Extrait de la richesse des nations, livre 2, chapitre 3 :
En Angleterre, par exemple, le produit de la terre et du travail est certainement beaucoup plus grand qu’il ne l’était, il y a un peu plus d’un siècle, à la restauration de Charles II. Quoique aujourd’hui il y ait, à ce que je présume, très peu de gens qui révoquent ce fait en doute, cependant, pendant le cours de cette période-là, il ne s’est guère écoulé cinq années de suite dans lesquelles on n’ait pas publié quelque livre ou quelque pamphlet, écrit même avec assez de talent pour faire impression dans le public, où l’auteur prétendait démontrer que la richesse de la nation allait rapidement vers son déclin, que le pays se dépeuplait, que l’agriculture était négligée, les manufactures tombées et le commerce ruiné; et ces ouvrages n’étaient pas tous des libelles enfantés par l’esprit de parti, cette malheureuse source de tant de productions vénales et mensongères. Beaucoup d’entre eux étaient écrits par des gens fort intelligents et de bonne foi, qui n’écrivaient que ce qu’ils pensaient, et uniquement parce qu’ils le pensaient.
(via Virginia Postrel).
Certaines choses ne changent visiblement jamais…
En cours, il m’arrive parfois de traiter la question du “déclin de la France”, en utilisant comme point de départ de discussion cet article de Gilles Saint-Paul. Je me retrouve toujours placé en situation paradoxale. Avec comme objectif de départ de donner une vision contrastée de l’économie française, en présentant points forts et points faibles, vrais et faux problèmes, je me retrouve à devoir lutter contre une idée de décadence poussée à un degré invraisemblable, et profondément enracinée. Je dois m’employer pour expliquer aux élèves que le PIB par habitant en France est aujourd’hui pratiquement le double de celui d’il y a 30 ans, en monnaie constante. Et encore, ce n’est que le début de l’explication : le PIB étant une chose fort peu concrète, il faut refaire le même effort d’explication pour faire comprendre aux élèves que les salaires ont suivi à peu près la même courbe. Ils sont intimement persuadés que les français d’aujourd’hui sont plus pauvres, de façon absolue, que leurs homologues d’il y a 30 ans.
Est-ce parce qu’ils idéalisent une période durant laquelle ils n’étaient pas nés? Peut-être, mais après avoir tenté l’expérience avec des gens plus âgés, j’ai retrouvé la même certitude enracinée. Et ce n’est même pas à cause du discours sur “la crise”; après tout, durant les années 60, au plus fort de la période de plus forte croissance qu’ait connu la France, certains partis s’inquiétaient de la “paupérisation absolue” de la classe ouvrière. De façon générale, les discours apocalyptiques sont toujours plus marquants que les autres.
Comment l’expliquer? J’ai trouvé quelques éléments de réponse à ce mystère dans l’un des livres les plus intéressants que j’ai pu lire ces derniers temps, “Stumbling on Happiness” de Daniel Gilbert (ce n’est pas un livre d’économie). L’auteur y montre que lorsque nous imaginons le passé et le présent, nous avons tendance à commettre toute une série d’erreurs systématiques : reproduire le présent, un excès d’optimisme, et de façon générale une surestimation des évènements par exemple. Il apparaît que de la même façon que le corps secrète des endorphines pour calmer la douleur physique, le cerveau humain dispose de toute une série de mécanismes qui réduisent instantanément l’impact d’évènements psychologiquement douloureux, au point paradoxalement que les gens connaissant de grands malheurs ponctuels (comme un accident les laissant handicapés) se déclarent en moyenne aussi, voire plus heureux, que les autres.
Il y a probablement de cela dans l’explication du déclinisme. Autrefois, nous trouvions aussi que tout coûtait trop cher, que notre salaire n’était pas assez élevé et n’augmentait pas assez vite; que les journaux et la télévision étaient remplis d’âneries; que nos dirigeants politiques étaient des idéologues bornés, arrivistes et incompétents; en bref, tout comme aujourd’hui. Mais notre cerveau n’a pas conservé la trace de l’énervement que cela nous a causé, nous conduisant à croire que le passé était bien meilleur qu’il n’était en réalité. Ce n’est qu’une conjecture; mais comment expliquer autrement une telle perennité à l’idée de décadence?
