Central Banking in Theory and Practice
Alan Blinder (1998) ▼
Alan Blinder a été vice-gouverneur de la FED dans les années 1990. Universitaire de profession, il n’a pas manqué de rapprocher son travail d’économiste académique et son expérience de décideur monétaire. Ce livre reprend trois conférences données par l’auteur sur ce thème. Personne ne sera surpris d’apprendre que les théoriciens et les praticiens de la politique monétaire ont intérêt à tirer parti de leurs savoirs respectifs. Théorie et pratique ont intérêt à interagir. Telle est l’idée de départ du texte.
Dans la première conférence, Blinder s’intéresse de la politique monétaire. A partir d’un modèle générique de politique économique, il fait apparaître un certain nombre de questions fondamentales pour la conduite de la politique monétaire. En premier lieu, si on raisonne sans modèle théorique de décision, on ne va nulle part. S’appuyer sur un schéma basique, issu de la théorie économique la plus traditionnelle est un point de départ nécessaire. Néanmoins, ceci ne saurait suffire. Encore faut-il savoir si on dispose du “bon” modèle économétrique. C’est peu probable. L’utilisation de plusieurs modèles en même temps est une nécessité. Toute décision doit reposer sur une synthèse de ce qu’apporte chacun d’entre eux. Autre aspect majeur : les prévisions concernant les variables exogènes et les paramètres du modèle. L’élément humain est encore crucial, en particulier pour les paramètres. Il convient de s’en remettre à la prudence (une forme de conservatisme éclairé) et à la théorie statistique pour limiter le biais lié à des prévisions erronées. La question des délais de transmission des mécanismes monétaires est un autre aspect où selon Blinder la théorie économique apporte un concours notable à la pratique du banquier central. Elle impose de raisonner de manière dynamique et de ne pas se limiter à des choix successifs sans déterminer une trajectoire temporelle. Est-ce à dire que la politique monétaire est un exercice rigide qui consiste à fixer une fois pour toute les actions à venir ? Non, la programmation dynamique n’implique nullement de ne pas modifier la trajectoire quand l’environnement change, elle consiste à faire des choix anticipant les actions cohérentes compte tenu d’une situation donnée. Enfin, Blinder revient sur la pertinence du modèle de décision retenu pour illustrer son propos, en soulignant que l’idée d’un décideur unique est probablement un peu trop simpliste, dans la mesure où la plupart des Banques Centrales prennent leurs décisions sous forme collégiale, ce qui induit une certaine forme d’inertie dans les décisions. Il souligne cependant le rôle du gouverneur qui, s’il doit former un consensus au sein du conseil de politique monétaire, et même s’il ne dispose théoriquement que d’une voix comme tous les membres, jouit d’une autorité particuière lui permettant de limiter cette tendance au statu quo.
Dans sa deuxième conférence, l’auteur s’interroge sur le choix et l’utilisation des instruments de la politique monétaire. C’est l’occasion de revenir sur des débats classiques en la matière. Doit-on utiliser le taux d’intérêt à court terme ou le contrôle de la masse monétaire ? Usuellement, on considère que si dans un modèle type IS-LM la courbe LM est instable le taux d’intérêt sera plus pertinent, l’inverse sinon. Blinder épingle le monétarisme, qui suppose que masse monétaire et PIB nominal sont cointégrés. Rien de cela dans les décades récentes. Et, de fait, la politique monétaire, suivant ainsi la théorie économique, n’a guère utilisé la masse monétaire comme instrument, au moins aux Etats Unis. Après quelques considérations sur la politique monétaire “neutre” (celle qui grosso modo permet de maintenir le taux d’inflation stable dans le moyen terme), qui mènent Blinder à rappeller les difficultés pratiques à piloter les taux longs à partir des taux courts, l’auteur revient assez longuement sur le débat entre politiques discrétionnaires et politiques de règles. Sans renier l’apport des recherches sur la question depuis les années 1970, il