Attention : blog avec tabac

Il y a quelques temps, SM s’était demandé quelles seraient les conséquences pour les bars et restaurants d’une interdiction totale du tabac dans les lieux publics. Le sujet est plus que jamais d’actualité. Aujourd’hui, Libération va jusqu’à publier une tribune issue du très libéral Institut Molinari, opposée à l’interdiction. Façon d’offrir à ses lecteurs des points de vue divers, ou de leur suggérer que seuls des ultralibéraux mangeurs d’enfants peuvent être hostiles à cette interdiction? Difficile à dire. Quel est, au fait, l’intérêt exact d’interdire de fumer dans les lieux publics?

Supposons qu’il existe deux bars exactement identiques, sauf sur un point : le premier accepte les fumeurs, le second est non-fumeur. Dans le même temps, il existe quatre types de clientèle. Les fumeurs qui désirent absolument fumer au bar; les fumeurs qui aimeraient fumer au bar, mais peuvent s’en passer; les non fumeurs que la fumée ne dérange pas beaucoup; les non-fumeurs qui sont incommodés par la fumée. Tous ces gens sont des clients potentiels des deux bars. On suppose par ailleurs que les gens n’aiment pas aller au bar seuls. On voit qu’il y a deux groupes d’individus dont on connaît la destination. Le premier n’ira que dans les bars fumeurs, le quatrième uniquement dans les bars non-fumeurs. Les deux autres groupes peuvent aller dans les deux types de bar. Que va-t-il se passer?

Au total, les deux bars pratiqueront des tarifs différents, en fonction de la fréquentation. En fonction du nombre d’individus appartenant aux différentes catégories, la différence de tarif entre les deux bars sera exactement égale au niveau de prix nécessaire pour attirer une clientèle suffisante. Par exemple, s’il y a beaucoup de non-fumeurs dans la population (tolérants ou non) le second bar aura par défaut beaucoup de public; le premier bar devra donc abaisser son tarif jusqu’au point ou il attirera une clientèle suffisante pour égaliser son profit avec celui de son concurrent. A l’inverse, s’il y a beaucoup de fumeurs dans la population, c’est le second bar qui devra abaisser ses tarifs jusqu’à recevoir suffisamment de clientèle.

Imaginons maintenant que l’on soit dans une situation dans laquelle les non-fumeurs sont majoritaires. C’est donc le bar fumeur qui pratiquait des tarifs plus faibles que précédemment. Et supposons qu’une réglementation publique interdise de fumer dans tous les bars. Qui perd, et qui gagne, dans l’opération? Il faut commencer par noter que dans ces conditions, l’ancien bar fumeur va pouvoir pratiquer les mêmes tarifs que son concurrent non-fumeur (puisqu’il n’a plus la possibilité d’aller chercher la clientèle des fumeurs). Au total donc, personne ne gagne dans l’affaire. Pas les fumeurs impénitents, qui ne peuvent plus aller au bar; pas les fumeurs modérés, qui ne pourront plus bénéficier d’un bar à prix réduit; pas les non-fumeurs tolérants, qui perdront l’occasion d’aller de temps en temps dans un bar moins cher; et pas les non-fumeurs impénitents, qui paieront toujours la même chose dans les bars non-fumeurs. Les gagnants seront… Les anciens propriétaires de bars fumeurs, qui n’auront plus à craindre la concurrence de gens venant casser les prix en accueillant les fumeurs, et pourront monter leurs tarifs.

En bref, dans cette version simplifiée, l’interdiction de fumer n’avantage pas grand-monde. En pratique, me dira-t-on, les choses sont un peu plus compliquées. Par exemple, les bars ne sont pas exactement identiques; peut-être que cette interdiction permettra aux non-fumeurs intolérants d’aller enfin visiter le mythique “smokey bar” dont l’accès leur était auparavant interdit, car on y fumait. Mais cela ne vaut que pour une fraction minime de la population; et dans le même temps, cela empêche la population des fumeurs impénitents de se rendre dans ce bar. Le gain est donc dérisoire dans cette hypothèse.

Allons, allons, me direz-vous. Il ne s’agit pas de s’intéresser aux clients, mais au personnel, obligé de travailler à longueur de journée dans des locaux enfumés. Sauf que le même raisonnement qui s’appliquait pour les prix s’applique pour les salaires; s’il y a des préférences marquées du personnel pour travailler dans des lieux non fumeurs, cela devrait se voir dans des différences salariales (des salaires plus élevés dans les lieux fumeurs). L’absence de tel écart semble indiquer que les salariés ne sont pas tellement nombreux à trouver insurmontables les conditions de travail dans les lieux fumeurs.

Vous êtes un sans-coeur, bien typique de ces économistes sans âme, me direz-vous alors. Comment pouvez-vous vous livrer à des calculs de préférence dans des modèles désincarnés? Il s’agit, en interdisant de fumer dans les lieux publics, de sauver des vies! Comment peut-on tolérer que des non-fumeurs soient soumis au tabagisme passif, empoisonnés par leurs voisins, condamnés à une mort lente et douloureuse?