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Effectivement, c’est un grand mystère.
Déjà à Rome et en Grèce durant l’antiquité, il y avait des discours déclinistes. Mais si j’ai bon souvenir ils avaient un certain fondement (lorsque Cicéron parle de décadence, il a en vue l’esprit citoyen des romains et d’autres valeurs traditionnelles qui effectivement se perdaient).
Pour éviter de dire n’importe quoi dans ce débat, il faudrait d’abord analyser sérieusement s’il y a des époques où le discours décliniste est plus fréquent que d’autres et lesquelles.
Pour ma part, je pense que le déclinisme a un fondement réel. Il est plus fréquent à une époque de changements profonds, ce qui fait naitre de l’irritation parmi les conservateurs (au sens moral, citoyen).
Dans l’exemple que tu cites, on ne peut nier que l’Angleterre connaissait alors des bouleversements sociaux assez importants dûs essentiellement à la révolution industrielle. Et actuellement, la famille n’est plus ce qu’elle était, les femmes non plus, la nation non plus, etc. Tout ça en gros depuis les années 60. Normal qu’il y ait des résistances.
Je suppose que les perspectives d’insertion sociale particulièrement plus défavorables pour les générations montantes aujourd’hui qu’il y a trente ans rejaillissent sur leur moral, mais aussi, par inévitable ricochet, sur le moral de leurs parents salariés, et grands-parents probablement alors même qu’eux ne sont pas concernés, et même, sont probablement gagnants au jeu.
Quand aux actifs sans enfants, leur lucidité n’est pas incompatible avec toute la perversité qu’impose toutes les incertitudes pour leur propre avenir (emploi, accès au logement, retaite, épargne, etc.) : plus clairement dit, leur discours peut éventuellement différer de leur opinion.
@Alain : heu… au 18ème siècle?
@vulgos : c’est a posteriori qu’on voit des changements très importants dans l’angleterre du 18ème siècle. L’hypothèse des changements comprend sans doute une part de vérité, mais le rythme des changements n’est pas si grand qu’on le remarque. Par ailleurs on ne parle pas de dimensions sociétales (pour lesquelles on peut trouver toujours que les changements ne vont pas dans le bon sens, quels qu’ils soient) mais de dimensions économiques. On peut dire aujourd’hui que depuis mai 68, il n’y a plus de valeurs et plus de morale, ou un truc dans le genre; qu’on soit d’accord ou non, cela a un sens. Mais dire "aujourd’hui, on est plus pauvre qu’en 68" c’est absurde, quelle que soit la façon dont on le regarde. Et c’était absurde aussi au 18ème siècle en Angleterre.
Hé oui l’idée de décadence est aussi un outil politique très utile et que l’on manie aujourd’hui sans prendre les précautions d’usage.
J’ai eu l’occasion de lire un texte administratif Français traitant de façon alarmante de l’état économique de l’Anjou au 18 ème les termes étaient les mêmes que ceux utilisés aujourd’hui : les Angevins ne veulent pas faire d’industrie le pays résiste à tout les innovations …et s’enfonce dans l’arriération ..
Aujourd’hui les symptômes restent les même à croire que la décadence est continue depuis deux siècles.
En tout cas en Anjou on continue à vivre plutôt bien ….
Bien à vous
Question d’anomie, peut-être ? :o)
Ça reste aussi très basique comme explication possible, mais les pertes successives de repères ou leur remplacement par d’autres peuvent être à l’origine de ce déclinisme.
Le fait que les citoyens Français anticipent l’avenir comme sombre, également, car on ne désire pas leur présenter autre chose en général qu’un futur difficile, où des efforts plus importants seront à fournir, où l’anomie sera encore plus grande, et avec un flou total sur leur prochain environnement…
On pourrait même parler "d’anomie anticipée"…
Ou question de la situation anticipée dans le futur ?
Lorsque je rencontre des 68ards ou des individus ayant vécu durant la période de 50 à 70-80 une importante partie de leur vie, tant professionnelle, que sentimentale ou politique, et qu’ils me racontent leur passé, il me semble tout simplement qu’ils avaient plus d’espoirs que la génération actuelle de jeune… dont le moral connaît des répercussions sur leurs parents et grands-parents.
