Note de lecture


Les prêcheurs de l’apocalypse
Jean de Kervasdoué (2007)

“La catastrophe de Seveso en tant que telle n’a fait aucun mort, zéro. Cependant, le directeur de l’usine a été assassiné par les Brigades rouges, une mort indirecte donc.”

Quand un spécialiste de l’analyse économique des questions de santé ne supporte plus de lire et entendre des absurdités répétées à longueur de journée dans son domaine de compétence, il arrive qu’il pète les plombs. Et il en fait un livre. Ainsi résumé, le livre de Jean de Kervasdoué a tout lieu de ne pas attirer l’attention. On aurait cependant tort de se limiter à cette appréciation. Car si les prêcheurs de l’apocalypse est le fruit d’un énervement revendiqué par l’auteur, il débouche sur un ouvrage qui relève autant de l’essai pédagogique que du pamphlet.

Kervasdoué y démonte ce qu’il appelle les “délires écologiques et sanitaires” de ce début de siècle, montrant en quoiils relèvent précisément de l’incompréhension des questions écologiques et sanitaires. Pour lui, ce travestissement de la réalité, sous l’apparence du bon sens, est non seulement une escroquerie intellectuelle mais, au delà, a des conséquences fâcheuses en matière de politiques publiques.

Son argumentation repose sur quelques idées principales. La première est que l’évaluation des risques dans nos sociétés, en France en particulier, est trop souvent biaisée lorsqu’elle est le fait de politiciens ou bureaucrates, classant ridiculement les risques et les moyens sociaux à affecter à leur traitement. Et ce, au mépris de la science et des connaissances qu’elle met pourtantau service de la société. La deuxième est que derrière les idées avancées sur la place publique se cache un constructivismenon seulement détestable tant il fait fi desvolontés individuelles mais, qui plus est, totalement inadaptée à des sociétés démocratiques ou, in fine, la liberté individuelle ne se soumet pas facilement à ce genre de constructions. Enfin, il s’oppose à une vision faite de contradictions dont le point commun est de reposer sur le refus d’une perception économique des problèmes écologiques et sanitaires, perception pourtant compatible avec le débat démocratique et une définition délibérée des choix sociaux.

La première de ces contradictions repose sur le culte de la nature. Une nature supposée parée de toutes les qualités, quand l’action humaine ne serait que source de dangers et de destructions. Il existe un conflit irrémédiable entre les hommes et la nature. L’histoire de l’humanité est en grande partie l’histoire de ce conflit. La nature est hostile à l’homme.Si l’on se penche sur les maux sanitaires des pays en développement, on se rend compte qu’ils sont le fait d’un environnement on ne peut plus naturel. Si l’espérance de vie a pu progresser, c’est parce que l’espèce humaine a pris le parti d’humaniser la nature pour en faire un endroit plus accueillant. Au prix d’un équilibre désormais réputé fragile, mais qui n’appelle pas une remise en cause de ce constat de base : pour vivre dans la nature, l’homme doit s’y faire sa place. Cette réalité pousse certains, au travers notamment du développement d’une “écologie politique”, à une suspiscion systématique à l’égard de ce qui n’est pas naturel. Ainsi, derrière toute démarche scientifique, se cacherait un risque insupportable pour les populations qu’elles soient humaines, animales ou végétales.

