La question et sa réponse

Le FMI est-il responsable de la crise argentine de 2001 ?

Rédacteur : Alexandre Delaigue

Première approche de la question

Les responsables de la situation de l’Argentine, ce sont les Argentins, surtout leurs dirigeants. Maintenant la question est de savoir si le FMI aurait pu mieux faire. Difficile à dire. Quand l’Argentine a installé son currency board, tout le monde approuvait, y compris le FMI qui a aidé à sa mise en place. Mais bon à l’époque avec une inflation à 4 chiffres difficile de faire autrement. Le problème c’est que le currency board a duré ensuite. Après le traumatisme qu’a été pour les argentins l’hyperinflation des années 80, le currency board est devenu le symbole de la tranquillité retrouvée. Un peu comme en Allemagne avec la Bundesbank après la crise des années 20. Aucun politicien local n’a eu le courage de dire que cette parité peso-dollar ne pouvait plus durer. Il faut voir aussi que les politiques menées au début des années 90 ont conduit à une certaine euphorie : les privatisations remplissaient les caisses de l’État, le currency board apportait des taux plus bas qui permettaient de s’endetter à bon compte. Manque de chance, avec la crise de 1995 et années suivantes, les autres économies sud-américaines ont dévalué, notamment le Brésil. Ce qui a rendu l’économie argentine peu compétitive. Dans ce cas, pas 36 solutions, soit la monnaie nationale baisse, soit ce sont les prix et les salaires nationaux qui le font. Avec le currency board il n’y avait qu’une seule solution, la seconde. D’où récession. La récession fait que les intervenants sur les marchés pensent que la parité peso-dollar ne tiendra pas. Donc grosse prime de risque sur les emprunts argentins. Donc difficultés supplémentaires pour le gouvernement qui d’un seul coup se retrouve à sec.

Là le FMI aurait pu faire un plan de sauvetage en prêtant au gouvernement argentin. Mais ils ne l’ont pas fait, les laissant se dépatouiller, indiquant qu’ils ne soutiendraient le pays que quand il aurait un programme économique cohérent. Ce qui voulait dire soit dévaluer et faire en sorte d’en limiter les conséquences négatives, soit dévaluer puis carrément dollariser l’économie. Donc la critique qu’on peut adresser au FMI est la suivante : ils les ont laissé faire leur currency board. Ensuite, quand celui-ci a posé problème, ils les ont laissé dans la panade, attendant que les argentins trouvent eux-même la solution. Et partant du principe qu’une énième crise en Argentine n’aurait pas de gros effet sur l’économie mondiale. On peut trouver cela cynique, mais que fallait-il faire d’autre? Exiger du gouvernement argentin qu’il dévalue? Celui-ci ne l’aurait pas fait. Dire dès le début que le currency board risquait de poser des problèmes? C’est bien gentil maintenant de dire que le currency board était une mauvaise idée, mais sur le moment cela paraissait la seule chose à faire. Et ces avertissements n’auraient pas été entendus. Maintenant, il faudrait soutenir le gouvernement argentin, le laisser s’endetter et maintenir son currency board? C’est pas tenable. Alors oui le FMI n’a pas été très gentil. Mais on peut dire qu’il a appliqué le théorème d’Oscar Wilde : Experience teaches fools.

Il y cependant une erreur que l’on peut reprocher au FMI qui est celle de ne pas être intervenu au debut de la crise. Le pouvoir de décision au FMI se trouve au niveau du Conseil d’Administration dans lequel les États sont representés en fonction de leur contribution financière à l’organisation. Les États-Unis depuis un moment souhaitent voir le FMI faire des économies et mieux gérer ses fonds (ce qui est compréhensible, d’une part parce que les États-Unis sont le principal contributeur et d’autre part car on a vu en Russie et ailleurs que les fonds n’étaient effectivement pas tres bien gérés). C’est dans ce contexte que contrairement à sa politique passée le FMI a voulu “laisser l’Argentine dans la panade”. Il s’agissait d’un signal concernant la nouvelle orientation “économe” du FMI et sans doute aussi une manière de donner une lecon au gouvernement argentin et à tous ceux qui font semblant de se réformer pour continuer a toucher les fonds. Ils ont cependant clairement sous-estimé le contexte argentin et la facon dont cette crise allait déstabiliser le pays.

À cet argument, on pourra répondre que même en estimant correctement les dégâts potentiels, on voit mal ce qu’il fallait faire. Imposer une dévaluation de la monnaie nationale au passage? Premièrement, on ne sait pas tellement si cela serait passé auprès du gouvernement argentin. Objectivement, s’ils avaient soutenu le pays et permis le maintien du currency board, c’est peut-être là qu’il y aurait eu la pire erreur.

