Note de lecture


L’économie de marché
Roger Guesnerie (1996)

On range la bibliothèque et on s’aperçoit qu’on n’a jamais fini un livre commencé dans une salle d’attente, posé ensuite dans un coin parce que d’autres lectures s’imposaient et finalement abandonné jusqu’à ce qu’on le redécouvre et décide de le lire en entier (bien qu’on l’ait vu et reconnu cent fois entre temps). Cela ne vous arrive jamais ? Ca m’arrive. Ca m’est arrivé avec ce petit livre de Roger Guesnerie. Roger Guesnerie est peu connu du grand public. C’est pourtant une grosse pointure de la recherche en sciences économiques en France (il dépasse même la France…), dont les travaux (notamment sur les questions d’anticipations) sont très stimulants, mais le plus souvent très formalisés (ceci expliquant donc cela).
Ce livre est tout simplement remarquable. En une centaine de pages, il pose avec brio les questions de l’économie. Partant plus ou moins explicitement de la confusion sémantique entre le terme “économie” en tant qu’objet et celui d'”économie” en tant que discipline étudiant la réalité attachée à la première version du mot, il expose comment on passe de l’un à l’autre. Comment les économistes conceptualisent la notion de marché, celle d’économie de marché ou celle d’économieS de marché. Pourquoi le marché en tant que mécanisme d’allocation des ressources sert de référence en matière d’efficience. Pourquoi la planification centralisée, alors qu’elle est théoriquement au moins aussi puissante que le marché pour gérer la rareté s’est avérée un échec pratique. Prendre le temps de s’arrêter un moment sur ce point est une initiative peu commune de nos jours, où la simple chute physique du mur de Berlin semble signifier l’inefficacité de la planification pour la plupart des auteurs. Petite digression à ce sujet : dans de nombreux domaines de la macroéconomie, la méthodologie standard consiste à concevoir deux “versions” d’un modèle : celle décentralisée et celle centralisée. Pourquoi ? Parce que sur le papier, on sait que la version centralisée sera toujours celle qui amènera à l’optimum social. On lui compare ensuite la version décentralisée, pas toujours optimale (selon la forme du modèle). Bref, il est quand même utile, même aujourd’hui, de s’intéresser à la planification…
Revenons donc au livre. Une fois que l’on a dit que le marché est efficace par sa capacité à coordonner par les prix des agents courant après leur bien-être individuel dans une économie monétaire, que dire ? Plein de choses, c’est la difficulté. Et c’est là que Guesnerie fait la différence par rapport à la plupart des autres ouvrages en français, quelle que soit leur taille. Il parle de tout ! Et de façon si bien construite qu’on en voudrait encore quand c’est fini. Une liste ? Externalités, biens publics, redistribution, assurance sociale, croissance, innovation, concurrence imparfaite, réglementation, développement, échange international, et j’en oubllie. Comment fait-il ? Tout simplement, il montre clairement qu’à partir du modèle d’équilibre général, squelette indigent d’une réalité économique complexe, on peut apprendre beaucoup sur le fonctionnement de l’économie, en prenant la peine de le complexifier petit à petit.
Soyons clairs : ce livre est trop court. Quand on a fini, on se dit que le jour où l’auteur sort un “Traité d’économie politique” (ou quelque chose dans le style) basé sur ce schéma, c’est le carton assuré. “L’économie de marché” de Roger Guesnerie est le livre que tous les néo bacheliers devraient lire l’été qui précède leur entrée en fac de sciences économiques. Cela éviterait, par une voie inattendue, des pétitions d’étudiants sur le sens à donner à des études universitaires en économie…

Stéphane Ménia
06/10/2000

Roger Guesnerie, L’économie de marché. , Flammarion, 1996 (environ 6,50 €)

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