Chacun sait depuis Freakonomics que l’économétrie et les “expériences naturelles” permettent d’apporter des éléments de réponse aux graves questions du monde contemporain. Illustration.
Au début du mois, on annonçait qu’une religieuse française, suite à une guérison miraculeuse de sa maladie de Parkinson, allait voir son cas servir au procès en béatification du pape Jean-Paul II. On nous indique que des médecins, dont le nom doit “rester secret” vont se pencher sur son cas. Pourtant, en toute rigueur, il vaudrait mieux faire appel à des statisticiens ou des économètres.
Qu’est-ce qu’un miracle, après tout? Dans le langage courant, cela correspond à un évènement, en général positif (guérison…) tellement improbable et inexplicable que seule une intervention divine peut en être la cause. Si l’on en croit l’article, la guérison rapide de la religieuse de sa maladie de Parkinson (sous réserve des avis médicaux) semble relever de cette catégorie par ses circonstances. Pour autant, peut-on parler de “miracle”?
Le problème, c’est que des guérisons inexplicables et improbables arrivent de temps en temps, indépendamment de la religion des bénéficiaires. ce sont des évènements très peu probables, mais ils surviennent (il paraît également qu’un individu a été foudroyé trois fois dans sa vie : c’est très peu probable, mais c’est arrivé…). Dans ces conditions, on pourra convoquer tous les médecins que l’on voudra pour étudier le cas de la religieuse concernée, ils pourront tous conclure au caractère inexplicable par la science actuelle de sa guérison que cela ne résoudra pas notre question : son cas relève-t-il d’un miracle ou s’agit-il simplement d’une guérison inexplicable comme il en arrive parfois? Il y a après tout dans le monde plus d’un milliard de catholiques. Si la probabilité de bénéficier d’un miracle est d’un sur un million, cela représente plus de 1000 personnes susceptibles d’en bénéficier.
Il n’y a qu’une seule solution pour savoir si adresser des prières à Jean-Paul II produit des miracles : il faudrait comparer le taux de guérisons inexplicables chez les gens qui lui adressent des prières à celui de la population dans son ensemble. Si l’on en croit Nassim Taleb, l’application de ce calcul à la grotte de Lourdes tend à montrer que celle-ci n’est pas si miraculeuse que cela au bout du compte : au contraire, il semblerait même que le taux de guérisons spontanées et inexplicables y soit plus faible (étant donné le nombre de visiteurs qu’elle connaît) que pour la population dans son ensemble. etant donné le faible taux de guérisons spontanées de façon générale, il faudrait une expérience d’une telle ampleur pour identifier si oui ou non, les prières à Jean-Paul II font des miracles qu’il est probable que celle-ci ne pourra jamais être entreprise. Mais sans cette expérience, le fait que Soeur Marie Simon Pierre ait bénéficié d’une guérison inexplicable ne prouve strictement rien.
Et quand bien même il serait possible d’entreprendre cette expérience, et que l’on constate alors que le taux de guérisons inexplicables est significativement plus élevé pour les gens qui adressent des prières au pape défunt que pour la population dans son ensemble, cela ne prouverait pas grand-chose non plus. Il est tout à fait possible que cela s’explique par d’autres facteurs. Peut-être que les gens qui adressent des prières à Jean-Paul II sont d’un âge, d’une origine particulière, dans laquelle les taux de guérisons inexpliquées sont plus élevés. Après tout les happiness studies nous montrent que les gens ayant une foi religieuse, dans l’ensemble, sont plus heureux et vivent plus longtemps que les autres. La foi religieuse a même un effet positif sur la croissance économique. Pourquoi, dans ces conditions, n’augmenterait-elle pas la probabilité de bénéficier d’une guérison inexplicable?
Les rationalistes peuvent donc se rassurer : ce n’est pas parce que des évènements inexplicables et improbables se produisent qu’ils doivent nécessairement en arriver à croire aux miracles. Cela dit, les croyants ne s’en sortent pas mal non plus : toute personne souhaitant démontrer que la guérison de cette religieuse relève du hasard “normal” se trouverait opposé aux mêmes problèmes méthodologiques. Au total, il n’est pas en pratique possible de démontrer la présence ou l’absence d’un miracle dans ce cas de figure.
Quiconque souhaiterait tester l’hypothèse selon laquelle certains facteurs “prédestinent” à devenir pédophile se heurterait aux mêmes problèmes d’emploi des statistiques, et à un degré encore plus important. Et les recommandations à en tirer sont elles aussi particulièrement difficiles à déterminer. Il y a, dans la population, une certaine proportion de pédophiles. Supposons que l’on cherche à identifier un facteur produisant ce comportement. Il faudrait alors identifier une fraction de la population présentant ce facteur, et comparer sa proportion de pédophiles avec celle du reste de la population. Indépendamment des difficultés méthodologiques de l’opération, on pourrait dire alors que ce facteur “prédispose” à la pédophilie. Imaginons par exemple que la population dans son ensemble comporte 1% de pédophiles, et qu’un groupe de la population caractérisé par un certain facteur en comporte 5%; on dira alors (moyennant quelques subtilités statistiques) que ce facteur prédispose à la pédophilie.