L’auteur montre que cette crainte permanente fait l’impasse sur ce qu’a toujours été le progrès sanitaire ou médical. Exemple parmid’autres, l’usage de l’eau de javel est potentiellement dangereux pour la santé. Pourtant, c’est aussil’usage de la javel dans les dispositifs de traitement de l’eau qui permet d’amélioirer sa qualité. Or, Kervasdoué montre par exemple que la définition de multiples seuils de tolérance à diverses substances issues des activités humaines ne sont pas le fruit d’une démarche scientifique solide, mais de modèles scientifiquement contestables dans leurs hypothèses. Passés à la moulinette bureaucratique et politique, ils accouchent de préconisations qui entretiennent la peur et ruinent tout effort pour établir une échelle des risques, tenant certes compte des coûts probables, mais aussi des gains probables. Il en va ainsi pour l’auteurde la place à donner à l’énergie atomique. Vrai : l’exposition aux radiations peut être mauvaise pour la santé. Mais dans la logique du principe de précaution, cette constatation débouche sur l’évacuation complète des gains certains qu’elle est susceptible de procurer. Mieux que cela,ayant désigné le mal unique dans l’atome, on en oublie que le nucléaire a tué nettement moins que les mines de charbon. D’autant que l’usage de l’énergie nucléaire est somme toute une bonne nouvelle pour le réchauffement climatique. Jean de Kervasdoué produit des résultats troublants quant aux conséquences de l’accident de Tchernobyl. D’après une étude lourde qu’il a coordonné il y a quelques années, l’impact sur les populations locales est ainsi nettement plus faible que ce que l’on pourrait communément le croire (pire que cela, il semble même que la mortalité par leucémie ou lynphome ait commencé à diminuer 4 ou 5 ans après l’explosion ; ce qui est pour le moins dérangeant). Les seuils critiques de radioactivité déterminés dans les normes sanitaires apparaissent comme particulièrement absurdes quand on constate que la production naturelle de radiations est parfois bien plus importante que ces seuils, sans que personne ne s’en inquiète jamais (ce qui est, du reste, tout à fait justifié).

L’auteur s’en prend au mouvement anti-OGM en notant qu’il revendique une philosophieoù tout risque potentiel, dont personne n’est en mesure d’envisager la simple existence, justifie que l’on refuse toute recherche et usage d’OGM. Il montre en quoi les raisonnements sur ce sujet sont par nature infalsifiable (et donc non scientifiques au sens de Popper), dans la mesure où chaque démonstration de l’inocuité des produits mis en cause pourra être suivie d’une nouvelle demande de preuve qu’aucun risque n’apparaîtra jamais à l’usage de ces produits.Ce principe de précaution, appliqué à de divers domaines, montre par ailleurs des limites particulièrement aiguës. Ainsi, en reprenant quelques catastrophes sanitaires, l’auteur montre que son application n’aurait servi à rien pour éviter les drames. C’est ainsi que l’épidémie de maladie de la vache folle n’aurait pas pu être empêchée. Pour une raison simple : alors que la crise est passée, que le nombre de victimes se comptent en dizaines, plus qu’en milliers, on ignore toujours scientifiquement comment cette maladie se développe. En d’autres termes, si l’usage de farines animales a été un catalyseur, on ne sait pas si la propagation de la maladie aurait été évitée sans cela. Le principe de précaution devient particulièrement absurde quand on compare les gains et les coûts. C’est ainsi que si le paludisme tue de nouveau à grande échelle dans le monde, c’est que l’usage du DDT, qui limitait la prolifération de son vecteur, le moustique, n’est plus utilisé pour éviter des nuisances à certains animaux ou éviter la rupture de la chaîne alimentaire. C’est ainsi que des enfants meurent dans le monde pour protéger certains oiseaux. Non pas que le sort des oiseaux soit sans importance, mais ainsi posé le dilemme mérite quelque réflexion. L’épidémie dechikungunya en Réunion avait été parfaitement anticipée. Si ce n’est qu’une fois l’épidémie déclarée que des moyens chimiques ont été employés à grande échelle, c’est en raison d’une réticence mal informée des populations à utiliser certains insecticides et à l’opposition de défenseurs de la nature de mettre en oeuvre en amont la diffusion de certains autres produits qui auraient pu empêcher aux larves de devenir des moustiques. Au fond, l’évaluation des solutions repose actuellement sur un principe qui fait qu’utiliser un produit potentiellement nuisible est condamnable alors qu’interdire un produit potentiellement bénéfique ne l’est pas.

