D’un krach à l’autre
Olivier Brossard (2001) ▼
Voici un livre un peu particulier, car issu d’une thèse dont les parties techniques et mathématiques ont été enlevées ou réécrites sous forme littéraire. Cela en simplifie la lecture, on conseillera cependant au lecteur novice de se méfier de la 4ème de couverture indiquant qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage réservé aux spécialistes : la lecture en est au contraire particulièrement ardue.
Cette remarque préliminaire posée, de quoi parle donc ce livre? Comme son nom l’indique, il est consacré à l’instabilité financière contemporaine, et vise à en décrire les causes, les mécanismes, les conséquences réelles, et la façon de les réguler. Dans la mesure ou les prix des actifs financiers dépendent des anticipations des opérateurs, et que celles-ci sont
fluctuantes, en quoi les variations qui en découlent vont-elles influer sur la conjoncture, à politique monétaire et fondamentaux inchangés ? La question de cette influence des facteurs financiers sur la conjoncture n’est pas nouvelle, elle a été notamment présentée et analysée par Wicksell, Hayek et Fisher. C’est avec la théorie de la préférence pour la liquidité de Keynes, formalisée dans le modèle IS-LM, que cette influence a été présentée de façon explicite. Cependant, le modèle IS-LM (et toutes les discussions sur son degré de validité, lié notamment à la question de la rigidité des salaires nominaux et des prix à court terme) ne s’intéresse qu’aux variations issues de changements de politique monétaire. Mais les modifications d’anticipations boursières des agents peuvent influer directement sur la préférence pour la liquidité : par exemple, en cas
d’euphorie boursière, les anticipations de hausse du cours des titres conduisent les agents à modifier leur portefeuille d’actifs, réduisant la part des liquidités et accroissant la part des titres. Cela fait monter le cours des titres, donc réduit le taux d’intérêt, ce qui va se traduire par une élévation de la production et/ou des prix. La prise en compte des phénomènes financiers vient donc compliquer le pilotage macroéconomique de l’activité. A ce problème vient s’en ajouter un autre, lié à la prise en compte de l’imperfection de l’information dans la relation prêteur-emprunteur. Cette imperfection d’information génère aléa moral et sélection adverse, et est elle aussi source d’instabilité (un problème de solvabilité de certains agents peut provoquer une fuite générale vers la qualité et un rationnement du crédit). Cependant, ces diverses analyses ont un défaut : elles sont fondées sur la fiction du fonctionnement idéal d’un marché financier “parfait” au sens Arrow-Debreu, les problèmes ne résultant que d’imperfections diverses. Et il convient de douter de cette idée même. En pratique, la coordination des agents ne résulte pas tant de l’action du commissaire priseur Walrasien, mais la monnaie y joue un rôle central. Comme forme ultime de reconnaissance de dette (elle est la seule unanimement acceptée pour éteindre les dettes) elle continue de jouer ce rôle, même dans un univers de finance libéralisée. L’accroissement de l’investissement ne peut avoir lieu que si la masse monétaire augmente ou si, à masse monétaire constante, la vitesse de circulation de la monnaie augmente. Or il est impossible que la vitesse de circulation de la monnaie augmente continûment. En d’autres termes, le financement de l’économie ne peut résulter que d’un financement intermédié (bancaire) et de la finance de marché dans un système hiérarchisé (banque centrale, banques de second rang, marchés). Et dans un tel système, les fluctuations financières, en jouant sur la liquidité des bilans bancaires, vont avoir un impact sur l’économie réelle sans intervention de la banque centrale.
