ce cas, on peut dire qu’ils ne se contentent pas de simplifier le problème, ils le suppriment même.

    Les travaux en psychologie, en histoire, en sociologie contiennent-ils des modèles économiques ? Généralement pas. Est-ce une raison pour dire qu’ils suppriment le problème dont ils traitent ?

  3. @SM, vous ne m’avez pas compris. Je ne dis pas que tous les travaux en économie doivent contenir de l’histoire ou de la sociologie (pareil pour l’inverse). Mais je vous dis que pour ce problème particulier qu’est le terrorisme, l’analyse économique pure ne peut suffire. Je n’ai rien contre l’analyse économique pure et c’est ce que je fais tous les jours (et je connais rien à la sociologie ou à la psychologie)mais faut reconnaitre qu’il existe des problèmes économiques impurs et dans de pareil cas, faut interpréter les corrélations avec beaucoup de recul.

    Est-ce que ma présentation de cet article laisse supposer le contraire ? Je crois qu’il ressort clairement de ce post qu’il porte sur un aspect de l’économie du terrorisme. Et je crois que le début, qui justifie que l’économiste se penche sur le sujet, laisse également entendre qu’il n’y a rien de naturel à cela. On devrait en déduire facilement que l’économie n’a pas vocation à expliquer seule le terrorisme. En tout cas, je pensais que c’était évident. C’est la même chose sur de nombreux sujets. Le problème, c’est qu’avec des réticences comme celles que vous formulez, l’économie de certains sujets n’existerait tout simplement pas. Or, dans bien des cas, ce serait dommage. Un seul exemple : l’économie du crime de Becker. Moi aussi, à une époque, j’avais des problèmes avec ça. Mais la curiosité et l’idée que les économistes, y compris à Chicgao, n’étaient pas des sales cons, m’a poussé à regarder de plus près. Quand je vois comment on peut la mobiliser sur des sujets tels que le téléchargement, par exemple, je songe que Becker a servi à quelque chose.

  4. Ceci dit, vous forcez la lecture de ce texte. Par exemple, les préjugés favorables au terrorisme sont extrèmement important dans la population. 90% des étudiants soutiennent les actes terroristes et 81% seulement des ouvriers… Bon, ça nous fait effectivement un effet du niveau de diplôme sur ce préjugé favorable, oui… en même temps, j’ai eu un peu l’impression, comme l’auteur, qu’ils passent allègrement à côté du sujet… plus de 80% de la population soutient les attentats et on se pose la question de savoir si les peu diplômés ou les diplômés le soutiennent plus ou moins…
    Au final, s’il y a un effet de sélection (ce qui rappelle furieusement Sutherland et Howard Becker) il paraît difficile de dire que l’utilité supérieure qu’en retirent les diplômés les incitent au terrorisme. En fait, ce qui est effrayant, c’est la masse de gens qui semblent prêts à le faire (moyennant un endoctrinement minimum) et la possibilité pur les organisations de sélectionner parmi les candidats.
    Sinon, je trouves bizarre votre réponse à "l’auteur", qui certes, manque de diplomatie (comme moi, oui, je sais…). Mais il n’y a pas une réalité sociologique et une réalité économique du terrorisme, c’est la même chose. C’est pour ça d’ailleurs que je trouves dommage qu’on ne se lise pas plus. Becker et Sutherland ne sont pas cités, à la limite c’est pas grave. Mais l’article passe son temps à disqualifier des affirmations de sens communs tellement grossières qu’en fait, personne ne les soutient: "les pauvres deviennent terroristes". Même l’antiaméricanisme/gauchiste primaire le plus vulgaire dit en général: "les pauvres deviennnent terroristes à cause des américains qui les ont appauvris" ce qui est un énoncé encore bien faible mais qui, au moins, contient un rapport social (ou une relation, après tout le mot social n’est même pas nécessaire). Ca montre que la pensée la plus vulgaire n’est pas nécessairement tellement plus pauvre que le discours scientifique le moins informé… par exemple, ils auraient pu, pour construire leur travail, partir de ce genre de remarques, cette fois sur des émeutes:
    "Il faut partir de ce qui est le plus évident et de ce qui est exprimé avec le plus de force au sein de la population où se recrutent les émeutiers, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Grande-Bretagne à savoir une hostilité extrême et largement répandue à l’égard de la police, des pratiques de ses agents et de ce qu’elle représente. Dans toutes les enquêtes conduites auprès des émeutiers, la dénonciation des pratiques policières passe toujours avant celle du chômage, de l’inconfort du logement, de la pauvreté des équipements sociaux. L’expression de cette hostilité s’organise autour de trois griefs : des contrôles incessants et discriminatoires de la part de la police ; des comportements policiers violents et racistes lors des contrôles, des arrestations et des manifestations ; l’absence de protection offerte par la police aux victimes d’attaques raciales et face à la criminalité en général." http://www.conflits.org/document...
    Personnellement, je trouves le parallèle assez saisissant (remplacez policier par armée et contrôle par checkpoint. Intéressant aussi, le fait que le reste du texte explique les émeutes par un rapport colonial… hum, ceci dit, il me sembles que vous aviez qualifié de "ridicule" les sociologues présentant les émeutes comme des actes politiques… bon, c’est pas gagné dans ce cas…).
    Trouvé en deux minutes grâce à google. C’est à la portée (ce texte ou un autre du même type) de n’importe qui. Pourquoi donc invalider des propos si sommaires que personne ne les tient et ne pas essayer d’invalider des trucs un tant soit peu construits?
    En tout cas, je comprends le discours un peu désabusé de "l’auteur". Invalider des affirmations creuses a quand même des limites… On a quand même, sur ces sujets, un demi-siècle d’apports sociologiques, des théories de la frustration relative à celles de la mobilisation des ressources, qui ont largement invalidé l’idée que les mouvements sociaux soient le résultat direct de la pauvreté.