montre qu’elles ont donné lieu à un certain nombre de simplifications dommageables dès lors qu’il s’agit de les utiliser dans la pratique. On trouve dans cette partie une critique des modèles à la Barro-Gordon plutôt covaincante. Historiquement, on s’aperçoit que le biais inflationniste pointé par le modèle, supposé expliquer l’inflation des années 1965-1980 (en particulier aux Etats Unis) et supposé endogène (lié au comportement discrétionnaire) est assez peu justifié au vu des circonstances. Il néglige les nombreux chocs exogènes de la période (Vietnam, choc pétrolier etc.). Et, alors que le modèle aboutit à un taux d’inflation constant, quoiqu’élevé, il est censé représenter une période où les taux d’inflation n’ont fait que croître. De façon symétrique, il est notablement incapable d’expliquer la désinflation des années 1980, dans un contexte où ce sont précisément les autorités politiques discrétionnaires, supposées responsables du biais inflationniste permanent, qui font le choix délibéré d’engager la désinflation. Enfin, ces modèles supposent que les autorités monétaires cherchent à réduire le taux de chômage en dessous de son niveau naturel, ce qui peut créer de l’inflation. Or, selon Blinder, la Banque Centrale ne cherche pas à faire cela, puisqu’elle sait très bien que cela crée de l’inflation… Concernant les solutions proposées par ces types de modèle, Blinder est tout aussi critique. Créer une réputation de Banquier attaché à la stabilité des prix est sans aucun doute une préoccupation légitime et réelle des autorités monétaires. Mais les modèles à la Barro-Gordon formulent une hypothèse bien étrange : si vous luttez sérieusement contre l’inflation, votre réputation est solide, les anticipations d’inflation sont faibles. Vous agissez de la sorte pendant n années, vous conservez votre réputation n années. Mais si à la n+1ème année, l’idée vous vient de dévier un poil de cette stratégie pour répondre à un choc temporaire, alors fini… Votre réputation est ruinée à jamais. Or, selon l’auteur, la réputation relève plutôt d’un processus adaptatif et non binaire : il existe des degrés de réputation. L’auteur aborde ensuite la possibilité de considérer les décideurs monétaires comme des agents qui seraient mandatés par un principal, le pouvoir politique oula société. Dans cette logique, on envisage par exemple de conditionner la rémunération des Banquiers en fonction des succès dans leur lutte contre l’inflation. Ici, le texte devient franchement amusant. Pour résumer : imaginons que dans le pire des cas, la rémunération versée au Banquier tombe à zéro, c’est-à-dire qu’il soit viré… Quelle sera la conséquence de ce licenciement ? Il gagnera énormément plus d’argent qu’avant… En effet, dans les heures qui suivront, cette personne aux compétences reconnues en matière monétaire, financière, bancaires etc. (c’est pour cela qu’elle avait été nommé, non ?) retrouvera un travail dans le secteur privé et gagnera bien plus que ce qu’elle gagnait à la Banque Centrale (c’est aussi le cas pour un universitaire nous dit Blinder, non sans malice). Dernière solution envisagée pour réduire le biais inflationniste : engager un Banquier Central conservateur, c’est-à-dire plus à cheval sur l’inflation que la société dans son ensemble. Bref, comme l’écrit l’auteur, on se demande comment quelque chose qui fonctionne en pratique pourrait fonctionner en théorie. Evidemment, si vous mettez aux commandes quelqu’un qui par copnviction fera tout pour réduire l’inflation, alors il le fera… Plus sérieusement, le problème est de trouver quelqu’un dont le dégré d’aversion à l’inflation ne soit pas non plus trop fort. Sans quoi, les coûts en termes de croissance et d’emploi peuvent être élevés. Blinder conclut cette conférence en rappelant que dans toute société, la pratique du préengagement (precommitment) consistant à se lier les mains totalement n’est que rarissime, quelque soit le problème posé et que l’incohérence temporelle des décisions est le plus souvent gérée par des solutions mixtes s’apparentant à une forme de discrétion éclairée.
