Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles
Bernard Maris (1999) ▼
Mon pote Alexandre Delaigue mavait dit, après avoir lu le livre à sa sortie : “Tu vas voir, si tu le lis, tu vas y trouver des choses très pertinentes, mais au final, tu vas te dire que Maris se transforme en gourou au fil du livre”. Absorbé par dautres lectures, javais fait limpasse momantanément sur la lettre aux gourous de léconomie. Mais comme jaime bien lire Maris, jy suis finalement revenu. Et quen dire au final ?
Dabord que AD mavait fait un résumé sommaire, mais exact du bouquin. Ensuite, que ce livre est un truc mal fini. Enfin, quil est chouette. Par un pur hasard, alors que je venais de commencer à lire le texte de Maris et consultais mon mail, délaissé depuis longtemps, j ai reçu la question suivante dun internaute : “Dans votre présentation vous citez Keynes ‘l’économie est une science complexe mais peu de gens le savent’. Comment conciliez vous cette complexité avec l’utilisation d’agrégats (qui apparaissent à la première ligne du glossaire) ? Savez-vous modéliser, mathématiser, l’entrepreneur ou ‘l’agrégat’ des entrepreneurs? Comment modélisez vous mes voisins qui demandent des interventions politiques d’un certain type et se comportent tout autrement en tant que consommateurs ? J’essaie de vous situer pour savoir ce que vous pourrez m’apprendre. Je cherche et ce n’est pas facile. Je comprends la facilité des mathématiques qui enferment dans des équations bien commodes, malheureusement je ne trouve pas que l’on aille très loin et que cela colle avec la vie telle que je la connais.”
Loccasion était trop belle ! Plutôt que de me lancer dans une longue réponse, de toute façon insatisfaisante, je lui ai conseillé de lire le livre de Maris et plus particulièrement les premiers chapitres, dans lesquels je pense quil pourra trouver une réponse à sa question qui pourrait correspondre à ce que je lui aurais répondu moi-même. Et globalement, à ce que léquipe entière dEconoclaste aurait pu lui répondre. Il va de soi que si cet internaute me fait comprendre que se taper le bouquin de Maris le contrarie un peu, je mexpliquerai sans quil ait à accroître les ventes dAlbin Michel…
Bref… que peut-on retenir de ce livre ? En premier lieu, que lauteur ne comprend pas pourquoi les économistes, esprits au demeurant pas plus minables que dautres, laissent les gourous, les charlatans, les plus mauvais dentre eux parler au public. Ensuite, pourquoi, lorsquils saventurent à communiquer en dehors de leurs séminaires, se sentent-ils obligés de raccourcir leur pensée, de se livrer à des contorsions journalistiques qui finissent toujours par des tautologies qui loin de les sortir grandis de lexercice, les discréditent encore plus ? Pourquoi ? Parce quils sont la proie de deux démons. Le premier est celui qui leur dicte de parler coûte que coûte. Or, pour sortir dun style purement journalistique, on ne peut se contenter des quelques minutes dantenne accordées par les media. Doù la platitude du propos. Le second est de refuser de dresser un constat quelque part effrayant : si un économiste veut adopter lattitude du savant à la télévision, il devra dire ses doutes profonds sur sa discipline, affirmer que face à ces difficultés il a pris le parti de prendre du plaisir à faire son métier, en toute humilité, sans forcément se soucier à chaque instant de ce qui se passe en dehors de son laboratoire et, sans pour autant nier son intérêt, souligner le caractère tout relatif de son savoir. Sans avoir à en rougir dailleurs.
Avancer que cette analyse est un brûlot définitif pour léconomie serait, en un sens, une erreur. Lauteur écrit : “Messieurs les savants, vous êtes respectables. A une condition. Que vous soyez de vrais chercheurs. Que vous acceptiez le principe de plaisir qui guide toute recherche authentique”. “Oserez vous dire, enfin, que la politique na aucun droit, mais absolument aucun droit, à utiliser la science économique ?”.
