La question et sa réponse

Le vieillissement démographique condamne-t-il la croissance ?

Rédacteur : Stéphane Ménia

Au moment où se pose le problème des retraites, c’est spontanément l’image négative qu’en donnait Sauvy qui caractérise l’idée de vieillesse. Une population composée en majorité de personnes âgées est une population qui entretient un rapport à l’avenir fondé sur l’aversion au risque et la volonté de maintenir les choses en place.

En termes économiques, cette décrépitude collective se traduirait par un manque à gagner en termes de production, d’investissement, qu’il soit matériel ou immatériel et une perte en capital humain due aux vicissitudes physiologiques du grand âge. Quand on sait la place que les théories de la croissance accorde à ces aspects, on ne peut alors que s’inquiéter de la perspective d’un vieillissement marqué. A cela, il faut évidemment ajouter le poids croissant des retraites dans la richesse créée qui, si elle devait stagner pour les raisons exprimées ci-dessus, serait toujours plus ponctionnée. Un aspect risible de cette peur, du côté de la demande cette fois-ci, est la mise en avant du risque de non renouvellement des équipements. Quelques auteurs osent le mettre en avant. Et par dessus tout, sans donner d’estimations. Comme si on se situait toujours au bon vieux temps de la production de masse, le fait que les retraités aient tous leur lave-linge et qu’il y ait peu de jeunes pour renouveler la demande serait dramatique. Certes, les discours sur l’ère tertiaire sont parfois teintés d’une naïveté qui pourrait faire penser que tout ce qui nous entoure est devenu virtuel et intellectuel. C’est faux, bien évidemment. Mais, primo, même dans une optique industrielle, le problème de l’équipement disparaît. La tendance à la différenciation, à l’individualisation des prestations et l’innovation de produits le résout largement. Secundo, nier la prééminence des services dans le développement économique contemporain est absurde.

Mis à part cette approche, les autres arguments restent. A cette vision pessimiste, on peut apporter deux types de réponse selon que l’on se place du point de vue de l’offre ou plutôt de celui de la demande (même si en matière de croissance, l’offre n’est jamais très loin…) :
– d’une part, la notion de grand âge et ses conséquences doit être revue. On vit plus longtemps, mais on vit aussi plus longtemps en meilleure santé. L’âge, comme il l’a toujours été par ailleurs,est un fardeau inégal selon les individus. Ce qui signifie que la capacité productive globale ne diminue pas forcément avec le vieillissement. C’est dans cette optique que se placent les propositions visant à différencier l’âge des départs à la retraite selon les aptitudes et volontés de chacun. La grande hausse du nombre d’inactifs n’est pas inéluctable, du moins pas dans une proportion binaire. La hausse de la productivité n’est pas la seule solution à considérer pour maintenir le taux de croissance. Une nouvelle forme de mobilisation du facteur travail est envisageable, sous la forme d’un allongement de la durée de vie active qui tienne compte de la hausse de l’espérance de vie et des diverses situations individuelles.
L’idée d’une perte de vitalité en termes d’innovation est basée sur l’idée que plus on vieillit et moins on est incité à investir dans le capital humain du fait que son horizon de rentabilité se raccourcit. Et le nombre de personnes âgées augmentant, l’investissement global diminuerait. C’est exact, mais toutes choses étant égales par ailleurs seulement. Quid de la hausse de l’espérance de vie sur ce point particulier ? Quid des arrangements institutionnels entre générations qui pourraient sortir de cette logique marchande le volant de retraités qui décideront qu’il est bien sympathique d’avoir une activité hors de la sphère marchande et dont les efforts ne seraient pas basés sur un rendement quelconque? Sans tomber dans le travers inverse de l’image d’une société où tous les petits vieux se donneraient la main pour travailler aux restos du cœur, on peut penser que les nouvelles conditions médico-démographiques auront une influence en partie positive sur les fonctions de production sociales. Certains évoquent le raffermissement des liens familiaux et le soutien des grands parents aux enfants et petits-enfants, escomptant des effets favorables sur la situation et la mobilisation du capital humain des seconds. Las… on est ici dans la prospective pure. Ces effets, bien qu’envisageables, sont conditionnés par d’autres questions sociales et font notamment fi de la concentration des risques sur les dynasties les plus défavorisées à la base. En un mot, si les liens se resserrent entre générations des 200 familles les plus riches, on peut considérer que c’est sans importance.
– d’autre part, les niveaux de vie, les modes de vie et de consommation évoluent. Le recul de la pauvreté du grand âge est une donnée (pour le moment) structurelle de nos sociétés. Cela ouvre des perspectives nouvelles en termes de consommation. On observe assez logiquement que la demande des retraités se porte en priorité sur les services. Or, il se trouve que la crise du modèle fordiste appelle une évolution, déjà constatée par ailleurs, vers une société où la plus grande part des activités relèverait du tertiaire. Les plus optimistes soulignent que de surcroît, les retraités sont consommateurs de services faisant appel aux NTIC. L’argument n’est pas fallacieux. Tout au plus, est-il conditionnel. En effet, une première lecture pourrait laisser à penser que les papis et mamies netsurfers boosteraient la demande dans le secteur des nouvelles technologies. Ce n’est pas là le point crucial. Certes, dans une population dont l’activité principale peut être le loisir, il n’est pas inopportun d’estimer que, même en tenant compte de difficultés d’apprivoisement des nouveaux outils, un volant non négligeable des retraités sera consommateur effectif de ces biens et services. Mais, au delà de cet aspect, l’idée sous-jacente concerne l’utilisation des NTIC dans la production de services plus traditionnels et des gains de productivité qui pourraient en découler. On peut penser par exemple aux méthodes de gestion des voyagistes. On peut lier ces phénomènes à la croissance en se référant aux modèles de croissance endogène basés sur la différenciation des biens.

Optimistes ou pessimistes ne peuvent faire l’économie d’un raisonnement qui fixe les «toutes choses étant égales par ailleurs» aux stades de la réflexion où ils sont pertinents.

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