Dans le prolongement de la deuxième conférence, l’auteur se penche, durant sa troisième et dernière intervention, sur l’indépendance de la Banque Centrale. Il la soutient, mais rédéfinit méthodiquement ce qu’il entend par là. Elle est d’abord constituée de deux aspects : pouvoir atteindre ses objectifs par des moyens fixés par la Banque Centrale elle-même et prendre des décisions qui ne seront pas annulées. Pourquoi la Banque Centrale doit-elle être indépendante ? Simplement parce que la politique monétaire n’a pas le même horizon que le pouvoir politique. Et les marchés dans tout ça ? Une Banque Centrale indépendante du pouvoir politique doit-elle prendre les décisions que les marchés attendent ? Non, ce serait absurde. Les marchés attendent des signaux concernant la politique monétaire future. Si on s’appuie sur leurs anticipations à ce sujet pour prendre les décisions monétaires, on se mord la queue… Les marchés anticipent ce que la Banque pourrait bien faire et celle-ci l’interprète comme étant ce qu’elle devrait faire ! Le rôle de la Banque est de rappeler un cap et de favoriser un horizon de long terme dans les anticipations d’agents qui on tendance à le raccourcir de manière plus ou moins volontaire. La partie suivante est consacrée à la notion de crédibilité. Blinder relève que bizarrement, si on parle couramment, être crédible ne signifie pas du tout la même chose que si on parle “économie”. Littéralement, être crédible signifie que ce que l’on dit est cru. Or, la théorie économique suggère plutôt qu’être crédible consiste à être incité à faire quelque chose ou bien à devoir se lier les mains pour être cru. Blinder, à partir de quelques contre-exemples (Bundesbank et FED) montre que la crédibilité d’une Banque Centrale ne nécessite pas de recourir à la seconde définition, quelque peu étrange à ses yeux. On comprend alors mieux pourquoi les autorités monétaires se soucient de crédibilité. En effet, la crédibilité est supposée permettre d’optimiser plus facilement l’arbitrage PIB-inflation, en accélérant l’ajustement des anticipations d’inflation. Mais, en pratique, c’est un avantage qu’on ne constate pas. Alors pourquoi s’y intéresser ? Blinder donne trois raisons possibles : d’abord parce qu’il existe probablement des Banquiers Centraux qui croient à la théorie ; ensuite, parce que la nature humaine est telle que l’on aime être crédible ; enfin, et surtout, parce qu’une crédibilité importante est un atout majeur en période de crise financière, dans la mesure où elle permet de prendre des décisions extraordinaires et d’être cru quand on annonce qu’on en prendra d’autres. Bref, la crédbilité importe pour un Banque Centrale car elle lui permet de faire plus de choses, et non pas moins… La dernière partie de la conférence est consacrée au lien entre la gouvernance monétaire et la démocratie. Au fond, comment justifier que la politique monétaire soit confiée à une autorité indépendante non élue ? En premier lieu, dans tous les systèmes démocratiques, il existe des décisions “constitutionnelles” qui sont prises une fois pour toute ou presque, et non sujettes à une redéfinition fréquente. C’est le cas de l’indépendance de la Banque Centrale. De surcroît, les objectifs restent fixés par le pouvoir politique. En outre, si les banquiers centraux sont nommés par le pouvoir politique, ils sont censés hériter de leur légitimité (Blinder avait pour sa part été nommé par Clinton). Il faut par ailleurs envisager des cas très exceptionnels où le pouvoir politique peut remettre en cause la politique de la Banque. Enfin, la Banque Centrale doit rendre des comptes. Dès lors que la politique menée est cohérente, transparence et pédagogie ne posent guère de problèmes. C’est d’ailleurs un devoir moral selon l’auteur. Et de toute façon, dans la mesure où les taux courts futurs sont un guide pour les anticipations des marchés, on voit mal comment la Banque Centrale pourrait faire correctement son travail sans communiquer clairement.
Ce petit livre a de nombreuses vertus. Très agréable à lire compte tenu du style oral utilisé. Très court aussi. Mais surtout, l’auteur parvient vraiment à réaliser ce qu’il ambitionne au départ : croiser ses compétences d’universitaire et de praticien de la politique monétaire. C’est souvent drôle (pas hilarant cependant !), globalement très pédagogique. Il faut néanmoins avoir quelques bases en macroéconomie, sans quoi de nombreux passages perdent de leur intérêt, l’auteur supposant largement que le public connaît les rudiments des modèles utilisés (notamment dans la deuxième conférence). A noter : cet ouvrage est assez régulièrement cité dans les travaux touchant à la politique monétaire. Ce qui peut surprendre au demeurant, dans la mesure où ce type de textes-conférence ne fait généralement pas date dans la profession. C’est d’ailleurs en partie pour cela que je le chronique aujourd’hui. L’ayant lu il y a quelques temps déjà, il m’a semblé utile de me replonger dedans. Une lecture à conseiller.