En tout état de cause, une aide financière aurait pu aider le pays. Une dévaluation accompagnée par le FMI et la communauté internationale était tout de même préerable au face à face explosif du gouvernement et de sa population (même si il a eu son utilité pour donner un coup de balai a la classe politique). Effectivement, l’aide du FMI aurait certainement pris la forme d’un maintien du currency board, comme cela avait été le cas dans les années passées. Si on relit les rapports du FMI, il était quand même favorable a ce système, en soulignant les bienfaits sur les prix. La encore, même si le FMI a pris ses distances vis-a-vis de la politique argentine et ne peut être accusé d’être LE responsable de la crise, il doit quand même faire une réflexion critique sur son soutien au currency board.

Le FMI et l’Argentine au travers des publications du site du FMI

Le FMI et les currency boards

Il existe au niveau du FMI à la fois une littérature favorable au système du currency board et une dénonciation de ses risques. Deux positions différentes qui correspondent à des travaux d’économistes n’exprimant pas officiellement le point de vue de l’institution (ce qui est le cas de tous les working papers par exemple).
On trouve trois working papers (avec un auteur en commun) plutôt favorables au système, bien que nuancés (énonçant à chaque fois un certain nombre de conditions pour la réussite du régime strict de change, à savoir disposer de réponses face à un large afflux de capitaux ou des chocs asymmétriques). Articles : 123

De ces documents il ressort que les pays qui ont adopté un currency board ont eu de meilleures performances économiques. Non seulement ils ont pu réduire leur inflation (ce qui est l’objectif d’un tel système), mais cela ne s’est généralement pas fait au détriment de la croissance. Au contraire, celle-ci a été en général plus forte. Il faut cependant noter que les currency boards dont les mérites sont vantés sont ceux de Bulgarie, d’Estonie et de Lituanie et pas celui argentin.

La principale critique que l’on peut adresser aux currency boards, à savoir de priver les pays de politique monétaire et d’ajustement par les changes est assez peu abordée dans ces documents. L’idée est que la lutte contre l’inflation est prioritaire de par ses effets négatifs sur l’économie, le prix à payer en matière de renoncement à un ajustement par la monnaie (et donc la nécessité d’un ajustement par les prix et les marchés du travail, plus douloureux) étant jugé inférieur à celui de l’inflation.
Il existe cependant une autre appréciation dans les documents du FMI qui elle met le doigt sur la rigidité des systèmes de changes fixes et en particulier les currency boards. En 1998, le FMI a publié ainsi une étude sur les stratégies de sortie d’un système de changes fixes (Eichengreen&Masson, 1998), montrant que les pays en développement auraient globalement avantage à une plus grande flexibilité des changes et qu’il pourrait être opportun d’abandonner les ancres nominales. Les auteurs ne sont pas directement des gens du FMI, Eichengreen est connu pour être un opposant aux systèmes de changes fixes.
Donc le débat que l’on peut trouver dans la littérature de recherche du FMI (faisant souvent appel à des gens extérieurs à l’institution) reflète le débat des économistes sur la question des systèmes de change. Un débat qui n’a jamais connu de réponse claire.

En ce sens, les critiques adressées par les adversaires de la mondialisation sont sans fondement puisque la crise argentine met en question le système de change pour lequel il n’existe aucune orthodoxie ou position représentant le fantôme “néo-libéral” périodiquement dénoncé. Si l’on veut rattacher à des écoles de pensée économique les différents systèmes de change, le currency board est plutôt dans le courant keynésien ou étatique, il était recommandé par Hicks et plus généralement l’idée des changes fixes faisant intervenir la régulation des États se rattache à une tradition plus “de gauche” ou en tout cas non libérale, alors que les changes flexibles qui font confiance aux marchés des changes pour trouver la bonne parité des monnaies trouvent naturellement écho dans les idées libérales. Mais la réalité est en fait beaucoup plus complexe, car sur la question des changes il y a peu de certitudes économiques et les currency boards par leur rigidité ont toujours du succès auprès des partisans de la rigueur et de la discipline comme fondement d’une saine économie.

Pour en revenir au rôle du FMI, les rares textes qui peuvent être considérés comme reflétant le point de vue de l’institution me semblent plutôt favorables au currency board. Dans une réponse à l’éditeur de Business Week (sûrement après un édito très critique à l’égard du FMI), Michael Mussa (économiste à la tête du département recherche du FMI) défendait ainsi son institution en vantant la manière dont le currency board argentin et ses accomplissements ont pu être sauvés de l’effet tequila en 1995: “As for Argentina, it faced the spillover effects of the Mexican crisis and also suffered a painful recession in 1995. But with the efforts of its government and with support from the IMF and the international community, the accomplishments of Argentina’s convertibility plan were preserved. The role of the Fund in this success is ignored by many of the IMF’s critics.”
Je n’ai pas trouvé de point de vue critique vis-à-vis du régime monétaire argentin. Peut-être faudrait-il remonter à son instauration en 1991, mais on ne trouve pas de documents aussi anciens.