Notons que le facteur en question peut être héréditaire ou non; et que le résultat trouvé (si on en trouve un) pose de gros problèmes d’interprétation : supposons que l’on constate que les gens dont le quotient intellectuel est inférieur à 80 ont une “prédisposition” dans le sens indiqué ici, que faut-il en conclure? Il est possible qu’un autre facteur produise à la fois le comportement sexuel et le quotient intellectuel, autre facteur qui peut être n’importe quoi. Surtout, que faire de ce résultat? Après tout, même si la population concernée a 5 fois plus de chances de comporter des pédophiles que le reste de la population, il reste quand même que 95% des gens présentant ce caractère ne le seront pas. Faut-il pour autant les “traiter” contre cette “pathologie”?
Une issue serait de trouver un caractère tel que 100% de ses porteurs sont pédophiles, et tel que 100% de ses non-porteurs ne le soient pas. Il est extrêmement peu probable qu’il soit possible de trouver un tel caractère. D’abord parce que la “pédophilie” elle même n’est guère définissable. Nous mettrions sous cette étiquette un individu quadragénaire ayant des relations sexuelles avec une fillette de 12 ans; mais de telles circonstances se sont produites ou se produisent en d’autres temps et en d’autres lieux, sans que cela soit particulièrement considéré comme pathologique. La valorisation culturelle de la virginité pousse aux relations sexuelles précoces. Dans un pays comme l’Afrique du Sud, la légende selon laquelle avoir des relations sexuelles avec une vierge guérit du Sida pousse certains hommes à violer des fillettes extrêmement jeunes; il n’y a là rien de spécialement héréditaire. On peut supposer que des facteurs héréditaires poussent à désirer des partenaires sexuels jeunes (du fait des risques liés à la grossesse dans l’espèce humaine – chez les lions, c’est l’inverse, les lionnes âges ont plus de sex-appeal vis à vis des mâles que les jeunes) mais ce genre de facteur héréditaire n’est sans doute pas cantonné aux pédophiles.
Les statistiques, bien pratiquées, rendent humble vis à vis de la complexité du monde réel. Ce n’est pas le cas de toutes les activités. (sur le second sujet, voir Pikipoki ici et ici, ou Koz et Xavier).
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Il y a eu à ce sujet une étude faite aux Etats-Unis aux résultats assez inattendus : On a comparé l’évolution de l’état de santé de personnes hospitalisées, suivant qu’elles avaient reçue le soutien ou non d’un groupe de prières. Conclusion ? Pour une pathologie d’une gravité équivalente, ce sont ceux ayant reçu le soutien du groupe de prière qui s’en sortait le moins bien. L’analyse était que peut-être le stress de savoir que leur état était suffisament grave pour motiver un groupe de prière avait un effet négatif qui dominait sur un quelconque réconfort apporté.
En tout cas, cela contrebalance les happiness studies.
D’une certaine façon, ce que tu démontres ici ce n’est rien d’autres qu’un problème d’inférence: un fait exceptionnel intervient. Si celui-ci a lieu dans des circonstances quelconques, on n’y fait pas nécessairement attention, en revanche, s’il concerne une religieuse ou se déroule à Lourde, on assimile ça à un miracle. Pourquoi? Parce que l’on a dans notre esprit un présupposé qui nous fait rattacher de façon automatique ces circonstances au fait qu’on leur impute. Une religieuse, ou Lourde, c’est un "terrain" propice aux miracles. En quelque sorte, on conclut avant même d’avoir observé.
Sur le cas de Lourdes, j’avais lu un jour une statistique du genre :
* Nombres de pélerins dont la guérison n’a pu être expliquée par les autorités médicales, et dont le cas a été officiellement reconnu comme "miraculeux" par les autorités religieuses, depuis le 19ème siècle : moins de 100.
* Nombre de personnes mortes (accident, crise cardiaque, etc…) sur le chemin du pèlerinage : plus de 4000.
Pour une fois, les chiffres parlent d’eux mêmes 😉
Non, ces chiffres ne parlent pas d’eux mêmes. Ils ne le font jamais d’ailleurs. Après tout des gens meurent tous les jours, et 4000 morts en se rendant en pélerinage ne semble pas un chiffre très élevé par rapport à la mortalité “normale” du nombre de personnes qui s’y rend. ce chiffre ne prouve en aucun cas une “surmortalité” liée au fait de se rendre à Lourdes (par rapport au fait de rester chez soi à regarder la campagne électorale française, par exemple).