Après, évidemment, le déclinisme est ici vu comme économique… mais il faut bien penser que de nombreuses personnes ne différencient pas nécessairement économie, moral, politique, culture, etc.
Il suffit qu’un ou plusieurs domaines aillent mal pour que les autres puissent sembler comme en chûte libre eux aussi.
On peut aussi s’intéresser, en plus de ces troubles anticipés et de cette vision noire du futur, la différence entre la norme et l’ordinaire des citoyens : l’ordinaire étant ce qu’ils vivent au quotidien, la norme étant la représentation de ce qu’ils devraient vivre à travers la télévision, les journaux, la publicité, etc.
Il y a aussi le fait que les individus ne s’attardant pas nécessairement à la "vraie" situation économique de leur pays, mais plutôt à la situation économique de leur propre ménage. Il est en effet bien sympa pour les économistes de dire que le pays va bien, mais lorsque nous sommes les premiers consommateurs d’antidépresseurs en Europe, et que chaque jour on nous râbache que nous allons devoir donner plus de nous-mêmes à notre entreprise, notre pays, etc. (Et ce sortant de la bouche de journalistes, grands chefs d’entreprises et hommes politiques qui n’auront pas autant à forcer……)
Et bien, personnellement, je le trouve justifié, le déclinisme des Français. "L’argent ne fait pas le bonheur", et même s’il y contribue, il n’est pas étonnant de constater que plonger les individus dans une idéologie visant à les rendre plus compétitifs et leur parlant constamment de concurrence accrue ainsi que de sacrifices supplémentaires, ne puisse pas nécessairement que leur faire du bien au moral.
Bref, personnellement je trouve que les Français ont de multiples raisons de déprimer… et affirmer "mais vous voyez, pourtant, tout va bien : nos salaires ont augmenté et le PIB par habitant a doublé depuis trente ans !" me semble terriblement décalé avec la réalité…
Amicalement,
AJC
AJC : je veux bien, mais là n’est pas la question. La question, c’est "pourquoi aussi loin qu’on regarde, partout et toujours on trouve cette perspective du "déclin"? La réponse "maintenant, les gens ont bien raison de déprimer" me semble participer de la question, pas de la réponse. Le discours que vous décrivez, il a été tenu à toutes les époques sans exceptions : on a toujours trouvé que c’était mieux avant, que maintenant c’est pas terrible, et que demain ça sera soit super soit épouvantable. C’est quand même curieux, non?
Dans ce cas on pourrait peut-être justifier par l’anomie… :oD
Le futur semble plein de changements, et l’époque contemporaine aux déclinologues est en mouvement, et perte de repères : pas étonnant qu’ils voient alors le futur comme sombre…
On peut aussi se poser la question : même si ce discours existe à toute époque, en quelle mesure avait-il de l’importance selon les périodes ?
Au 18ème il y avait des déclinologues, mais occupaient-ils le paysage intellectuel dans une proportion aussi importante que de nos jours ?
Durant les années 60, 70, il y avait également des déclinologues… mais on peut se demander s’ils étaient aussi influents et représentatifs qu’à notre époque.
De nos jours les intellectuels, artistes ou hommes politiques déclinologues suivent et en même temps construisent la déclinologie populaire…
Sans mener d’étude à ce sujet, ni trop creuser, on peut estimer qu’ils font parti des "dominants" dans leurs propres domaines…
En-dehors de cela, on pourra également trouver des artistes, politiques et intellectuels louant leur époque, les progrès techniques, leur situation… et ce de tous temps, non ?
Mais encore, il faut juste se demander : en quoi ces types étaient ou sont représentatifs de la population dans son ensemble, et s’ils sont ou non dominants dans leurs propres champs sociologiques…
Je connais des jeunes -et moins jeunes- qui sont vraiment heureux de leur situation, qui se sentent parfaitement bien et qui voient le monde en (Quasi-) rose.
Je ne vais pas spécialement m’étonner et leur demander : "mais enfin, pourquoi êtes vous si heureux ? C’est dingue il y a toujours eu des gens comme vous !".
Ce que j’expliquais dans mon commentaire était que les sentiments de déclin étaient loin d’être injustifiés… et donc qu’il ne fallait pas nécessairement chercher très loin ses causes.