    A la fin de ma lecture, je me suis dit "tien, ils ont pas pensé à faire un article pour montrer que tous les arabes ne sont pas des voleurs, ou encore pour montrer que tous les sociologues ne sont pas des bolchéviques portant un couteau entre les dents…" j’ai pleins d’idées si ils veulent… (il paraît qu’on est bien payé, en plus, aux US…)

    Un peu long pour un dimanche soir… Bon, je retiens une ou deux remarques. Il n’y a pas une réalité sociologique et un eréalité économique du terrorisme. Simplement, il n’existe personne qui soit capable de fusionner les deux. Comme n’importe quel clanpin, je serais ravi que ce soit le cas. En attendant, j’essaie de prendre le meilleur des deux mondes pour me faire une idée. Et comme mon domaine est plutôt l’économie, je rapporte ce que les économistes font sur ce sujet. Franchement, j’en ai un peu marre de me faire allumer pour ça. Notre site s’appelle éconoclaste, c’est pas pour rien. Pour le reste de vos ommentaires, ça me semble ingérable. Vous parlez de choses qui sont très éloignés du fonds de l’article. A la limite, c’est moi qui ai, en introduction et en conclusion, élargi le sujet, pour remettre l’article un peu dans son contexte. J’écris que les conclusions de l’article ne sont pas surprenantes. Que les types qualifiés soient plus productifs, ça ne doit pas trop surprendre, non ? Qu’ils soient recherchés pour ça, non plus. En gros, comme l’auteur, vous vous mettez à un niveau bien trop large pour évaluer l’intérêt de l’article, qui avait un but précis et limité : savoir si les plus dotés en capital humain font plus de dégâts. Je suis surpris, parce que la critique que j’avais envie de formuler en tant que lecteur de ce que j’avais écrit sur l’article, c’était plutôt “Ah, ok. Et on a appris quoi Monsieur éconoclaste ?”. La réponse est assez simple : à partir d’un cadre théorique simple, on a testé certaines de ses hypothèses. Et le résultat les valide, en attendant plus amples confirmations. Bref, du travail d’économètre.

  5. Oups, méa culpa. Il me semblait qu’Alexandre avait écrit ce post, parce qu’il me semblait qu’il était fan d’analyse économique de la délinquance… Et c’était lui qui avait qualifié les analyses sociologiques des émeutes de ridicule. Voila un peu pourquoi je m’énerve aujourd’hui, mais je tapes sur la mauvaise personne… Pas de bol, je ferais plus attention, la prochaine fois… 😉

    Ah, ça prouve l’homogénéité de nos perspectives. Ce dont personne ne devrait douter ! Sur les sociologues et les émeutes, je m’en étais payé un tout de même. Un type qui disait au JT que les bagnoles étaient visées en priorité en tant que symbole de la société de consommation refusée aux jeunes des quartiers. Je trouvais un peu léger d’omettre au passage qu’une voiture, pleine d’essence, ça brûle beaucoup mieux qu’un trottoir en bitume. Et, les poubelles, quand on les crame, c’est aussi un rejet du rejet de la société de consommation ? N’oubliez pas que ce sont aussi ce genre de pignoufs qui décrédibilisent certaines disciplines.