C’est dans la lecture des questions médicales que l’ouvrage est le plus instructif. Avec beaucoup de clarté, l’auteur montre en quoi la lecture des statistiques et des études médicales est souvent erronée. Le nombre de morts attribué à la pollution est par exemple trompeur. Il découle d’un usage statistique de modèles dont la fiabilité est tout à fait discutable, mais qu’on prend pour argent comptant, particulièrement dans les médias. Lorsqu’on étudie les décès prématurés, l’évaluation des facteurs ayant conduit aux décès est complexe, mais rapportée sans guère de fioritures. En admettant que le dénombrement soit correct, l’évaluation des coûtsest fantaisiste, dans la mesure où elle fait l’impasse sur une réalité pourtant indéniable : on meurt toujours de quelque chose et ne pas envisager ce qu’auraient été les coûts d’une mort dans un autre destin est contraire à la logique. Le fumeur qui succombe d’un cancer du poumon aurait pu mourir d’une mort naturelle trente ans plus tard. Auquel cas, il aurait probablement consommé des services de santé dans la suite de sa vie, probablement plus importants que le coût du traitement de son cancer. Dire que ce décès prématuré a causé un surcoût à la sécurité sociale est donc absurde. Cela ne signifie pas que son décès prématuré est une bonne nouvelle, mais impose un autre regard sur l’évaluation des coûts du système de santé en fonction des comportements individuels. En matière de prévention, Kervasdoué montre également que ce n’est que dans certains cas, peu fréquents en définitive, qu’une politique de prévention sanitaire est efficace. La prévention, le dépistage en particulier, a des effets bénéfiques (s’ilpermet par exemple de soigner plus vite des maladies qui auraient été plus dures à soigner plus tard) ; mais également des coûts, voire des coûts “cachés” (l’impact psychologique de l’annonce de la maladie peut dégrader prématurément la santé du patient). De façon générale, l’usage peu avisé des statistiques sanitaires peut être à l’origine de politiques publiques farfelues. Ainsi, le taux de décès par suicide des jeunes est nettement plus élevé que celui des personnes âgées. Pourtant, la probabilité de se suicider est plus élevée chez les personnes âgées. Alors comment expliquer ce taux chez les jeunes ? Quand on est jeune, de façon générale, on meurt rarement. Donc, quand on meurt, c’est le plus souvent par suicide… Le risque de mourir d’un cancer a-t-il augmenté ? Non. En réalité, la croissance des décès par cancer est inférieure à ce qu’elle aurait dû être, compte tenu de la croissance démographique (plus la population est importante, plus le nombre de morts par cancer est élevé) et de l’allongement de l’espérance de vie (vieillir expose davantage au cancer). L’ouvrage montre de façon récurrente l’interaction entre des normes sociales, des règlements ou des politiques sanitaires et la valeur des statistiques. Ainsi, si le nombre d’enfants considérés comme autistes est plus élevé aujourd’hui qu’hier aux Etats Unis, c’est en raison d’un élargissement de la définition de l’autisme, de contraintes pesant sur les établissements scolaires, contraints (et encouragés par des aides financières) de signaler les cas plausibles et, également, en raison d’une moindre stigmatisation des parents que par le passé. Doit-on conclure à une soudaine épidémie d’autisme dans ces conditions ?

On pourrait encore égréner longuement les points auxquels l’auteur s’attaque dans son ouvrage. Entre analyse scientifique et plaidoyer pour une société ouverte (la seconde n’allant pas sans la première), Kervasdoué nous dit en quelque sorte que “Nos vies valent mieux que leurs précautions”. Il le fait avec humour, avec les tripes et, en réalité, avec beaucoup de nuances.On peut être d’accord ou non. Mais l’honnêteté intellectuelle exige, a minima, le même respect pour son point de vue que celui qui est fréquemment accordé aux faucheurs d’OGM et aux monomaniaques de l’interdiction du tabac.

Stéphane Ménia
20/03/2008

Jean de Kervasdoué, Les prêcheurs de l’apocalypse. Pour en finir avec les délires écologiques et sanitaires, Plon, 2007 (18,05 €)

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