Tous ces éléments sont finalement reformulés par O. Brossard dans un cadre assez méconnu, celui du modèle de H. Minsky, appelé “financial instability hypothesis” ou parfois “Wall Street Paradigm”. Le modèle de Minsky, mettant en évidence le rôle de la préférence pour la liquidité, présente une analyse des cycles économiques fondée sur les cycles financiers. L’auteur développe longuement ce modèle et les critiques qui y ont été adressées. Le modèle de Minsky se propose en effet de fournir une explication endogène des crises financières, ce qui paraît critiquable car s’il est vrai que
l’endettement augmente dans les périodes d’expansion, la profitabilité des firmes (et les revenus des ménages) augmentent également ce qui devrait leur permettre de payer leurs dettes. En incorporant au modèle de Minsky des éléments d’analyse récents, l’auteur reformule celui-ci, en montrant l’intérêt principal qui est de mettre la préférence pour la liquidité et
ses conséquences sur la solvabilité des agents au coeur de l’analyse de la macroéconomie financière. Il en conclut sur la façon dont devrait être menée la politique monétaire et l’organisation des marchés financiers afin de réduire l’impact de leurs fluctuations.
Un livre assez riche donc, même parfois un peu trop (avez-vous réussi à lire tout ce qu’il y a ci-dessus sans vous déconcentrer ? parce que ce livre,c ‘est 400 pages de ce style), ce qui en rend la lecture laborieuse. Pour un ordre d’idées, le modèle IS-LM qui tient en général plusieurs chapitres d’un manuel de macroéconomie standard est ici résumé en deux
pages, à charge pour le lecteur ensuite d’avoir compris pour pouvoir réutiliser cela par la suite! Il faut d’accrocher à chaque page, et on ne saurait que trop recommander au lecteur une bonne connaissance initiale de la macroéconomie standard pour pouvoir s’y lancer. Mais ceux qui feront l’effort d’aller jusqu’au bout ne le regretteront pas. Ce livre est une véritable mine de réflexion, une analyse brillante de la finance contemporaine. Le seul glossaire final, très riche, en fait une lecture utile. Ne parlons même pas de son imposante bibliographie. On peut regretter l’aspect fortement théorique du livre, qui conduit parfois à se demander ou l’auteur veut en venir et qui peut désorienter. Il s’agit plus d’un livre de référence que d’un ouvrage se lisant d’une traite. On peut également regretter la minceur des recommandations finales concernant l’organisation souhaitable des systèmes financiers; mais c’est inévitable avec la réécriture d’une thèse. On retiendra seulement qu’il est rare de trouver des ouvrages de cette qualité en langue française, qui permettent à tout lecteur d’avoir accès à des travaux économiques en général réservés aux revues spécialisées. Alors, ne boudons pas notre satisfaction.
Cette remarque préliminaire posée, de quoi parle donc ce livre? Comme son nom l’indique, il est consacré à l’instabilité financière contemporaine, et vise à en décrire les causes, les mécanismes, les conséquences réelles, et la façon de les réguler. Dans la mesure ou les prix des actifs financiers dépendent des anticipations des opérateurs, et que celles-ci sont
fluctuantes, en quoi les variations qui en découlent vont-elles influer sur la conjoncture, à politique monétaire et fondamentaux inchangés ? La question de cette influence des facteurs financiers sur la conjoncture n’est pas nouvelle, elle a été notamment présentée et analysée par Wicksell, Hayek et Fisher. C’est avec la théorie de la préférence pour la liquidité de Keynes, formalisée dans le modèle IS-LM, que cette influence a été présentée de façon explicite. Cependant, le modèle IS-LM (et toutes les discussions sur son degré de validité, lié notamment à la question de la rigidité des salaires nominaux et des prix à court terme) ne s’intéresse qu’aux variations issues de changements de politique monétaire. Mais les modifications d’anticipations boursières des agents peuvent influer directement sur la préférence pour la liquidité : par exemple, en cas
d’euphorie boursière, les anticipations de hausse du cours des titres conduisent les agents à modifier leur portefeuille d’actifs, réduisant la part des liquidités et accroissant la part des titres. Cela fait monter le cours des titres, donc réduit le taux d’intérêt, ce qui va se traduire par une élévation de la production et/ou des prix. La prise en compte des phénomènes financiers vient donc compliquer le pilotage macroéconomique de l’activité. A ce problème vient s’en ajouter un autre, lié à la prise en compte de l’imperfection de l’information dans la relation prêteur-emprunteur. Cette imperfection d’information génère aléa moral et sélection adverse, et est elle aussi source d’instabilité (un problème de solvabilité de certains agents peut provoquer une fuite générale vers la qualité et un rationnement du crédit). Cependant, ces diverses analyses ont un défaut : elles sont fondées sur la fiction du fonctionnement idéal d’un marché financier “parfait” au sens Arrow-Debreu, les problèmes ne résultant que d’imperfections diverses. Et il convient de douter de cette idée même. En pratique, la coordination des agents ne résulte pas tant de l’action du commissaire priseur Walrasien, mais la monnaie y joue un rôle central. Comme forme ultime de reconnaissance de dette (elle est la seule unanimement acceptée pour éteindre les dettes) elle continue de jouer ce rôle, même dans un univers de finance libéralisée. L’accroissement de l’investissement ne peut avoir lieu que si la masse monétaire augmente ou si, à masse monétaire constante, la vitesse de circulation de la monnaie augmente. Or il est impossible que la vitesse de circulation de la monnaie augmente continûment. En d’autres termes, le financement de l’économie ne peut résulter que d’un financement intermédié (bancaire) et de la finance de marché dans un système hiérarchisé (banque centrale, banques de second rang, marchés). Et dans un tel système, les fluctuations financières, en jouant sur la liquidité des bilans bancaires, vont avoir un impact sur l’économie réelle sans intervention de la banque centrale.