  6. "Ensuite, ils attirent l’attention sur l’éducation comme frein tout relatif à la violence. Loin d’être toujours efficace, elle peut ponctuellement se retourner contre la société si celle-ci ne veille pas à véhiculer des enseignements capables de réduire l’utilité d’une action violente."

    Le programme européen Tempus tout entier avait pour vocation de permettre aux filières universitaires en sciences sociales d’europe de l’est de devenir autre chose que les filières de formation des cadres des gouvernements communistes qu’elles étaient.

    Dans les années 70-80, un nombre significatif de filières universitaires en sciences humaines étaient réputées pour être de simples cellules de formation des cadres du PS et du PCF, leur fournissant à la fois la culture idéologique et le diplôme nécessaire pour exercer sur des postes cadres dans l’administration.

    Enfin, les critiques alter-mondialistes considérant certaines très honorables filières de formation françaises ou étrangères comme les cellules de formation de cadres lobotomisés prêts à l’emploi pour multinationales au sens le plus péjoratif du terme sont elles absolument et totalement infondées ?

    Vous savez à quoi je pensais quand j’ai écrit ça ? Au chef de la cellule terroriste qui a exécuté Daniel Pearl. Un type formé à la London School of Economics et qui a appris à détester l’occident pendant son séjour à Londres. Après, je ne sais pas où est la vérité. Ailleurs, d’après une série culte.

  7. AD : Ha oui, effectivement, il y a aussi ce côté là : Quand je me souviens des petits films qu’on pouvait voir sur " http://www.brotherandbrother.fr ", je ne pouvais m’empêcher qu’il fallait avoir une connaissance intime du système qu’on dénonçait pour pouvoir en manipuler avec autant d’aisance les codes culturels et les valeurs.

    Pour ceux qui auraient raté, le plus célèbre de ces films est là :

    http://www.dailymotion.com/video...

    Sans doute cependant vaut-il mieux faire de petits films que se faire péter la gueule.

    Quand à savoir où est la vérité, … à mon avis, il y a toujours hélas une part de profonde vérité dans les opinions les plus choquantes à nos yeux, qui que nous soyons, quoi que nous pensions.

    Euh, pour info, je suis SM, l’auteur du post, pas AD… C’est écrit en dessous du titre, en rouge.

  8. Euh, il me semble qu’il y a quand même un gros cactus dans le parallèle kamikaze – demandeur d’emplois.
    Le problème est côté offre. L’individualisme méthodologique démarre avec le "je". Si mon calcul d’utilité personnelle, (avec toute la série d’hypothèses annexes qui accompagne généralement ce type d’analyse des "choix"… capacité de calcul et de prévision, par exemple) me conduit à considérer la mort comme avantageuse, alors c’est que le concept d’utilité est sacrément dilué et n’a plus aucun sens !
    La science économique ainsi conçue ne bute t’elle pas ici sur une contradiction ultime : si le "je" qui calcule disparait en fin de processus de choix, comment peut il justifier son existence ? Allez, faites la série de raisonnement à rebours qui va bien, et même en information imparfaite, réintégrez les hypothèses fondamentales d’un raisonnement O/D sur "marché" du travail (dotations, élaboration préalable d’une liste complète des couples offre d’activité – incitation…qui postule donc que tout être humain est disposé à mourir, -ce serait juste une question de niveau de la "récompense").
    Clairement, les facteurs évoqués (l’altruisme, la recherche d’honneur pour la famille, son nom, etc.) certes sont parfois abordés par cette forme appauvrie de science économique, mais ne peuvent relever que d’une autre logique explicative, dont rend compte la sociologie beaucoup plus efficacement (lire "le suicide" de Durkheim, par exemple).

    Bref, l’économiste n’a pas à s’occuper de cette chose. D’accord, d’accord.

  9. Sociologue: Cyrulnik (celui du gang Attali) ne prétend-il pas faire le pont avec ses théories sur socialisation et résilience ? (vous me direz, ce n’est pas de la socio, ok…). Je poense qu’on peut éventuellement appliquer le discours théorique autour de la résilience au parcours des plus instruits des kamikazes modernes.

