François, j’étais encore pas là…

hollande2014

Chaque année, je ne regarde pas les voeux du chef de l’État à la Nation. Mais depuis deux ans, je lis le résumé de Libé en rentrant chez moi l’année d’après. Et je commente.

François, lorsque tu nous dis que la crise s’est «révélée plus longue, plus profonde que nous l’avions nous-mêmes prévu», j’ai du mal à ne pas penser à un équilibre de sous-emploi tel que Keynes le décrivait. Peut-être me trompé-je. Peut-être songes tu à une debt deflation à la Fisher ? Quoi qu’il en soit, au fond, ça ne change pas grand chose. Une situation où la récession ou la stagnation perdure, du fait d’opportunités de profit insuffisantes pour investir et embaucher ou cesser de se désendetter. Avec à la clé un chômage élevé.

Dans le même discours, tu veux conclure un « pacte de responsabilité » avec les entreprises. Si je résume, tu veux leur faciliter la vie pour qu’elles embauchent et soient sympas. Enfin, toi, tu dis ça comme ça :

« Il est fondé sur un principe simple: moins de charges sur le travail, moins de contraintes sur leurs activités et, en même temps, une contrepartie: plus d’embauches et plus de dialogue social »

Tu sais, François, une entreprise n’embauche pas pour le plaisir de bénéficier de réductions de charges ou de facilités administratives. Oh, oui, dans certains contextes, c’est une excellente idée de faire cela. En effet, lorsqu’il existe des opportunités de profit, réduire les coûts est une façon d’accroître le rendement des investissements et peut stimuler l’activité en faisant passer certains projets de « bof » à « ok ». Mais quand ce n’est pas le cas, c’est juste inutile. Ou, au mieux, démesurément coûteux pour les finances publiques. Bref, si on reste sur l’idée que cette récession est profonde et a fermement perturbé les esprits animaux de nos entrepreneurs (ce que tu sembles suggérer), tu ne peux pas sérieusement attendre des entreprises qu’elles s’engagent dans ton pacte. Ça ne tient pas la route.

Dans le même temps, je veux bien te concéder que les voies de la « confiance retrouvée » sont parfois impénétrables et qu’en tant que socialiste qui vient de passer un an et demi à se forger involontairement une image de « Père l’impôt », envoyer ce genre de signal peut avoir un intérêt. Après tout, comme le notait Dani Rodrik au sujet de l’Inde des années 1980, parler gentiment aux entrepreneurs sans leur donner grand chose de spectaculaire peut les rasséréner. Ces gens ont aussi besoin qu’on leur dise qu’on les aime. Mais, entre nous, je doute que ce soit suffisant. Tu me diras, tu vas réduire les charges, leur faciliter la vie et… réduire la dépense publique. Admettons. Tu ne nous dis pas quelles dépenses, te contentant d’asséner : « Nous devons faire des économies partout où elles sont possibles ». Oh, ok… Voilà qui va rebooster les chefs d’entreprise (qui n’entendent pas cela depuis des années…). Dans le même temps, tu vas énerver tout un tas de gens qui considèrent soit que baisser les dépenses publiques dans la période actuelle est douteux, soit que baisser les dépenses publiques est mauvais pour… eux (ou leurs principes généraux).

Mais rassure-toi, je n’ai pas oublié le deuxième volet. Tu veux inciter au dialogue social. Mais comment vas tu t’y prendre exactement ? Je sais bien que l’année passée est à mettre à ton actif sur ce plan. C’est malheureux, mais l’accord flexibilité et sécurité conclu en janvier 2013 et transposé en droit en juin n’est pas très vendeur niveau popularité. C’est pourtant une bonne chose, d’autant que les avancées dans la réforme de la formation professionnelle vont dans le même sens. Il faudra que tu nous expliques comment tes propositions de réduction des charges des entreprises vont mettre guillerets autour de la table les syndicats de salariés, eux qui n’ont eu de cesse (parfois à tort, parfois à raison) de clamer haut et fort qu’il s’agissait toujours de vains cadeaux faits aux entreprises.
Peut-être que si tu te décides à ne plus concevoir la question des finances publiques comme une question de trop d’impôts ou pas assez ; trop de dépenses ou… trop de dépenses mais que tu t’intéresses réellement à la structure d’ensemble des prélèvements plutôt que de mettre un coup de TVA par ci, un coup de surtaxe censurée par là, alors tu donneras le sentiment de faire le job. Car, je vais peut-être t’apprendre quelque chose : il est tout à fait possible de construire un système socio-fiscal qui ne soit pas manichéen, qui garde un équilibre entre les intérêts des entreprises et celui des consommateurs (y compris les plus modestes), qui offre une dose de progressivité qui ne soit pas jugée comme spoliatrice par la plupart des citoyens aisés (75%… François… ok, je sais, je sais… mais quand même, les temps sont-ils propices à ce genre de choses ? Toi qui es un malin, tu sais que non…). Eh non, je ne t’apprends rien en réalité. Un de tes conseillers de campagne et une co-auteure l’ont dit mieux que moi. Et ils n’ont pas sorti cela sur une intuition divine. D’autres, que tu ne connais peut-être pas, mais ce n’est pas grave, l’ont dit avant lui (je ne te parle pas des « révolutionnaires », je sais qu’ils t’énervent ; la démarche est pourtant bonne). Alors, oui, je sais, l’épouvantail de la réforme fiscale t’ennuie. Infaisable, compliqué, trop long. Et toi, tu veux être réélu en 2017. Mais à dissocier sans cesse les questions indissociables de dépenses, de recettes, de structures des unes et des autres, de justice sociale et d’efficacité économique, pas sûr que tu fasses une bonne opération. Peut-être que ça passera. En attendant, tu passes surtout pour une girouette molle.

3 Commentaires

  1. Très bon sauf le point sur L’ANI qui semble être un accord très déséquilibré et trop en faveur des entreprises au détriment des salariés.

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