Pourquoi y’en a t’il eu à toute époque ? Tout simplement parce qu’il y a sûrement eu des problèmes comparables, de l’anomie présente ou anticipée, etc à toute époque. ;o)
Je dois sûrement me planter, mais vous pourriez également vous demander pourquoi à toute époque il y a eu des optimistes, alors que la situation ne s’y prêtait pas nécessairement…
Amicalement,
AJC
Il est clair qu’on est tout aussi mal placé pour juger d’une époque qu’on a pas vécue que des moeurs de peuples qu’on a jamais visités.
On peut tenter d’éclairer un peu la réflexion en mobilisant la socio-histoire. Dans une étude très intéressante, Norbert Elias a montré comment la conjonction du processus de civilisation (dont le principal effet est l’auto-contrôle croissant de nos émotions) conjugué à la disparition des rituels (qui offraient pourtant l’opportunité de manifester nos émotions) ont contribué à nous éloigner des mourants. Nous sommes paralysés face à ces derniers, nous ne savons que faire.
Cette attitude ne va pas sans susciter quelques remords chez les vivants qui idéalisent en réaction les conditions dans lesquels leurs ancêtres mourraient. Quel bonheur de mourir parmi les siens ? On oublie de mentionner tout ce qui nous sépare de ces époques. Ainsi, l’assistance médicale était alors inexistance : tout au plus pouvait-on espérer par une saignée que le médecin vous tue plus rapidement que le cancer qui vous faisait vous tordre de douleur. par ailleurs, la religion étant bien plus présente, on entretenait une peur viscérale de l’après.
Voilà qui me ramène au sujet. On peut comprendre que les individus entretiennent la nostalgie du passé : clairement, les malheurs du temps présent pèsent plus sur leurs épaules que sur celles du collectif actuellement. C’est un processus historique : la société renvoie chaque jour un peu plus ses problèmes en bout de chaîne. Qu’on observe le développement de l’assurance : on vous invente chaque jour des risques. Ou alors, qu’on observe le monde du travail : on prétend aujourd’hui gérer vos compétences et non plus votre poste.
Cependant, si les individus sont plus exposés, il est impossible de dire qu’ils ont plus ou moins de problèmes qu’avant. La seule chose qui soit certaine, c’est que les individus n’ont plus les mêmes problèmes, mais qu’ils ont tendance à croire le contraire parce qu’ils jugent toujours de leur point de vue. Ainsi, les mourants d’hier avaient peur de la douleur et du jugement divin. Ceux d’aujourd’hui sont garantis contre ces dangers, mais ils ont peur de mourir tous seuls.
Si nous apprenions à nous mettre dans la disposition d’esprit d’être étranger dans notre propre époque et dans notre propre pays, nous ne dresserions certainement pas un tableau aussi noir de notre situation. Mais il faut pour cela tout un travail d’éducation qui n’est pas dispensé aux jeunes gens dans ce pays, sauf lorsqu’ils ont le bonheur de pouvoir se livrer à des études comparatives entre époques et entre pays, luxe qui ne leur est offert qu’après plusieurs années d’études dans les sciences humaines uniquement.
Bonjour,
Si je vous suis bien, vous donnez une explication « biologique » à l’idée de déclin. Après tout, l’idée n’est pas absurde pour expliquer un phénomène contraire à la réalité observée et existant depuis plus de deux mille ans. Encore je ne sois pas sûr que les notions de décadence et surtout de déclin ne soient pas propre à la civilisation occidentale. La perception de l’histoire en Asie est plutôt cyclique et se marie assez mal avec l’idée d’une chute sans ascension. Mais il s’agit d’un autre débat…
Par contre, il ne suffit pas de relever que le PIB par habitant a doublé sur les trente dernières années pour classer dans les idées fausses l’impression que les gens se sentent plus pauvres…
La perception de la richesse est – à mon avis – essentiellement relative. Je suis d’autant plus riche que je peux dépenser rapidement mon revenu. Du coup, il y a plusieurs biais « sociologique » :
1> Le sentiment de richesse repose plus sur un flux que sur un stock. A ce titre prendre le PIB par habitant est effectivement plus significatif que de prendre le total des capitaux disponibles par ménages.
