85%, et après ? De l’utilité de lire Herbert Simon (de façon limitée) avant de voter

Le taux de participation élevé est une bonne nouvelle a priori. Reste quand même un problème.

Le nombre d’absurdités économiques [1] accumulées au cours de la campagne a de quoi faire réfléchir. Je discutais avec une amie ce soir et alors que je corrigeais certains arguments avancés par les uns et les autres, elle m’a dit “Oui, c’est vrai, mais toi, tu t’interroges là dessus. Pas la plupart des gens.”. Ma chère et tendre défendait pour sa part l’idée que les gens votent en fonction de leurs intérêts immédiatement perceptibles.[2] Je défendais pour ma part le postulat que l’idéologie conduit les scrutins. Tout trois avions sûrement raison. Une synthèse de nos arguments respectifs est probablement possible. Est-ce que cela peut changer ? Est-ce souhaitable ?
Pour l’idéologie, est-ce que le terme “philosophie politique figée à court ou moyen terme” ne serait pas plus adapté ? Dans ce cas, on peut souhaiter plus de fluidité, mais on voit mal comment cela pourrait ou devrait changer !
Concernant les intérêts individuels, on voit mal pourquoi cela devrait changer aussi. On voit bien aussi le lien qu’ils entretiennent avec la philosophie politique de référence pour chacun.
Reste l’idée que les gens ne cherchent pas assez à comprendre, réfuter ou confirmer. Il y a derrière l’acceptation de cet état de fait supposé un calcul rationnel qui relève de la rationalité limitée. S’informer est coûteux. Ne pas s’informer du tout l’est tout autant. Herbert Simon est célèbre pour avoir énoncé le principe de la rationalité limitée qui débouche selon lui sur un choix qui se base non pas sur une solution optimale au sens où elle repose sur l’analyse poussée de toute l’information disponible, de l’évaluation de tous les choix possibles et d’une prise de décision selon ces critères, mais d’une décision jugée satisfaisante, reposant sur l’utilisation de routines familières visant à minimiser les coûts de collecte de l’information, à accepter l’idée que celle-ci n’est pas totalement disponible et qu’il est au delà des capacités du cerveau humain d’analyser tous les tenants et aboutissants d’une situation. On en concluerait que tous ces gens qui doivent voter ont parfaitement raison de ne pas chercher à aller plus loin que ce qu’ils ne le font. Il y a tout un tas d’arguments à faire valoir de ce point de vue. Les pauvres gens n’ont pas le loisir d’accéder à une information de qualité à un coût tolérable. Les gens occupés n’ont pas le temps. Les cons sont des cons. Etc. Pourtant, améliorer les routines cognitives qui participent à l’analyse de l’information politique est un processus d’apprentissage par la pratique comme les autres. Pas besoin de libérer plus de temps pour cela. Pas besoin d’opérer une mutation neurologique de premier plan. Inutile de gagner au loto. En revanche, le souhaiter et ne pas rater une occasion de le faire, à ressources engagées constantes, est nécessaire.
Confirmer que la démocratie se porte vraiment bien en France passe par le principe que chacun, à sa façon, à son niveau, peut améliorer sa compréhension des enjeux. A ce moment là seulement, on aura la certitude qu’on ne vote pas pour élire ses représentants comme on le fait pour éliminer un candidat de télé réalité. C’est un point de vue raisonnable, digne, respectueux de tous et ouvert. N’attendons pas des politicien(ne)s qu’ils poussent à cela. Aussi choquant que cela puisse paraître, si j’ai bien tout lu mon Public Choice, ce n’est pas leur rôle.

Notes

[1] pas seulement du reste, mais je suis formaté pour détecter celles-ci en priorité.