OK. Tout d’abord, il faudrait rappeler qu’il faut bien mourir un jour (et que ça n’est jamais très agréable) : ces mesures ne “sauvent” pas de vies. Tout au plus vont-elles en prolonger. Combien? Référons-nous donc aux études qui ont conduit les britanniques à mener ce genre d’interdiction. (Voir cet article, accessible gratuitement ici).

Sur 36 études menées, seules 7 ont conclu à un effet notable du tabagisme passif. L’effet constaté est une augmentation de 25% du risque de cancer du poumon pour un non-fumeur soumis au tabagisme passif. 25%? c’est énorme, me direz-vous! sauf qu’à la base, le risque de mort par cancer du poumon pour un non-fumeur est de 10 pour 100 000. Cela fait donc passer ce risque à 12.5 pour 100 000, ce qui reste extrêmement faible. Supposons maintenant que tous les non-fumeurs de France sont soumis au tabagisme passif et subissent ce supplément de risque. Cela fait à peu près 40 millions de personnes concernées, et pour celles-ci, 1000 morts supplémentaires par an. Sur une mortalité annuelle totale de 600 000 morts annuels environ, cela représente 0,16%.

Et rappelons que ce chiffre de 1000 est le chiffre maximaliste : il suppose à la fois que tous les non-fumeurs français subissent actuellement du tabagisme passif, et que pour tous celui-ci sera supprimé. Or bon nombre de français ne sont jamais concernés par le tabagisme passif; et pour les autres, leur tabagisme passif ne se produit pas majoritairement dans les lieux publics (dans lesquels on passe rarement beaucoup de temps, et qui sont souvent d’ores et déjà non-fumeurs), mais à domicile : cela concerne les conjoints et enfants des fumeurs qui fument dans leur maison.

Comme le constate Martin Wolf, si les adversaires du tabagisme passif étaient si désireux de “sauver des vies” la seule chose qu’ils pourraient faire serait d’interdire aux gens de fumer chez eux; pour cela, d’inciter les enfants à dénoncer leurs parents ne respectant pas l’édit; et à faire des visites de police inopinées dans les domiciles, pour y flairer une quelconque odeur de pétun. Ne riez pas : un comté du Maryland l’a fait, avant de retirer cette législation qui en avait fait la risée générale.

Au total donc, cette mesure ne sert à rien d’autre qu’à rendre la vie encore plus pénible pour les fumeurs. Elle témoigne de la zeitgeist, d’une époque en plein délire hygiéniste, qui impose des normes de comportement et d’apparence toujours plus rigides, au mépris des libertés individuelles. Une époque qui stigmatise à la fois les maigres, coupables d’inciter les autres à maigrir, et les gros, coupables d’être laids et de se laisser aller. Quel sera le prochain vice qui conduira les castrateurs à sévir? Les mauvaises pensées, très probablement.

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Alexandre Delaigue

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4 Commentaires

  1. Aller bouffer au restau ou danser à la discothèque ne sont pas des droits de l’Homme, les non-fumeurs "contraints" de supporter la fumée ou de rester chez eux ne sont donc pas victimes d’atteintes à leur liberté. Quant à celle des fumeurs eux-mêmes, évoquée plus haut, c’est un problème ontologique pas légal. Les drogués ne sont peut-être pas libres d’un point de vue philosophiques, mais ils le sont d’un point de vue juridique: personne ne leur met la cibiche dans le bec.

    P.S.: Je ne fume pas et évite en conséquence les lieux où l’on fume. Je ne me porte pas plus mal.

    P.S. bis: Les McDo, sauf erreur de ma part, sont tous non-fumeurs. La malbouffe contre le tabagisme passif, c’est pas drôle ça?

  2. Pourquoi ne pas laisser le choix ?
    Des établissements pour fumeurs et d’autres pour non fumeurs. Chacun fait comme il veut. A la limite, on pourrait même penser à mettre les serveurs dans une bulle étanche pour les protéger… C’est si dur dans cette époque pourrie d’essayer de ne faire ch… personne?
    Mais j’y pense soudain : Nous sommes en France, le pays de la liberté. Ca explique tout !!

  3. C’est une mesure de protection des salariés: comme on a désamianté, on détabagise les lieux de travail de dizaine de milliers d’individus. La liberté du fumeur doit s’arrêter là où commence celle du travailleur des cafés, bars, restaurants.

  4. bonjours, je crois m’appercevoir que les non fumeurs ne "jouent" pas le jeu, ils délaissent completement les pubs et les bars tabacs qu’ils voulaient absolument voir non fumeurs.
    Resultat certaint pub et bar ont vu leur chiffre d’affaire baisser d’au moin 30%, si ce n’est plus…
    tous les jours je suis obligé de fumer dehors sous le frois glacial ou la pluit. merci a cette loi qui m’oblige d’aller voir le medecin plus souvent car j’attrape froid plus regulierement.
    Non fumeur, merci a vous, non seulement on à l’impression de passer pour des criminel (puisque l’on peut vous donner le cancer), et maintenant vous délaisser tous ces endroit qui sont fait pour vous particulierement.
    moi perso je n’ai pas envi d’arreter de fumer, c’est mon seul petit plaisir quotidient dans ce pays ou les petits plaisirs se font de plus en plus rare

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