2> Mais le flux pris en compte n’est pas le total des revenus de la personne, mais des revenus « disponibles » c’est à dire dégrevé de toutes les dépenses que cette personne considère comme indispensable (impôt, charge, assurance, mutuelles, loyer, voiture etc…) et qui contribuent au PIB par habitant.
3> Plus la richesse réelle va augmenter, plus le niveau des dépenses « indispensables » va lui aussi augmenter. Dans les années 60, la plupart des contrats d’assurances automobiles étaient au tiers. En 2006, la grande majorité des garanties sont « tout risque » et les assureurs ont trouvés de nouvelles garanties « indispensables » qui rognent encore le revenu disponible.
4> Au cours de sa vie, chaque individu va augmenter le montant de ses dépenses « indispensables », c’est par exemple le cas lorsqu’il va faire des enfants ; mais c’est aussi le cas lorsqu’il décide de devenir propriétaire. Il achète un appartement, et va considérer le montant de ses remboursements comme une dépense incompressible.
Quand on se projette dans le passé, ces dépenses « incompressibles » sont oubliées. Parce qu’elle ne nous concernait pas (si on était pas encore en age d’avoir une autonomie financière) ou parce quelle étaient plus légère (par encore d’enfant, pas de prêt…). On n’a donc pas besoin de mettre en avant des raisons biologiques pour expliquer cela.
Je suis prêt à concéder un biais à mon analyse : le cas des personnes âgées qui ont fini de payer leur appartement et dont les enfants sont parti travaillé. Mais celles-ci voient réellement leur revenu diminué puisqu’elles sont souvent à la retraite.
Je suis assez stupéfait de la proportion des commentaires sur le thème "oui, ça fait des siècles que cela dure, et cela n’a jamais été vrai, mais maintenant, c’est vrai, les gens sont vraiment plus malheureux qu’avant". C’est décidément très enraciné.
En même temps qui vous dit que cela ne l’est pas, "vrai" ? :oD
Vous partez du principe que c’est nécessairement faux, malgré les commentaires que plusieurs de vos lecteurs postent, intéressés par un tel sujet et n’ayant pas la même vision des fondements de votre réflexion.
Evidemment, d’un point de vue "macroéconomique", vous pouvez obtenir de jolies choses sur notre situation.
Le fait que cela soit très enraciné n’est peut-être pas dû qu’à une sorte de processus psychologique ou biologique, hein… ou faudrait un psy ou un neuro-machinchose dans la salle afin de savoir si oui ou non votre avis est justifié.
Ne serait-ce pas plutôt vous qui, au lieu d’être un "décliniste" féroce, serait un optimiste enragé ? :oD
Vous partez d’un principe assez rigide au sujet des déclinologues : ils ont tort. Une preuve de leur manque de réalisme : ils sont présents depuis toujours.
Mais il me semble que ce n’est pas avec un tel constat qu’on fait avancer le schmilblick…
Personnellement je n’adhère ni au déclinisme, ni réellement à l’optimisme…
Il est clair que l’on peut être économiste et optimiste à notre époque. L’économie se porte bien, non, en général ? Je veux dire : "notre situation économique"…
Mais les déclinologues ne touchent pas qu’à l’économie, et leur perception n’est pas celle du spécialiste penchée sur les comptes nationaux et les tableaux de l’INSEE ou les articles de revues particulières.
Lorsque le déclinologue est un "intellectuel médiatique", généralement il balance pas mal de conneries, et surtout en économie.
Mais ici on parle également des citoyens, du "peuple", non ? Et il me semble que tout n’est pas rose à l’heure actuelle pour une part croissante de nos concitoyens.
L’Observatoire des Inégalités, qui pourtant se base sur des statistiques et des choses "sérieuses" (Avec des chiffres, tout ça… la grande classe, quoi.) n’est pas spécialement optimiste en général. Ils ont nécessairement tort, eux aussi ?
Sinon, parfaitement d’accord avec Max Weber : fallait le sortir, Elias. Merci d’avoir parlé de ça. :o)
Ça manquait.