[2] Sous-entendu : redescend sur terre mon coco pseudo intello idéaliste. Ca se paiera ma cocotte…

13 Commentaires

  1. L’insomnie favorise t elle la réflexion?
    S’informer, être informé?
    L’information c’est quoi?
    un processus de mise en forme
    Oui, mais la mise en forme de quoi?
    A priori, on pense qu’il s’agit de faits. Relater des faits mis en forme, c’est l’information.
    A mon avis, ce qui est mis en forme, c’est la pensée de l’informé.
    Le choix des faits relatés vise à nous conduire à une réponse sous forme de bulletin de vote.
    Je suis toujours sceptique face au progrés, mais la propagande a évolué à une vitesse incroyable.

    Bon, de toute façon, je ne vais pas dormir alors assez de baratin. Il est élu, le yachtman protecteur.

    Oula, il faut vous reprendre mon garçon. Relisez vous, vous êtes en train de dire sans l’assumer que les gens sont des abrutis sans aucune capacité de discernement.

  2. Ce post sur H.Simon me fait penser à une autre façon de voir la rationalité bornée, qui arriverait peut-être à la même conclusion. Même si nous sommes parfaitements rationnels et poursuivons des fins biens définies, le choix des moyens pour atteindre ces fins est un problème plus complexe que tout ce que nous pouvons imaginer.

    On modélise souvent les choix possibles d’un agent par une zone finie entourée par une courbe d’indifférence sur laquelle il s’agit de choisir un point. Comment partager mon budget entre alimentation et habillement? etc.

    Mais bien souvent, la recherche d’un moyen pour atteindre une fin ouvre au contraire un nombre infini de possibilités. On a l’exemple des procédés dans l’industrie, des algorithmes en informatique, voire des preuves en mathématiques. On ne connaît qu’un petit nombre (fini) de choix possibles, il en reste une infinité à explorer, et la seule façon de le faire est l’essai et erreur.

    On pourrait donc dire que la zone de choix n’a pas de frontière, qu’elle n’est pas finie et ne peut donc pas être connue, ou bien que sa frontière est en perpétuelle exploration et s’éloigne sans cesse. Cette notion existe-t-elle dans les théories économiques actuelles?

    Oui. Chez Simon, c’est essentiel. Il y a effectivement l’idée que tous les choix possibles ne sont pas connus (information incomplète). Il y a aussi l’idée que les capacités de calcul ne sont pas infinies. Vous retrouvez cela dans la théorie de la firme évolutionniste, chère à O.Bouba Olga. Un peu en marge de l’économie, vous avez aussi cette perspective dans la pensée de Crozier, qui suppose que les gens ne savent pas forcément précisément quels sont leurs objectifs et qui les découvrent au fur et à mesure. Plus largement, si j’ai bien suivi, les modèles dits de “search” développent cela, mais je ne suis pas un grand spécialiste… Il faudrait demander à Alexandre si on retrouve cela dans les modèles “neuronaux”

  3. Je commence par une remarque technique : j’ai quelques difficultés à me connecter à votre site de temps en temps. voici le message d’erreur qui s’affiche : Internal Server Error.

    Oui, c’est un problème hélas connu. C’est par périodes.

    Sur le fond, je partage tout à fait ce constat un peu désabusé sur la capacité du débat public à faire émerger les bons arguments dans le débat. Le fait est que les journalistes n’ont apparemment pas les capacités de s’opposer et de contredire les politiques quand ils professent des contrevérités. Les blogueurs ont à mon sens effectué un gros travail critique, mais leur influence ne concerne qu’un public de spécialiste. Moi, je trouve que ce serait intéressant de confronter les candidats à des experts ou à des spécialistes de différents domaines. Ça permettrait d’empêcher les hommes politiques de dire n’importe quoi.

    Je ne suis pas vraiment désabusé. Quand vous regardez le problème sous différents angles, vous comprenez que la démocratie libérale, c’est aussi cela. Une espèce de mélange de rationalité individuelle et de résultats collectivement imparfaits.

  4. Je reste perplexe : je ne parviens pas à définir sur quoi on peut ici s’interroger : en quoi (au delà des opinions des uns et des autres) l’électeur ne se comporte-t-il pas comme l’homo economicus ? Et dans ce cas, pourquoi uniquement au cours des élections ?