    SM: Il me semble que l’un des chevaux de bataille de l’actuelle sociologie est de dire que nous sommes tous les produit de choses sociales : difficilement compatible avec une approche centrée sur l’individu comme le fait le discours économique sur les incitations/retributions

    NB: Pardonnez les errements de vocabulaire d’un non-spécialiste.

    Il est vrai que l’économie n’a pas trop la cote en ce moment. Je pensais pourtant que ce n’était pas le fait d’intellectuels.

  10. SM: Tout ce que je voulais dire, c’est que, au vu de ce que je comprends (…) de l’économie actuelle et de la sociologie actuelle, un débat me semble difficile au vu des postulats de chacun. Par contre, il peut y avoir débat entre ce que je (…) comprends de l’économie et ce que je (…) comprends des sciences comportementales (anthropo, psy, neurosciences, etologie, etc.)

    Sur ce, je retourne cacher mon incompétence à côté du radiateur…

  11. Citation : "Bref, l’économiste n’a pas à s’occuper de cette chose. D’accord, d’accord. / Fin de citation.

    Pas tous les économistes, certains seulement.

  12. Tout d’abord, je voudrais dire que rapprocher de quelques façons que ce soit Boris Cyrulnik de la sociologie est une insulte pure et simple aux sociologues et à tous les pratiquants de sciences sociales, économie comprise. D’ailleurs, l’existence même de Boris Cyrulnik est une insulte à la psychiatrie, mais passons…

    Sinon, j’ai l’impression que l’on juge un peu durement les économistes quant au terrorisme. Certes, en s’attaquant à un tel thème, l’économie touche assez rapidement ses limites : celles de l’explication de la violence, qui pose quelques problèmes à ses hypothèses. Mais en même temps, c’est là le lot de toute discipline qui se frotte sérieusement à ce thème : s’il y a bien un objet sur lequel aucune science ne peut prétendre avoir de monopole, c’est bien celui de la violence !

    Mais l’approche économique n’est pas inintéressante. Honnêtement, qui avait pensé, ici, que dans le recours à des diplômés pour les attentats, il y avait une simple considération d’efficacité, ceux-ci faisant plus de dégât ? J’avoue que je n’aurais jamais pensé à cela… Le travail statistique sur cette question est plutôt le bienvenu.

    Bref, il y a de bonnes choses à prendre dans cette analyse, même si sur le plan de l’explication, elle ne suffit pas.

    Vous avez raison sur tous ces points. On en revient toujours au délire habituel sur l’interdisciplinarité. Il n’existe pas de science sociale unifiée. Et elle n’est pas prête d’exister. En attendant, donc, autant construire un patchwork avec le meilleur de tous les mondes. Un jour, la mutation s’opérera peut-être. En plus, dans ce domaine spécifique, l’intérêt formel de l’économie est récent.

  13. Cet article, rare :

    ptonline.aip.org/journals…

    signé de Pervez Hoodbhoy (chair and professor in the department of physics at Quaid-i-Azam University in Islamabad, Pakistan) pourrait éventuellement intéresser.

    "This article grew out of the Max von Laue Lecture that I delivered earlier this year to celebrate that eminent physicist and man of strong social conscience. (…) The question I want to pose—perhaps as much to myself as to anyone else—is this: With well over a billion Muslims and extensive material resources, why is the Islamic world disengaged from science and the process of creating new knowledge? To be definite, I am here using the 57 countries of the Organization of the Islamic Conference (OIC) as a proxy for the Islamic world. "

  14. "si le "je" qui calcule disparait en fin de processus de choix, comment peut il justifier son existence ?"

    @Sociologue: le "je" ne disparaît pas, dans la perspective du kamikaze islamiste. L’analyse me paraît donc tout à fait valide.

    En revanche, je ne sais pas ce qu’il en est des kamikaze japonais. Avaient-ils une perspective d’au-delà? Je suppose qu’il y a eu des études comparées?

    Bien sûr. Sans même aller chercher cet aspect, on a du mal à expliquer que des gens puissent fumer 3 paquets de cigarettes par jour, sachant qu’en plus, ça ne leur amènera pas de vierges après la mort… Je ne sais pas à quel point c’est pertinent, mais je pense qu’il est utile d’insister sur la question des gains avant la mort.