Amicalement,
AJC
Je viens de lire un article qui fera peut-être avancer le schmilblik. Cet article démontre qu’il n’y a pas plus de risques de morts brutales d’enfants qu’il y a quelques décennies. En fait, il y a autant de meurtres pédophiles et beaucoup moins d’accidents domestiques, de voiture, etc. Pourtant, les parents actuels sont infiniment plus inquiets pour la sécurité de leurs enfants.
On pourrait rapporter ce phénomène à l’économie. Les gens sont plus riches mais se sentent plus pauvres. Pourquoi? Parce que peut-être tout simplement leur sensibilité aux richesses et à leur niveau de vie à augmenté. Et pourquoi cette sensibilité à augmenté? Peut-être parce qu’on nous bassine depuis des décennies qu’être riche c’est réussir sa vie, qu’il faut acheter telle bagnole pour être heureux, mettre telle marque de chemise pour pas passer pour un plouc, etc.
Autrement dit, les gens sont certes objectivement plus riches mais les différences relatives prennent de plus en plus d’importance. Par exemple, autrefois un type qui n’avait pas d’argent pour se payer une voiture ne se sentait pas forcément remis en cause dans son auto-estime. Aujourd’hui, un type qui ne gagne pas assez pour s’acheter la bonne marque de bagnole va le vivre comme un drame, se sentir nul, etc. Il se sentira plus pauvre que le type d’autrefois même si objectivement il vit mieux.
Si cette piste est la bonne, il faudrait remarquer que le déclinisme d’autrefois ne portait pas nécessairement sur les richesses. Ce phénomène n’a me semble-t-il commencé que vers le XVIIIè, au moment où être riche compte pour avoir une position sociale. Auparavant, la sensibilité se portait plutôt vers la religion, la citoyenneté, la virilité, la morale, etc. et par conséquent le déclinisme parlait forcément plus d’une perte de ces valeurs (même si objectivement il n’y avait pas à s’inquiéter).
En résumé, le déclinisme sur un sujet dénoterait une sensibilité accrue au dit sujet, pas forcément un problème objectif.
Sur ce thème du "déclin", mais appliqué à la qualité de la production artistique, Tyler Cowen donne des éléments très intéressants sur ce qu’il appelle le "pessismisme culturel", c’est à dire, le fait qu’à travers les siècles, il a toujours existé une catégorie de personnes qui dit que c’est la fin de l’art, qu’il n’y a plus que des bouquins au ras des paquerettes, que la musique n’est plus ce qu’elle était, etc. Et à travers les ages, ces pessimistes, selon Cowen, sortent souvent une même cause à ce prétendu déclin: la commercialisation de la culture. L’exemple de l’imprimerie et de la réticence de l’église à l’époque de voir des tas de bibles accessibles à un nombre grandissant de gens, est assez convaincant. Toutes ces histoires se trouvent dans son bouquin "In praise of commercial culture". Son idée principale est que contrairement à ce que pensent les pessimistes culturels, la commercialisation a permis la diffusion d’une plus grande variété, et que, même si ça veut dire plus de choses de faible qualité, il y aussi beaucoup de courants artisques très intéressant qui ont trouvé leur niche grace au circuits de commercialisation. On sait aussi mieux préserver les oeuvres et redécouvrir les grands du passé.
Bref, il me semble que c’est un peu la même histoire, "avant c’était mieux". (je me surprends d’ailleurs souvent à le faire en allumant la télé et la radio, que je n’allume plus d’ailleurs… ehehe; si on suit Tyler Cowen, je devrais avoir le cable et profiter du grand choix de chaînes nouvelles…).
Enfin, sachez qu’il a le même argument sur la gastronomie, en gros: la mondialisation fait qu’on peut manger plus de fast food partout mais en même temps, a amené une grande diversité ethnique dans la gastronomie, des tas de restaurants différents et pour tous les budgets, et des créations culinaires nouvelles.
Tyler Cowen se définit comme un "optimiste culturel"… et vous, de quel type êtes vous?!
Oula… ça me semble space, le Cowen, quand même…
L’accès des artistes au véritable "marché" le fut lors du XIXème siècle, me semble t’il, lorsque les romantiques de tout poil sont passés par ce biais plutôt que par les mécènes, religieux et académies pour diffuser leurs arts ou être rémunérés…
Concernant le déclinisme culturel il faut également approfondir ce que l’on peut qualifier de déclinisme.