Dans la première conférence, Blinder s’intéresse de la politique monétaire. A partir d’un modèle générique de politique économique, il fait apparaître un certain nombre de questions fondamentales pour la conduite de la politique monétaire. En premier lieu, si on raisonne sans modèle théorique de décision, on ne va nulle part. S’appuyer sur un schéma basique, issu de la théorie économique la plus traditionnelle est un point de départ nécessaire. Néanmoins, ceci ne saurait suffire. Encore faut-il savoir si on dispose du “bon” modèle économétrique. C’est peu probable. L’utilisation de plusieurs modèles en même temps est une nécessité. Toute décision doit reposer sur une synthèse de ce qu’apporte chacun d’entre eux. Autre aspect majeur : les prévisions concernant les variables exogènes et les paramètres du modèle. L’élément humain est encore crucial, en particulier pour les paramètres. Il convient de s’en remettre à la prudence (une forme de conservatisme éclairé) et à la théorie statistique pour limiter le biais lié à des prévisions erronées. La question des délais de transmission des mécanismes monétaires est un autre aspect où selon Blinder la théorie économique apporte un concours notable à la pratique du banquier central. Elle impose de raisonner de manière dynamique et de ne pas se limiter à des choix successifs sans déterminer une trajectoire temporelle. Est-ce à dire que la politique monétaire est un exercice rigide qui consiste à fixer une fois pour toute les actions à venir ? Non, la programmation dynamique n’implique nullement de ne pas modifier la trajectoire quand l’environnement change, elle consiste à faire des choix anticipant les actions cohérentes compte tenu d’une situation donnée. Enfin, Blinder revient sur la pertinence du modèle de décision retenu pour illustrer son propos, en soulignant que l’idée d’un décideur unique est probablement un peu trop simpliste, dans la mesure où la plupart des Banques Centrales prennent leurs décisions sous forme collégiale, ce qui induit une certaine forme d’inertie dans les décisions. Il souligne cependant le rôle du gouverneur qui, s’il doit former un consensus au sein du conseil de politique monétaire, et même s’il ne dispose théoriquement que d’une voix comme tous les membres, jouit d’une autorité particuière lui permettant de limiter cette tendance au statu quo.
Dans sa deuxième conférence, l’auteur s’interroge sur le choix et l’utilisation des instruments de la politique monétaire. C’est l’occasion de revenir sur des débats classiques en la matière. Doit-on utiliser le taux d’intérêt à court terme ou le contrôle de la masse monétaire ? Usuellement, on considère que si dans un modèle type IS-LM la courbe LM est instable le taux d’intérêt sera plus pertinent, l’inverse sinon. Blinder épingle le monétarisme, qui suppose que masse monétaire et PIB nominal sont cointégrés. Rien de cela dans les décades récentes. Et, de fait, la politique monétaire, suivant ainsi la théorie économique, n’a guère utilisé la masse monétaire comme instrument, au moins aux Etats Unis. Après quelques considérations sur la politique monétaire “neutre” (celle qui grosso modo permet de maintenir le taux d’inflation stable dans le moyen terme), qui mènent Blinder à rappeller les difficultés pratiques à piloter les taux longs à partir des taux courts, l’auteur revient assez longuement sur le débat entre politiques discrétionnaires et politiques de règles. Sans renier l’apport des recherches sur la question depuis les années 1970, il montre qu’elles ont donné lieu à un certain nombre de simplifications dommageables dès lors qu’il s’agit de les utiliser dans la pratique. On trouve dans cette partie une critique des modèles à la Barro-Gordon plutôt covaincante. Historiquement, on s’aperçoit que le biais inflationniste