    Ne peut-on pas aborder les élections sous l’angle micro, en considérant les institutions comme l’énoncé d’un problème ?

  5. Moi je crois que les gens sont "des abrutis sans aucune capacité de discernement"…

    Des idiots rationnels ?

  6. Ce billet m’a fait réfléchir, pour moi je pars du principe que malgré tout le travail de préparation des débats les politiques sont faillibles et ne sont pas omniscient. Que se passe-t-il alors quand on lui pose une question dont il ne sait pas la réponse.

    A un oral on recommande de ne pas baratiner l’auditeur ça l’énerve parce que il sait pertinemment qu’on le baratine car le sujet de la discussion rentre dans son domaine d’expertise (ou en tout cas il reconnaît le manque de cohérence du propos). Maintenant a un débat télévisé, on me demanderai le nombre de sous marin nucléaire lanceur d’engin Français. Vais-je répondre devant des millions de téléspectateur "J’en sais rien" (et penser "et je m’en fiche c’est pas vraiment le plus important aujourd’hui") ?

    Non, a moins que la question ait une réponse évidente admettre la vacuité de mes connaissances dans ce domaines serait dangereux car :
    J’offre a mon adversaire une avenue pour critiquer ma connaissance (bien sur il tentera de contourner la réponse a la question pour s’attaquer directement a la vacuité de mes révisions en la matière).
    Et je brise auprès de tout les français sans que mes opposants face quoi que ce soit l’image de présidentiable "infaillible, qui sais tout et donc providentiel pour la France".

    Car qui aujourd’hui pardonne a un présidentiable de ne pas savoir ? Personne, même un blogueur relativement intelligent comme Eolas quand Segolene ou Nicolas font des bourdes sort l’argument du "C’est pas comme si il/elle avait été ministre du X/députer a l’assemblée quand la loi XXXYYYY relative a la culture des topinambour est passer, ou a été le premier a le faire appliquer". Une bourde passe mal quand elle est détecter, si les journalistes sont transparent elle ne le sera pas par la plupart des Français, qui n’iront pas faire le travail de vérification a la place des journalistes. Mentir quand a l’étendu de ses connaissances, c’est un calcul valable en politique.

  7. Ah bin ça, c’est bin vrai ! : "Je ne suis pas vraiment désabusé. Quand vous regardez le problème sous différents angles, vous comprenez que la démocratie libérale, c’est aussi cela. Une espèce de mélange de rationalité individuelle et de résultats collectivement imparfaits".

    D’ailleurs il n’y a pas que la "démocratie libérale" qui aboutit à des "résultats collectivement imparfaits". Passque s’ils étaient parfaits, on serait dans –heu….

    Car sur le contenu du débat, mon impression est qu’il y a assez peu de "rationalité individuelle", qui, d’ailleurs aboutissent toujours, ouf !, à des "résultats imparfaits", même quand on n’est pas en démocratie libérale. Et d’ailleurs tant mieux : les résultats parfaits me paraissant (a priori, hein !) assez terrifiants !

    On pourrait peut-être changer "le logiciel", comme disent les socialistes, en introduisant dedans des critères comme "la passion", "l’injustice", la poursuite du bonheur et d’autre trucs irrationnels ; mais qui font bouger la société –à défaut de poursuivre une connaissance parfaite, paisible et rationnelle-limitée de ce qui marche et ce qui ne marche pas ?

  8. "Oula, il faut vous reprendre mon garçon. Relisez vous, vous êtes en train de dire sans l’assumer que les gens sont des abrutis sans aucune capacité de discernement."

    N’ayant pas pour profession de produire de l’information, je n’ai pas de mépris pour mes contemporains. Ce ne sont pas des abrutis sans discernement.

    J’ai simplement parfois des agacements face au traitement de l’information à la télévision et dans la presse.

  9. non non, je ne me suis pas trompé de billet: ce texte est en rapport à votre propre billet.

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