La question et sa réponse

Quelles sont les conceptions de la place de l’État dans la pensée économique ?

Rédacteur : Stéphane Ménia

Cette réponse donne quelques jalons, en relevant les conceptions que l’on peut attribuer aux courants les plus marquants. Elle est loin d’être exhaustive, mais donne des points de repère qui me semblent utiles. En particulier, même si elle est présentée chronologiquement, les catégories retenues perdurent et cohabitent au cours du temps.

L’État mercantiliste

Pour les mercantilistes, la fonction économique de l’État est d’intervenir pour accroître la richesse nationale. Or, les excédents commerciaux enrichissent le pays. Il faut donc ériger des barrières protectionnistes et aider les entreprises à conquérir des marchés à l’extérieur.

L’État régalien

Dans sa conception régalienne, l’État doit se contenter de produire quelques biens publics essentiels au bon fonctionnement du marché, préservant la liberté des agents économiques et la propriété privée. Les fonctions régaliennes sont : la Défense, la justice, la police, les affaires étrangères. De nombreux auteurs proches de cette conception (le premier étant probablement Adam Smith) y ajoutent quelques infrastructures telles que certaines infrastructures routières.

L’État selon Marx

Pour Marx, l’État est au service de la classe dominante, le Capital. Il en protège les intérêts. Il doit donc disparaître après une phase de socialisme d’État où les moyens de production seront collectivisés. Cette étape débouche sur le communisme, société sans État et « dictature du prolétariat ».

L’État néoclassique

La conclusion logique des travaux néoclassiques (et de « l’économie du bien-être » spécifiquement) est que l’État doit contribuer à corriger les imperfections de la concurrence qui éloignent l’économie des situations d’optimum de Pareto. Il peut dès lors fournir des biens publics, corriger des externalités, réguler les monopoles naturels, conduire une politique de la concurrence.
L’intervention de l’État n’a rien de systématique dans cette perspective. Elle repose sur une analyse coûts-bénéfices systématique, dans laquelle le gain net d’une intervention est évaluée : si la solution publique est encore plus coûteuse que celle du marché, elle ne doit pas être retenue.
Dans cette conception, un écueil important à l’action publique comme émanation de la volonté de tous apparaît avec l’impossibilité de construire une fonction d’utilité collective reposant sur les fonctions d’utilité individuelle. Ce que montrent le paradoxe de Condorcet et le théorème d’impossibilité d’Arrow.

L’État keynésien

Les individus sont confrontés à l’incertitude. Leur comportement produit des « défauts de coordination ». Il en résulte potentiellement un équilibre de sous-emploi qui peut être durable. L’État a vocation à conduire des politiques de soutien de la demande afin de créer des anticipations plus favorables, canaliser les « esprits animaux » et orienter les comportements vers un meilleur équilibre.

L’État Providence

Le rôle de l’État est de fournir aux individus un bien-être matériel individuel, des assurances sociales et corriger les inégalités par la fiscalité et les cotisations et transferts sociaux.
L’État Providence n’est pas un Etat keynésien, mais a des caractéristiques communes :
il oriente favorablement les anticipations en créant des assurances sociales, il permet un soutien contracyclique à la demande qui est favorable au lissage des revenus.

L’État minimal contemporain

Dans les années 1970, on assiste à une remise en cause de l’intervention publique. Celle-ci fait émerger diverses critiques, plus ou moins radicale, sur un plan théorique.
Pour le Public Choice (James Buchanan, Gordon Tullock), fonctionnaires et les élus sont des individus comme les autres qui recherchent leur intérêt personnel avant tout. L’action publique peut être biaisée et ne pas correspondre à l’intérêt général. Il faut donc laisser le moins de place possible à l’intervention discrétionnaire de l’État et appliquer des règles institutionnelles non manipulables (voir cette page sur le Public choice).

Les idées de Friedrich Hayek sont remises au goût du jour. Pour lui, seul le marché garantit la justice et la liberté. L’État ne doit pas corriger les inégalités car elles sont le résultat des actions libres des individus sur les marchés. La correction des inégalités peut être plus injuste que les inégalités elles-mêmes. Il aboutit à une négation de la notion de « justice sociale », le seul concept valide en matière de justice étant la liberté . On retrouve une conception proche de celle d’État régalien : les seules interventions légitimes sont celles qui permettent aux marchés de fonctionner.

À la suite, dans un registre différent mais prenant en compte la remise en cause de l’existence de l’État comme « despote bienveillant », se développe un courant cherchant à préciser les bons mécanismes de définition des politiques publiques. Il est incarné par des auteurs comme Maskin, Laffont ou Tirole. Le message général est qu’il faut, dans tous les domaines où l’État est légitime à agir, créer des règles incitant les décideurs publics à agir dans le sens de l’intérêt collectif.

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