  15. J’avoue que je n’y avais pas tellement pensé. Il doit y avoir sans doute aussi, en plus des gains que vous mentionnez, un cocktail ennivrant de confort de la certitude et de sentiment de grandeur, sans même parler de l’intensité de chaque seconde vécue quand on les sait comptées (un mécanisme économique, encore, si je ne m’abuse).

    Tout ça entre bien dans les arguments donnés par les auteurs de l’article. En principe, tout est question d’actualisation : si vous éprouvez une satisfaction terriblement intense à l’instant présent, vous êtes susceptible de renoncer à des plaisirs plus lointains. Nous expérimentons tous cela dans des situations différentes. Je ne vois pas pourquoi on n’envisagerait pas ce genre de raisonnement dans un cas pareil. Ce n’est pas plus fumeux qu’autre chose. Après tout, qu’est-ce qui explique correctement que des gens soient prêts à se tuer ? Notre réaction spontanée est de dire qu’ils sont fous. Mais bon, c’est encore un peu court dans bien des cas. Et c’est bien pour cela que des économistes ont mis leur nez là dedans. Pas pour dire que les kamikazes sont des homo economicus parfaits. Juste pour voir si cette dimension peut aider à comprendre un peu mieux ce qui se passe.

  16. " Il me semblait qu’Alexandre avait écrit ce post, parce qu’il me semblait qu’il était fan d’analyse économique de la délinquance… Et c’était lui qui avait qualifié les analyses sociologiques des émeutes de ridicule."

    Heu, j’ai dit ça quand, moi? :-/

  17. Le cœur de la discussion tourne autour de la rationalité des comportements (et par extension, autour du concept d’utilité). Avis aux économistes présents : pouvez vous me donner un exemple, un seul de comportement véritablement irrationnel, au sens des économistes modernes ? Non ?
    Je répète, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Durkheim pratiquait déjà l’analyse multi-variée…

    Lisez toute la littérature behavioriste. Mais à quoi bon ? Vous êtes visiblement en croisade. Je n’aime pas les croisades. C’est irrationnel.

  18. Ok, rien à faire. Vous êtes imperméable à la critique externe que l’on vous propose, et vous vous réfugiez systématiquement dans l’ironie, pour ne pas voir en face les limites d’un système de pensée clos sur lui-même. C’est dommage.

    D’une part, si vous appelez critique externe vos lieux communs ironiques, que j’entends et lis depuis des lustres, alors je me mets effectivement un point d’honneur à y rester hermétique. Et, surtout, ne retournez pas la situation, puisque j’ai répondu à votre question au sujet des économistes et de la rationalité, laissant entendre que toute la branche behavioriste recense de nombreux cas. Vous ne voulez tout de même pas que je prenne le temps de répondere en détail à une réflexion formulée comme vous l’avez fait ? Bref. Le refuge et l’hermétisme ne sont pas forcément là où vous dites.

  19. "Pourquoi quelqu’un de sensé, diplômé et relativement mûr peut-il aller tuer des gens en faisant sauter une ceinture d’explosifs fixée à son corps ?"
    je veux bien que ce soit un blog centre sur l’economie, mais ne pas mentionner une seule fois l’islam, quand meme …
    Education et ferveur religieuse produisent un mauvais mix, rien d’etonnant. Si quelqu’un devient aveugle par sa foi, il va bien sur mettre son esprit rationel a son service.
    Je pense que la principale explication est bien sur la croyance religieuse. Quand elle tourne (plus) mal, ils passent a l’acte. Et les organisateurs de tout ca vont bien sur choisir les meilleurs pour les attentats les plus difficiles/importants.

  20. Pour mémoire, le premier attentat-suicide recensé par les historiens (le 30 mai 1972) est le fait de terroristes de l’armée rouje japonaise, à l’aéroport de Tel-Aviv, probablement associés à l’époque aux palestiniens, loin donc de toute considération religieuse.

    De notoriété publique, ce sont les instructeurs de l’armée rouge japonaise qui formèrent à leur tour les premiers formateurs du FPLP et du Hezbollah. D’ailleurs, le mode opératoire des membres du commando septembre noir des jeux olympiques de Munich impliquait que chacun des terroristes savait fort bien qu’il avait de grandes chances de mourir dans l’opération.