Tous ces éléments sont finalement reformulés par O. Brossard dans un cadre assez méconnu, celui du modèle de H. Minsky, appelé “financial instability hypothesis” ou parfois “Wall Street Paradigm”. Le modèle de Minsky, mettant en évidence le rôle de la préférence pour la liquidité, présente une analyse des cycles économiques fondée sur les cycles financiers. L’auteur développe longuement ce modèle et les critiques qui y ont été adressées. Le modèle de Minsky se propose en effet de fournir une explication endogène des crises financières, ce qui paraît critiquable car s’il est vrai que
l’endettement augmente dans les périodes d’expansion, la profitabilité des firmes (et les revenus des ménages) augmentent également ce qui devrait leur permettre de payer leurs dettes. En incorporant au modèle de Minsky des éléments d’analyse récents, l’auteur reformule celui-ci, en montrant l’intérêt principal qui est de mettre la préférence pour la liquidité et
ses conséquences sur la solvabilité des agents au coeur de l’analyse de la macroéconomie financière. Il en conclut sur la façon dont devrait être menée la politique monétaire et l’organisation des marchés financiers afin de réduire l’impact de leurs fluctuations.
Un livre assez riche donc, même parfois un peu trop (avez-vous réussi à lire tout ce qu’il y a ci-dessus sans vous déconcentrer ? parce que ce livre,c ‘est 400 pages de ce style), ce qui en rend la lecture laborieuse. Pour un ordre d’idées, le modèle IS-LM qui tient en général plusieurs chapitres d’un manuel de macroéconomie standard est ici résumé en deux
pages, à charge pour le lecteur ensuite d’avoir compris pour pouvoir réutiliser cela par la suite! Il faut d’accrocher à chaque page, et on ne saurait que trop recommander au lecteur une bonne connaissance initiale de la macroéconomie standard pour pouvoir s’y lancer. Mais ceux qui feront l’effort d’aller jusqu’au bout ne le regretteront pas. Ce livre est une véritable mine de réflexion, une analyse brillante de la finance contemporaine. Le seul glossaire final, très riche, en fait une lecture utile. Ne parlons même pas de son imposante bibliographie. On peut regretter l’aspect fortement théorique du livre, qui conduit parfois à se demander ou l’auteur veut en venir et qui peut désorienter. Il s’agit plus d’un livre de référence que d’un ouvrage se lisant d’une traite. On peut également regretter la minceur des recommandations finales concernant l’organisation souhaitable des systèmes financiers; mais c’est inévitable avec la réécriture d’une thèse. On retiendra seulement qu’il est rare de trouver des ouvrages de cette qualité en langue française, qui permettent à tout lecteur d’avoir accès à des travaux économiques en général réservés aux revues spécialisées. Alors, ne boudons pas notre satisfaction.
▲ Olivier Brossard, D’un krach à l’autre. , Grasset, le Monde de l’éducation, 2001 (20,85 €)