Personnellement je trouve que la France est mal barrée, artistiquement parlant, en général. Manque de soutien aux artistes qui sortent un peu de la norme, censure indirecte, etc.
Mais que la mondialisation et Internet ont apporté, d’un point de vue culturel ou artistique, des tonnes de bonnes choses ! :o)
Je suis aussi le premier à critiquer le système Etats-Uniens en général, mais au niveau artistique ils se démerdent super bien, selon moi.
Bref, cela me semble être aussi une perception assez réductrice de la réalité.
Comparer l’argument de la commercialisation, par exemple, et la volonté du clergé de ne pas voir la Bible se proliférer lorsque celle-ci put enfin être imprimée en grand nombre… mouais… ça m’a l’air, au premier abord, assez bancal.
Amicalement,
AJC
Le développement de l’exclusion vous aurait il échappé? Si la "société" s’est bien enrichi ces dernières décénies, tout le monde n’en a pas profité et les inégalités se sont accru (chômage, mais aussi avec notament un partage de la valeur ajoutée en faveur des profits et au détriments des salaires depuis 1983). Et après la mobilité ascendante des 30 glorieuses, les cas de démotions sociales sont fréquents aujourd’hui.
L’important pour se sentir "bien" n’est pas tant de posséder un certain niveau matériel, mais de ne pas être exclu d’un mode de consommation dominant. Et surtout: d’avoir de l’espoir que la situation ne s’améliore.
Ne pas avoir de portable ou d’ordinateur ne m’aurait pas manqué dans les années 60, et mon salaire d’ouvrière en augmentation m’aurait permis d’espérer de meilleurs jours pour moi et mes enfants. Mais aujourd’hui, mon statut précaire de chômeuse (travaillant occasionnellement) m’excluant d’un mode de consommation dominant m’empèche de me réjouir de posséder un portable et un ordinateur… L’augmentation du PIB me fait une belle jambe!
Voilà des raisons pour lesquelles le déclinisme prend dans une grande partie du salariat: il traduit un constat, celui bien réel du déclin de l’espoir d’intégration dans cette société avec la "déstabilisation des stables".
Et la raison pour laquelle le déclinisme est à la mode chez les dirigeants politique n’a rien de bien difficile à comprendre: c’est le prétexte invoqué pour faire passer des mesures anti-salariat ou remettant en cause les acquis sociaux "la France va mal, un petit effort messieurs dames!"
Il n’y avait donc pas besoin d’aller chercher une explication psychologique hasardeuse ou d’avancer "c’est dans votre tête que ça se passe!"
@James : je connais Cowen, et n’aurai probablement pas de mal à me classer comme "optimiste culturel". Pas seulement en matière culturelle d’ailleurs.
@Joan Robinson : Votre simple réponse, traduisant l’incompréhension totale de la question posée, montre bien au contraire qu’il y a là un authentique problème psychologique à expliquer. Dire "oui, depuis toujours les gens disent qu’on décline, mais aujourd’hui c’est vrai" c’est précisément tomber dans le travers expliqué. La question n’est pas de nier l’existence de gens malheureux et de problèmes actuels; la question est de comprendre pourquoi, avec constance et depuis trois siècles, si l’on en croit Adam Smith, des gens expliquent que le pays décline, que l’industrie c’est tout foutu, que l’économie va de plus en plus mal, que les salaires n’arrêtent pas de baisser et les prix d’augmenter, alors que ça n’est tout simplement pas vrai quel que soit le critère que l’on prend. Je ne doute pas une seconde de votre sincérité : mais elle constitue un mystère à éclaircir.
@AJC: l’exemple de la bible pour illustrer la commercialisation n’est peut-être pas très bien placé dans mon commentaire en effet. Dans le livre cet exemple est plutôt utilisé pour illustrer l’idée de déclinisme du à la diffusion de la culture en masse (pas nécessairement lié à l’idée de commercialisation). Même si plutôt que de déclinisme, il s’agissait sans doute de la peur d’une partie de l’église de perdre son influence.