pointé par le modèle, supposé expliquer l’inflation des années 1965-1980 (en particulier aux Etats Unis) et supposé endogène (lié au comportement discrétionnaire) est assez peu justifié au vu des circonstances. Il néglige les nombreux chocs exogènes de la période (Vietnam, choc pétrolier etc.). Et, alors que le modèle aboutit à un taux d’inflation constant, quoiqu’élevé, il est censé représenter une période où les taux d’inflation n’ont fait que croître. De façon symétrique, il est notablement incapable d’expliquer la désinflation des années 1980, dans un contexte où ce sont précisément les autorités politiques discrétionnaires, supposées responsables du biais inflationniste permanent, qui font le choix délibéré d’engager la désinflation. Enfin, ces modèles supposent que les autorités monétaires cherchent à réduire le taux de chômage en dessous de son niveau naturel, ce qui peut créer de l’inflation. Or, selon Blinder, la Banque Centrale ne cherche pas à faire cela, puisqu’elle sait très bien que cela crée de l’inflation… Concernant les solutions proposées par ces types de modèle, Blinder est tout aussi critique. Créer une réputation de Banquier attaché à la stabilité des prix est sans aucun doute une préoccupation légitime et réelle des autorités monétaires. Mais les modèles à la Barro-Gordon formulent une hypothèse bien étrange : si vous luttez sérieusement contre l’inflation, votre réputation est solide, les anticipations d’inflation sont faibles. Vous agissez de la sorte pendant n années, vous conservez votre réputation n années. Mais si à la n+1ème année, l’idée vous vient de dévier un poil de cette stratégie pour répondre à un choc temporaire, alors fini… Votre réputation est ruinée à jamais. Or, selon l’auteur, la réputation relève plutôt d’un processus adaptatif et non binaire : il existe des degrés de réputation. L’auteur aborde ensuite la possibilité de considérer les décideurs monétaires comme des agents qui seraient mandatés par un principal, le pouvoir politique oula société. Dans cette logique, on envisage par exemple de conditionner la rémunération des Banquiers en fonction des succès dans leur lutte contre l’inflation. Ici, le texte devient franchement amusant. Pour résumer : imaginons que dans le pire des cas, la rémunération versée au Banquier tombe à zéro, c’est-à-dire qu’il soit viré… Quelle sera la conséquence de ce licenciement ? Il gagnera énormément plus d’argent qu’avant… En effet, dans les heures qui suivront, cette personne aux compétences reconnues en matière monétaire, financière, bancaires etc. (c’est pour cela qu’elle avait été nommé, non ?) retrouvera un travail dans le secteur privé et gagnera bien plus que ce qu’elle gagnait à la Banque Centrale (c’est aussi le cas pour un universitaire nous dit Blinder, non sans malice). Dernière solution envisagée pour réduire le biais inflationniste : engager un Banquier Central conservateur, c’est-à-dire plus à cheval sur l’inflation que la société dans son ensemble. Bref, comme l’écrit l’auteur, on se demande comment quelque chose qui fonctionne en pratique pourrait fonctionner en théorie. Evidemment, si vous mettez aux commandes quelqu’un qui par copnviction fera tout pour réduire l’inflation, alors il le fera… Plus sérieusement, le problème est de trouver quelqu’un dont le dégré d’aversion à l’inflation ne soit pas non plus trop fort. Sans quoi, les coûts en termes de croissance et d’emploi peuvent être élevés. Blinder conclut cette conférence en rappelant que dans toute société, la pratique du préengagement (precommitment) consistant à se lier les mains totalement n’est que rarissime, quelque soit le problème posé et que l’incohérence temporelle des décisions est le plus souvent gérée par des solutions mixtes s’apparentant à une forme de discrétion éclairée.
