Note de lecture


Le nouvel âge des inégalités
J.P. Fitoussi & P. Rosanvallon (1996)

Un peu anachronique comme lecture ? Un peu… Le livre est sorti en 1996, au plus haut du chômage et de la sinistrose française. De fait, un certain nombre de réflexions ne sont guère plus d’actualité. Reste évidemment le thème central de l’ouvrage : les inégalités et leur évolution, d’un point de vue quantitatif, mais surtout qualitatif. De ce point de vue, tout ne peut avoir changé en six ans ! Et c’est bien le cas…
Bon, ne tournons pas autour du pot, il n’y a pas de doute, les deux auteurs nous avaient habitués à bien mieux dans leurs travaux individuels. Ce livre est un ratage en règle. Ambitieux quant à l’objectif, il ne trouve pas la forme adéquate pour remplir le lourd cahier des charges, sur le fond, que les auteurs se sont fixés. Car de quoi s’agit-il ? D’aller chercher les causes de la crise sociale qui frappe la France en 1996 et de proposer des voies de sortie équilibrées. Beau challenge intellectuel s’il en est, c’est certain. Et, rapidement, les auteurs ont du percevoir son gigantisme puisque, finalement, c’est de l’éléboration d’une forme de programme de recherche que se réclame le livre assez rapidement. C’est tout à fait justifiable. Mais ça ne suppose pas pour autant de tomber dans la facilité, car l’élaboration d’une problématique demande souvent autant de temps que la construction d’une pensée profonde.
Ce qu’on doit reprocher au livre, c’est d’être un mélange de “la nouvelle question sociale” de Rosanvallon et du “débat interdit” de Fitoussi. Ah, mais me direz vous, ce sont deux très bons livres ! C’est un point de vue que je partage. Mais voilà… il se trouve que le mélange des deux opéré dans “le nouvel âge des inégalités” est particulièrement contre-productif : il ne fait que survoler les thèmes repris de ces ouvrages et ne contient pas de liant. Le résultat est une description des angoisses de notre société, de la toxicomanie, à la pauvreté, en passant par les incivilités quotidiennes, avec un détour par la mondialisation, puis une complainte sur la misère des personnels politiques et de la citoyenneté dévalorisée par le sentiment d’opacité de notre société. Passionant ? Oui, oui, bien sûr ! Mais s’il s’agit de faire un long catalogue des petits et gros soucis des français, sans montrer en quoi tout est lié au sein d’une problématique réellement pertinente, alors je ne vois pas l’intérêt d’appeler cela un essai.
Ne nous étendons pas longuement. Retenons la seule idée qui valait la peine d’être relevée : la lecture de l’inégalité est devenue plus complexe dans la mesure où avec une certaine forme d’individualisation des parcours individuels, l’appareil intellectuel, assuranciel, administratif et statistique de lecture de la société française, basé sur la division en grandes populations homogènes, devient inadapaté. Les conséquences étant diverses : d’abord ce malaise face à une impression d’accroissement des inégalités que les statistiques ne traduisent que très mal ; ensuite la défiance face aux institutions du lien social que sont par exemple l’Etat-providence ; enfin les difficultés à penser (politiquement) de nouvelles régulations économiques dans la période de l’après fordisme. De ce point de vue, il faut bien reconnaître que le livre, dont l’optique est résolument grand public, arrivait à un moment opportun pour faire une synthèse sur ce qui pouvait se murmurer sur tous ces sujets dans les milieux académiques.
Pour finir, si je dois donner un seul conseil aux lecteurs, ce sera de laisser tomber cet ouvrage décevant et de lire “La nouvelle question sociale” et “Le débat interdit”. Les rajouts supposés apporter une valeur ajoutée sont trop superficiels.
Stéphane Ménia
26/01/2002

J.P. Fitoussi & P. Rosanvallon, Le nouvel âge des inégalités. , Le Seuil, 1996 (6,18 €)

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