    Tout ceci n’a pas grand chose à voir avec la religion. Il est clair que les techniques anti-terroristes ont du s’adapter, après Munich, au risque de terroristes kamikazes et ont donc commencé à developper les techniques de représailles et menaces physiques sur les proches des terroristes kamikazes, seules à même de dissuader des militants politiques prêts à agir héroïquement au point de risquer indéniablement leur vie dans des opérations à forte visibilité.

    http://www.linternaute.com/histo...

  21. Sociologue : "Avis aux économistes présents : pouvez vous me donner un exemple, un seul de comportement véritablement irrationnel, au sens des économistes modernes ? Non ?"

    Tant que je suis là, je voudrais un peu défoncer un mythe – et peut-être que je finirais par le faire sur mon propre blog parce que c’est un mythe répandu – en retournant la question : peut-on me montrer un sociologue qui soutient réellement que les comportements humains sont essentiellement, souvent ou même seulement régulièrement irrationnels ? Je ne pense pas. Certes, les sociologues sont attachés à comprendre et à expliquer la rationalité qui sous-tend certains actes… Mais même lorsque Bourdieu explique un comportement par l’habitus, ce comportement bien que déterminé n’est pas irrationnel : il répond à une rationalité particulière, celle qui est commandé par les dispositions incorporées par l’individu. Faire de la sociologie ou de toute autre science sociale une affirmation de l’irrationalité de l’homme, c’est, à mon humble avis, ne rien avoir compris aux sciences sociales. Tout acte humain répond à une certaine rationalité : l’enjeu est souvent de comprendre laquelle.

  22. (Retour après absence).
    @SM : Merci pour les lieux communs ironiques. Décidément, on ne se comprend pas ! Les économistes béhavioristes (si on parle bien des mêmes)confrontés à de multiples "paradoxes", ne trouvent rien d’autre à faire que d’introduire de nouveaux ingrédients dans les fonctions d’utilité (nouveaux critères de décision, paramètres divers, modifications du type fonction de regrets, etc) pour conserver l’hypothèse de rationalité, sans remettre en cause la construction dans son ensemble.

    Ah ? Dites le leur, ça va les faire rire. Documentez vous sur ce courant.

    Par ailleurs, la question est de savoir si l’étude de Benmelech et Berrebi relève de ce cadre théorique (ils font plutôt référence à Becker)… et en fait, s’ils font bien de la science économique.
    @Une heure de peine : contrairement à ce que croit SM, je e suis pas dans une stupide croisade qui vise à opposer les disciplines. Je relève simplement les limites de l’hypothèse de rationalité utilisée en sciences économiques, hypothèse aujourd’hui tellement diluée, qu’elle peut conduire à TOUT expliquer.A ce stade, ce n’est plus de la science mais un discours religieux.

  23. Ironie facile, arguments d’autorité, mépris sous jacent…Difficile d’engager le dialogue ! Essayons encore une dernière fois…
    L’individualisme méthodologique dans le cadre d’une certaine forme de science économique, postule que tous les comportements peuvent s’expliquer à partir d’un calcul cout avantage individuel, y compris les situations où s’exercent une évidente contrainte extérieure, collective, institutionnelle, etc. Je sais bien que vous allez me sortir l’école X ou l’école Y qui justement, tient compte de ces paramètres. Très bien, mais ce n’est pas le problème.
    Le vrai problème est : est ce que ces diverses écoles de pensée sont réellement compatibles ? En d’autres termes, prendre les résultats de A, et les défendre en brandissant les résultats de B, ne me semble pas une démarche intellectuelle valide, si B utilise un cadre initial totalement contradictoire avec A.
    Je maintiens que l’étude de Benmelech et Berrebi n’a pas de sens, ni d’intérêt intellectuel, autre que d’enfoncer des portes ouvertes.
    Je maintiens que les économistes dits béhavioristes, tentent par tous les moyens de sauver l’hypothèse de rationalité (et c’est même pour eux, la seule voie de reconnaissance institutionnelle).
    Dernier point, SM, merci pour vos articles toujours intéressants et documentés, et le superbe travail de vulgarisation que vous réalisez avec succès, mais de grâce ne prenez pas tous vos contradicteurs pour des ânes bâtés incultes !

    Il ne serait pas élégant de ma part de ne pas publier ce commentaire. Donc, je le fais.

