Note de lecture


La crise
Michel Aglietta (2008)

Vous avez certainement remarqué que la littérature sur la crise financière est abondante en tête de gondoles chez les libraires. De ceux qui avaient tout prévu (et sortit leur livre en début d’année ou l’an dernier) à ceux qui n’avaient rien prévu mais ont vite pris le clavier pour compiler les évènements récents, en passant par ceux qui ont prévu un peu tard et passent injustement pour des opportunistes, on a le choix pour faire le point. Face à ces rayons de crise, je n’avais opté que pour le livre de Frédéric Lordon. Puis, j’ai noté la sortie de l’ouvrage de Michel Aglietta, au titre etcontenu brefs. J’attendais en me disant que Lordon était prioritaire.Les éditions Michalon nous ont alors contactés pour nous signaler la sortie de l’ouvrage d’Aglietta et nous proposer l’ouvrage en service de presse. Une fois l’ouvrage reçu, Lordon est passé à la trappe (temporairement) au hasard d’une attente en salle des profs…

La crise est un bon livre. Michel Aglietta y livre un résumé solide et synthétique de la mécanique de la crise dont la fluidité est tout à fait remarquable. En dépit de l’incontestable expertise de l’auteur dans le domaine de systèmes monétaires et financiers, un tel résultat n’était pas acquis d’avance. D’une part, en raison de la complexité du sujet. D’autre part, parce qu’Aglietta n’est pas toujours facile à lire. Sur ces deux points, le lecteur peut être rassuré.

Michel Aglietta part d’une problématique historique issue des travaux de Kindleberger et d’une analyse keynésienne (bien que des auteurs comme Irving Fisher puisssent y prétendre tout autant) pour considérer que les crises financières reviennent toujours, selon une logique cyclique caractérisée par des bulles et des krahcs d’ampleur variable, dont les conséquences se transmettent à l’économie réelle avant que ne s’amorce un nouveau cycle. A partir de cette matrice générale, il montre en quoi la crise actuelle relève de ces règles habituelles en expliquant dans le détail sous quelles formes elle s’est réalisée cette fois-ci. Il montre comment, dans ce contexte, les déséquilibres sont arrivés à des niveaux inconnus jusqu’ici, par la conjonction de pratiques financières critiques et de variables macroéconomiques interagissant avec ces comportements microéconomiques pour finalement engendrer la crise.
Des normes comptables à la politique monétaire américaine, en passant par la rémunération des traders, la myopie des banques en matière de dissémination des risques ou les conséquences de la crise de 1997 sur le comportement des gouvernements asiatiques (notamment les fonds souverains), tout y passe. S’ensuit une description des conséquences à venir sur l’économie réelle. Aglietta est pessimiste, prévoyant des années de ralentissement économique, le temps que les bilans des agents économiques se rééquilibrent en termes de risques et dettes.

Sur les remèdes, Aglietta valide sans surprise la nécessité des plans structurels et conjoncturels. Sur la plan structurel, la lutte contre le risque systémique imposait les dispositifs de soutien aux banques, même si le contribuable doit être d’ores et déjà assuré qu’il en assumera directement une partie du coût à moyenne échéance. Sur le plan conjoncturel, pour éviter une déflation, l’Etat doit soutenir l’activité durant la période où les agents privés réduisent drastiquement leur dette. Il s’agit de substituer de la dette publique à de la dette privée, le temps que l’activité redémarre. Au passage, l’auteur se demande si, à la façon de la naissance réelle du budget fédéral aux Etats-Unis dans les années 1930, cette crise pourrait marquer l’avènement d’un vrai budget européen, posant les bases d’un véritable gouvernement économique de la zone.

En matière d’organisation de l’activité financière, Aglietta propose un certain nombre de solutions, telles que la mise en place dans les banques de “provisions” évoluant de façon contracylcique : elles croîtraient dans les phases d’euphorie, afin de prévenir les défauts de liquidité ou de solvabilité en cas de retournement brutal. il suggère, comme d’autres, de revoir le mode de rémunération asymétrique des traders, d’élargir la réglementation bancaire à des établissements tels que les hedge funds, de normaliser les règles en vigueur dans lesplaces offshore. Loin de condamner le principe de la titrisation, Aglietta note que les aberrations récentes suggèrent une normalisation des produits jusqu’ici négociés de gré à gré, en les ramenant vers le giron des marchés organisés. Au sujet des agences de notation, il propose de les considérer comme un bien public et de donner leur gestion à des structures publiques, non rémunéréespar les émetteurs de titres. Sur la gouvernance des banqques en particulier, il signale l’inanité des politiques de stock-options et, surtout, note la faible compétence des administrateurs indépendants de leurs conseils d’administration, espérant que les grands actionnaires aient un poids effectif dans la nomination de personnalités réellement indépendantes et, par dessus tout, compétentes (ce qui n’est pas souvent le cas actuellement).

Plus qu’un point de vue sur la crise, cet ouvrage est une mine de réflexion pour ceux qui n’ont pas encore fait le tour de la question. Pour ceux qui ont lu le rapport du CAE sur la crise des subprimes, on y retrouve beaucoup d’éléments, dans un style plus agréable et une technicité réduite.

Stéphane Ménia
15/12/2008

Michel Aglietta, La crise. Pourquoi on en est arrivé là ? Comment en sortir ?, Michalon, 2008 (14 €)

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