Les recommandations du FMI à l’Argentine

Le terme employé pour qualifier le régime monétaire argentin est ‘convertibility regime’. En fait, c’est ainsi que depuis sa création en avril 1991 le currency board est désigné par les autorités argentines.
Le plus ancien document en ligne concernant l’évaluation de la politique argentine remonte à 1995 et fait l’éloge du currency board:

“Over the past four years under the Convertibility Plan adopted in March 1991, Argentina has substantially consolidated its stabilization efforts and made considerable progress in the area of structural reform. Under this plan, Argentina pegged the peso to the U.S. dollar, allowed the U.S. dollar to be used for most transactions, eliminated indexation, and prohibited the Central Bank from providing domestic credit beyond certain limits.”.

Les documents plus récents n’évoquent pas la question du currency board. Le dialogue entre le FMI et le gouvernement argentin tourne essentiellement autour des questions de réduction du déficit public et de réforme fiscale sur l’année 2000-2001.

Le type de prose que l’on peut lire dans les documents du FMI est le suivant. Par exemple en mars 2000:

“The macroeconomic discipline imposed by the convertibility regime adopted in 1991, and a wide-ranging structural reform and privatization effort (supported with successive credit arrangements from the IMF) were instrumental in ensuring Argentina’s generally strong economic performance during most of the last decade. GDP growth averaged more than 4% a year between 1992 and 1998, and inflation decelerated rapidly to a sustained low rate.”

Si l’on s’intéresse à la période précédant la crise de décembre 2001, le mémorandum rédigé en mai 2001 par le gouvernement argentin pour obtenir le soutien du FMI prévoyait le maintien de la parité peso-dollar et même d’étendre le système à l’euro :

“The new measures the government is putting in place aim to restore confidence, both domestically and externally, accelerate productivitygrowth, and bolster competitiveness. They continue to be centered on the maintenance of the convertibility regime. The government intends to preserve convertibility’s main features, e.g., full foreign exchange backing of the currency, and statutory limitations on central bank financing of the public sector. In addition, the government intends to reinforce convertibility by including the euro alongside the U.S. dollar, and thereby promote greater stability of the effective exchange rate of the peso. Draft legislation has been introduced in Congress specifying that, once parity is established between the U.S. dollar and the euro, the value of the peso will be defined in terms of equal parts of both currencies.”

Le FMI approuvait apparemment cette orientation. Ainsi, la revue du FMI de l’économie argentine en mai 2001 contient le paragraphe suivant sur les questions monétaires:

“Argentina’s convertibility regime, the independence of the central bank, and the high capital and liquidity defenses of the banking system are important pillars of the country’s economic strategy and have been vital in helping withstand turbulent international financial conditions in recent years. The IMF therefore welcomes the authorities’ reaffirmation of their commitment to these policies.”

Horst Kohler, le directeur du FMI déclarait aussi en août 2001:

“Argentina has demonstrated a strong commitment to the convertibility regime and to decisive implementation of the package of measures designed to achieve a zero fiscal deficit that will help greatly to stabilize the macroeconomic situation and to strengthen confidence. In view of these resolute efforts, the IMF stands ready to support Argentina,”

Conclusion

Il y a un grand nombre de documents du FMI sur l’économie argentine et bien sûr je ne les ai pas tous lus. Mais ceux qui ont attiré mon attention montrent clairement un soutien au currency board sur le plan officiel, sans jamais apporter une seule critique ou recommandation concernant sa mise en oeuvre. Je me demande d’ailleurs où l’on trouve la trace écrite des réserves du FMI à l’égard du système de change argentin.

Sur le plan de la recherche économique, cette position n’est pas incohérente et un certain nombre de papiers mettent bien en relief l’intérêt d’un currency board, sans oublier de mentionner ses limites.
Donc, je crois que la défense du FMI face aux critiques émises à l’occasion de la dernière crise en Argentine est quelque part un discours institutionnel type ‘pas responsable, pas coupable’. Comme le FMI a une grande diversité de textes qui vantent ou condamnent les currency boards, il peut toujours restrospectivement dire “je l’avais bien dit”, quelque soit le résultat de la politique qu’il a conseillée.

L’examen rapide des documents que j’ai pu faire montre clairement qu’il était un partisan du système et l’a défendu en y croyant. Ce qui après tout n’a rien de déshonorant, le currency board a permis à l’Argentine d’avoir de meilleures performances macroéconomiques et il y a matière à argumenter concernant ses bienfaits. Il faut aussi savoir reconnaître que la rigidité du système qui a fait son succès peut aussi causer sa perte. Ce qui s’est produit en Argentine. Pour rendre l’expérience utile, il vaut mieux accepter la responsabilité de l’échec et en tirer des conclusions pour l’avenir.

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