  24. Sociologue : La rationalité, au sens économique du terme, se limite à très peu de choses. Voir ceci :
    http://www.optimum-blog.net/post...
    C’est une hypothèse de calcul beaucoup plus qu’une supposition sur la nature humaine, et une hypothèse qui a l’avantage de fonctionner relativement bien, malgré quelques exceptions. Ca n’est pas incompatible avec l’idée que la satisfaction personnelle dépend de celle des autres, soit positivement (altruisme) soit négativement ("sadisme"?).

    Sur le débat de façon générale, une façon amusante, et pas entièrement fausse, de caractériser les incompatibilités entre sociologues et économistes est de dire que "l’économie est entièrement fondée autour de l’idée de choix; la sociologie, autour de l’idée que les individus n’ont pas de choix". C’est un peu caricatural mais met en évidence l’intérêt d’une pluralité d’approches. Surtout face à un paradoxe comme le fait que des gens très éduqués puissent commettre des attentats-suicide. La question de la rationalité du sacrifice est vaste, et j’avoue ne pas comprendre votre insistance à dire que l’approcher par le modèle rationnel aboutit soit à des tautologies, soit à mettre par terre le modèle rationnel.

  25. @ Alexandre : Merci pour le lien qui propose une discussion très intéressante. En particulier, la question fondamentale est celle de la constitution de la relation de préférence (bref, l’existence d’un préordre complet). La théorie du choix dans un tel cadre où les préférences sont déjà données par hypothèse, n’est pas loin d’être une belle tautologie. Quand on aborde la question du sacrifice, la tautologie me semble encore plus évidente !
    PS : merci à SM pour son honnêteté intellectuelle et son élégance, et pardon pour mes maladresses.

    L’élégance n’est pas forcément ce qui caractérise le plus mes propos, notamment dans cet échange. Sur l’honnêteté intellectuelle, je fais de mon mieux. J’en suis d’autant plus agacé quand on me prête des intentions ou des idées qui ne sont pas les miennes.

  26. bon je reviens pour proposer mon propos embrouillé et éviter tout malentendu. En fait, il me semble avoir été lu de façon à peu près contraire à ce que je voulais raconter. je ne voulais du tout dire que la sociologie et l’économie reposaient sur des positions incompatibles. Tout au contraire, ce qui m’a énervé dans ce texte c’est que des travaux semblables avaient été réalisés en sociologie.
    L’hypothèse de rationalité est défendue par des sociologues. C’est même devenu le modèle dominant en sociologie de la délinquance (en tout cas aux us). Et les sociologues, dans le monde entier font des stats et même, dit-on des modèles…
    Après, il est vrai qu’on définit pas vraiment la rationnalité de la même façon, mais dans la plupart des classiques de sociologie de la délinquance, la délinquance est appréhendée comme une action rationnelle (même chez Howard Becker, alors qu’il est en même temps un représentant d’un "constructivisme" assez radical, ce qui fait que très peu de présentations de son bouquin mettent en avant sa représentation du choix d’engagement dans la délinquance comme une attitude rationnelle)
    Mon problème n’est pas l’idéologie de l’économie. Mon problème, c’est que des ruptures institutionnelles (entre département) se reconduisent dans des recherches, ce qui amène des gens à produire des recherches qui me semblent relativement pauvre. Mais plus énervant, ce qui les amène à faire des découvertes déjà découvertes. Je n’arrive toujours pas à comprendre qu’on puisse faire comme ci les recherches en économie et sociologie sur un sujet tel que la délinquance, relevaient de deux mondes différents.
    En plus, le domaine de la déliquance a produit une discipline propre (la criminologie) et une certaine habitude de mener des discussions entre économie, sociologie, droit, psychologie, etc. S’il y a un domaine où l’interdisciplinarité n’est pas une tarte à la crème, c’est celui là.
    J’ai donc rien contre l’économie, rien contre les hypothèses de rationnalité, rien contre le fait que les économistes fassent des travaux sur le sujet, tant qu’il est possible d’en discuter. Ce qui m’énerve, c’est les gens qui font comme s’ils arrivaient sur un champ vierge.

    Je me souviens d’un article d’Edmond Malivaud il y a quelques années qui s’intitulait “Pourquoi les économistes ne font pas de découvertes” ou quelque chose comme ça. Il illustre une chose connue des économistes : aucun sujet traité n’est vierge. Sa compréhension peut simplement être améliorée par des formulations différentes.

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