La décision par Google d’ouvrir une version tronquée de ses services en Chine, google.cn, a suscité de nombreux commentaires indignés. Pour certains, en acceptant de se soumettre à la censure du gouvernement chinois, et de ne pas offrir de réponses pour des recherches potentiellement subversives (comme « indépendance de Taiwan »), l’entreprise va à l’encontre de ses valeurs affichées, ne pas chercher à gagner d’argent en faisant le mal. Le Monde a par exemple publié un éditorial très sévère, qualifiant Google de « tartufe » qui défend la liberté de ses utilisateurs aux USA mais se soumet à la censure en Chine. Il est vrai qu’en matière de Tartuferie concernant la Chine, le Monde en connaît un rayon : faire une recherche avec le mot-clé « Chine » sur le site du journal nous permet de trouver, à la troisième page de recherche, après des tonnes de propagande mielleuse à base de Chine maîtresse du monde, un article condamnant des évènements au Tibet : le braconnage des antilopes y ferait des ravages… Passons. Le Monde périra peut-être un jour d’excès de suffisance, mais certainement jamais d’abus de cohérence. Il y a en réalité quelques de raisons de penser que l’attitude de Google en Chine est louable.
Sebastian Mallaby décrit le dilemme qu’il rencontre actuellement à propos de la Chine. Un éditeur lui a proposé de traduire et de commercialiser en Chine son livre sur la Banque Mondiale, à condition que certains passages (critiques envers la Chine) soient supprimés. Que décider? D’un côté, refuser semble l’option la plus digne. De l’autre, en mettant toute question d’argent à part (par exemple en reversant les gains à une ONG comme RSF ou Amnesty International), n’est-il pas préférable pour les chinois que des livres occidentaux décrivant l’économie mondiale puissent circuler en Chine, même sous forme censurée, plutôt que de voir l’information monopolisée par le gouvernement?
Ce dilemme est le même que celui que toutes les entreprises qui investissent en Chine rencontrent, Google y compris. Investir en Chine, c’est soutenir un régime abject, une tyrannie criminelle. Mais c’est aussi offrir la perspective d’un enrichissement, d’un accès accru à l’information, et peut-être un jour à la démocratie, aux chinois. Pour la majorité des gouvernements et des dirigeants d’entreprise obnubilés par la croissance chinoise, au bout du compte, c’est le second argument qui l’emporte, et le premier est totalement oublié. Tout commerce, toute activité avec la Chine est bonne en soi. Le résultat, c’est qu’une entreprise comme Yahoo! n’a pas hésité à dénoncer l’un de ses utilisateurs chinois au gouvernement pour activité subversive : cet utilisateur, après cette dénonciation, est désormais prisonnier au laogai. Dans le même genre, Cisco construit actuellement le firewall qui isolera totalement l’internet chinois de sites étrangers critiques du gouvernement. Sous prétexte que commercer avec la Chine est toujours bon, ces entreprises servent d’alliés zélés de la dictature.
Google a fait un choix différent. Ils reconnaissent que toute activité économique en Chine n’est pas bonne en soi. Ils ont donc décidé de fournir en Chine un service de recherche appliquant la censure gouvernementale; ce service de recherche, néanmoins, apportera aux utilisateurs chinois des informations meilleures que celles qu’ils reçoivent actuellement : les informations censurées, de toute façon, ne seraient jamais arrivées… grâce aux firewalls de Cisco. Dans le même temps, Google ne fournit pas certains de ses services (comme le courrier électronique) qui pourrait conduire l’entreprise à devoir dénoncer ses utilisateurs, comme le fait Yahoo!. Ils fournissent des services qui les conduiront à ne pas devoir nuire à leurs utilisateurs.
Mais surtout, sur le moteur de recherche de Google, lorsqu’une recherche donnera des résultats censurés, affichera en bas de page que certains résultats n’ont pu être affichés pour cause de censure. C’est une contribution à la lutte contre la censure : révéler qu’elle existe, c’est déjà très important. Cela peut inciter les chinois à essayer de refaire la même recherche, mais cette fois avec google.com et non google.cn, pour obtenir les vrais résultats (à condition qu(ils passent au travers de la police de l’internet gouvernementale). Il se pourrait même qu’il y ai encore mieux : comme l’indique Brad de Long, adopter une orthographe légèrement différente suffit pour l’instant à obtenir de bons résultats. Tapez une recherche d’images sur google.cn sur « tiananmen », vous obtiendrez des photos de monuments touristiques. Faites la même recherche sur google.com, vous trouvez des photos de tanks et de l’écrasement de la révolte étudiante. Par contre, recherchez « tiananman », « tiennenman », et autres orthographes fausses sur google.cn, et là, vous obtiendrez la même chose qu’ailleurs : des photos de tanks. En d’autres termes, en filtrant exactement ce que le gouvernement chinois lui demande de filtrer, google informe ses utilisateurs chinois de la censure… et leur offre des moyens potentiels de la contourner. (au passage, la photo qui orne ce post est, elle aussi, volontairement affublée d’une orthographe fantaisiste).
Il est toujours plus facile de prendre des positions de principe simples – surtout pour ensuite les contourner ou les instrumentaliser, ou prononcer des oukazes confortablement assis dans son fauteuil. Google fait le choix de l’ambiguité; ce n’est pas forcément facile, cela suscite la critique; mais il est bien possible que ce choix soit le bon. Mallaby, en tout cas, acceptera que son livre soit vendu en Chine à condition que la traduction indique qu’il a été censuré, et quels chapitres l’ont été, et il reversera ses gains à une ONG de défense des droits de l’homme. Il doute cependant que l’affaire finisse par se faire.
Googleries ou comment François Bayrou bat Ségolène Royal de justesse
Je viens de découvrir Googlefight, un module assez drôle qui permet de faire s’affronter deux mots clés. Un comparateur un peu moins drôle, celui qui permet de comparer côte-à-côte les résultats d’une recherche sur Google.com et Google Chine.