Maintenant que vous donnez cet exemple du 19e siècle, je me rappelle qu’il y a un chapitre là dessus dans le bouquin (que j’ai lu il y a un peu trop longtemps pour en parler correctement, hum… please ne pas juger Cowen ici juste sur ce que je rapporte bien mal!)
Enfin, il faut savoir que Tyler Cowen pousse en effet ses arguments extremement loin, et à moins d’être aussi optimiste que lui, on reste parfois un peu perplexe. D’ailleurs, il y a un commentaire en quatrième de couverture du livre, par un chercheur très connu (mais je sais plus qui…), qui dit en gros, "c’est vrai qu’il pousse le bouchon un peu loin et je ne suis pas tout le temps d’accord, n’empêche le bouquin est chouette" (c’est assez drôle sur une quatrième de couverture…)
Bref, pour ceux que ça intéresse, le premier chapitre du bouquin est dispo ici:
http://www.gmu.edu/jbc/Tyler/Cha...
Bah je pige pas vraiment ce raisonnement. si je dis "oui, depuis toujours les gens disent qu’on progresse, mais aujourd’hui c’est vrai", je tombe dans le paneau de Pangloss et j’ai tort euh non merde j’ai raison enfin bref vous voyez ce que je veux dire ?
En gros votre raisonnement me semble bidon parce que basé sur une extrapolation non quantifiable. OK à tout instant vous trouvez non pas un mais des douzaines, des centaines de gens pour soutenir en toute bonne foi à peu près n’importe quelle attitude, opinion, etc. Qu’est-ce que ça dit sur l’opinion générale ? Ben que des fois ces gens la représentent, et des fois non.
C’est, toute proportion gardée, la justification de tout et son contraire par une paire d’exemples bien choisis dont on s’évertue à démontrer qu’ils représenten la norme, la majorité, le seul point de vue raisonnable, réaliste, etc. Si on veut faire des maths (dont les doctes économistes sont si friands) "il existe quelques centaines de x qui vérifient la propriété y" ne prouve pas que "la majorité des x vérifient la propriété y", sauf si leur nombre est strictement supérieur à la moitié de la population dans laquelle on choisit les x en question.
Donc dans la suite de votre raisonnement vous utilisez des indicateurs supposés être des étalons objectifs de.. de quoi exactement ? de progrès ? de bonheur ? Enfin bon, le PIB ou les salaires ça va cinq minutes, je me permets de les trouver un peu courts comme indicateurs.
Ce n’est quand même pas à vous qu’on va apprendre la difficulté de définir la notion de pauvreté. Vous partez du postulat que la définition absolue est la seule valable, alors que – et surtout pour s’aventurer sur le terrain de la psychologie ! – la notion de pauvreté relative mériterait, je pense, au minimum d’être mentionnée.
On pourrait aussi envisager les choses en terme de potentiel d’évolution sociale, de projet de société, etc. Mais je vous accorde que c’est difficilement quantifiable. Je note quand même quelques études sur la mobilité sociale qui semblent indiquer que les chances pour la génération suivante d’obtenir un statut social plus élevé que celui de leurs parents a commencé à régresser dans les années 90.
Alors OK ce n’est pas quantifiable en terme de dollars par jour et par personne mais je vois mal ce qui en ferait, par exemple, un indicateur moins pertinent pour aborder, encore une fois, un raisonnement d’ordre psychologique basé sur une perception subjective.
Il me semble d’ailleurs que c’est l’argumentation développée par Joan Robinson, que vous remettez en place avec une suffisance assez impressionnante. Il ne s’agit pas de contredire vos affirmations (qui sont, si je peux me permettre, d’une banalité assez triviale qui ne me semble pas justifier autant de mépris pour la contradiction), mais de présenter une autre façon d’envisager l’idée de régression. On peut ressentir un véritable rétrécissement du cadre de vie et des perspectives d’avenir, du projet global de société, des possibilités d’épanouissement personnel pour soi ou ses enfants malgré une économie méga florissante, des salaires en hausse, des prix en chute libre et une industrie top moumoute (choses qu’on pourrait d’ailleurs assez facilement relativiser, ne serait-ce que pour ce qui est de notre belle industrie française).
Enfin ça fera au moins deux personnes à défendre ce point de vue sur ce blog plutôt "culturellement optimiste" :).