Dans le prolongement de la deuxième conférence, l’auteur se penche, durant sa troisième et dernière intervention, sur l’indépendance de la Banque Centrale. Il la soutient, mais rédéfinit méthodiquement ce qu’il entend par là. Elle est d’abord constituée de deux aspects : pouvoir atteindre ses objectifs par des moyens fixés par la Banque Centrale elle-même et prendre des décisions qui ne seront pas annulées. Pourquoi la Banque Centrale doit-elle être indépendante ? Simplement parce que la politique monétaire n’a pas le même horizon que le pouvoir politique. Et les marchés dans tout ça ? Une Banque Centrale indépendante du pouvoir politique doit-elle prendre les décisions que les marchés attendent ? Non, ce serait absurde. Les marchés attendent des signaux concernant la politique monétaire future. Si on s’appuie sur leurs anticipations à ce sujet pour prendre les décisions monétaires, on se mord la queue… Les marchés anticipent ce que la Banque pourrait bien faire et celle-ci l’interprète comme étant ce qu’elle devrait faire ! Le rôle de la Banque est de rappeler un cap et de favoriser un horizon de long terme dans les anticipations d’agents qui on tendance à le raccourcir de manière plus ou moins volontaire. La partie suivante est consacrée à la notion de crédibilité. Blinder relève que bizarrement, si on parle couramment, être crédible ne signifie pas du tout la même chose que si on parle “économie”. Littéralement, être crédible signifie que ce que l’on dit est cru. Or, la théorie économique suggère plutôt qu’être crédible consiste à être incité à faire quelque chose ou bien à devoir se lier les mains pour être cru. Blinder, à partir de quelques contre-exemples (Bundesbank et FED) montre que la crédibilité d’une Banque Centrale ne nécessite pas de recourir à la seconde définition, quelque peu étrange à ses yeux. On comprend alors mieux pourquoi les autorités monétaires se soucient de crédibilité. En effet, la crédibilité est supposée permettre d’optimiser plus facilement l’arbitrage PIB-inflation, en accélérant l’ajustement des anticipations d’inflation. Mais, en pratique, c’est un avantage qu’on ne constate pas. Alors pourquoi s’y intéresser ? Blinder donne trois raisons possibles : d’abord parce qu’il existe probablement des Banquiers Centraux qui croient à la théorie ; ensuite, parce que la nature humaine est telle que l’on aime être crédible ; enfin, et surtout, parce qu’une crédibilité importante est un atout majeur en période de crise financière, dans la mesure où elle permet de prendre des décisions extraordinaires et d’être cru quand on annonce qu’on en prendra d’autres. Bref, la crédbilité importe pour un Banque Centrale car elle lui permet de faire plus de choses, et non pas moins… La dernière partie de la conférence est consacrée au lien entre la gouvernance monétaire et la démocratie. Au fond, comment justifier que la politique monétaire soit confiée à une autorité indépendante non élue ? En premier lieu, dans tous les systèmes démocratiques, il existe des décisions “constitutionnelles” qui sont prises une fois pour toute ou presque, et non sujettes à une redéfinition fréquente. C’est le cas de l’indépendance de la Banque Centrale. De surcroît, les objectifs restent fixés par le pouvoir politique. En outre, si les banquiers centraux sont nommés par le pouvoir politique, ils sont censés hériter de leur légitimité (Blinder avait pour sa part été nommé par Clinton). Il faut par ailleurs envisager des cas très exceptionnels où le pouvoir politique peut remettre en cause la politique de la Banque. Enfin, la Banque Centrale doit rendre des comptes. Dès lors que la politique menée est cohérente, transparence et pédagogie ne posent guère de problèmes. C’est d’ailleurs un devoir moral selon l’auteur. Et de toute façon, dans la mesure où les taux courts futurs sont un guide pour les anticipations des marchés, on voit mal comment la Banque Centrale pourrait faire correctement son travail sans communiquer clairement.
Ce petit livre a de nombreuses vertus. Très agréable à lire compte tenu du style oral utilisé. Très court aussi. Mais surtout, l’auteur parvient vraiment à réaliser ce qu’il ambitionne au départ : croiser ses compétences d’universitaire et de praticien de la politique monétaire. C’est souvent drôle (pas hilarant cependant !), globalement très pédagogique. Il faut néanmoins avoir quelques bases en macroéconomie, sans quoi de nombreux passages perdent de leur intérêt, l’auteur supposant largement que le public connaît les rudiments des modèles utilisés (notamment dans la deuxième conférence). A noter : cet ouvrage est assez régulièrement cité dans les travaux touchant à la politique monétaire. Ce qui peut surprendre au demeurant, dans la mesure où ce type de textes-conférence ne fait généralement pas date dans la profession. C’est d’ailleurs en partie pour cela que je le chronique aujourd’hui. L’ayant lu il y a quelques temps déjà, il m’a semblé utile de me replonger dedans. Une lecture à conseiller.
▲ Alan Blinder, Central Banking in Theory and Practice . , MIT Press, 1998 (14,24 €)