Bien que derrière cette attitude compréhensive il y ait un appel plus quimplicite à une autre façon de faire léconomie, il y a surtout la mise en place de lartillerie lourde en face de ceux qui, à la différence de léconomiste lambda coincé entre la volonté de se faire petit et lexaspération dentendre “un marchand de salades économiques à la radio”, font des salades en question un fonds de commerce. A partir de ce point, si les exemples retenus sont assez parlants, le propos est nettemeent moins percutant, à mon avis. Oui, Camdessus et Trichet sont à léconomie ce que Oasis est au RockNRoll. Oui, Debreu ferait parfois bien de se taire, plutôt que de faire dire à ses équations plus que ce quelles ne le peuvent. Oui, Merton & Scholes ont (violemment) redécouvert quun marché financier sans risque (sans même parler dincertitude), ça nexistait pas ! Oui, quand le directeur du FMI raconte sans rire que son équipe déconomistes est la meilleure du monde, on se marre et on pleure en même temps.
Mais… jaurais bien aimé quon mexplique pourquoi le FMI fonctionne comme une grande secte avec un gourou cosmo-grabataire, pourquoi si les statisticiens ne savent pas mesurer la richesse créée autrement que par le PIB, ils devraient arrêter de le faire de cette façon ? Comment comprendre la phrase suivante : “Lavantage du discours de la science économique, cest que lon peut tout dire, exactement comme dans le discours stalinien, où la lutte des classes permettait dexpliquer la croissance, la décroissance, linflation […]” ? Que doit-on entendre par science ? Pourquoi les guillemets ? Pour signaler que léconomie nest que science au prix des guillemets ? Ou pour pointer lattitude de ceux qui se cachent derrière un discours scientifique dont seules les conclusions, hors contexte, ont un intérêt instrumental ? Dans le premier cas, les économistes seraient tous des guignols. Dans le second cas, seuls certains dentre eux et leurs imitateurs. Doù confusion. A ce propos, la question de savoir si léconomie est une sience ou pas devient un vrai carcan au fil des années. Quon relise John Neville Keynes (et éventuellement ce que dit Walras à ce sujet) et le débat sera en grande partie pacifié.
Dans cette partie de louvrage, dautres paragraphes ne laissent pas indifférents. Exemple : “Qui na pas compris le côté ludique de léconomie mathématique na rien compris à léconomie” écrit Maris. Et comment ! Mais juste derrière : “Comme les échecs, léconomie théorique ne sert à rien, sinon à jouer”. “à rien”. Quon se le dise, elle ne sert à rien. Inutile de rentrer dans ce débat sans fin, ce nest même pas celui que Maris veut lancer au demeurant.
Après avoir fini le bouquin dOncle Bernard, je nai encore pas compris de quoi il voulait vraiment parler. Je ne comprends pas à qui sadresse le livre. Aux économistes ? Aux gourous de léconomie ? Au grand public ? Si cest aux premiers, ils peuvent probablement comprendre certaines choses. Si cest aux seconds, cest inutile, mais cest surement un plaisir pour lauteur et, avouons le, lallumage en règle dun Camdessus ou dun Trichet nest que justice ; lanalyse . Si cest au grand public, on peut craindre que soit venu le temps du gourou cosmo-dissident. Outre les ambiguïtés que je viens de relever, ce chaud et froid soufflé en permancence qui fait en partie lintérêt du livre, il y a cette attitude normative latente dans tout le livre, cette idée que lauteur sait lui ce qui est du domaine du bien. Certes, il y a des économistes de grande valeur qui travaillent, tel Artus. Certes, passer sur France Info, ce nest pas forcément être un salaud. Mais bon, les gars, cest pas très sérieux tout ça. “Alors les économistes… Pourquoi ne pas revenir aux sources de léconomie… A la question fondamentale [cest moi qui souligne] posée par Ricardo ? Pourquoi seulement 60% du produit national aujourdhui en salaires, contre 70% il y a seulement vingt ans ?”. Pourquoi John Hicks semble-t-il gagner le paradis, aux yeux de Maris, parce que sur la fin de sa vie, il se consacra à lhistoire économique plutôt quà la théorie formalisée ? Pourquoi Solow devient-il fréquentable dès lors quil écrit que “la prison, cest lallocation chômage américaine” ou sintéresse de plus près à la question des institutions ? Ces registres différents chez une même personne sont-ils vraiment inconciliables ? Définissent-ils une part de ténèbres chez des gens respectables ? Une part de Solow est-elle mauvaise quand lautre est belle et noble ? A trop prétendre que léconomie est peuplée de gourous, ne devient-on pas soi-même une gourou ?
Si cest le cas, Maris est un mauvais gourou, vu que son livre reste à mes yeux une critique méritant un détour, lui-même critique. Ajoutons pour finir que certains points théoriques sont abordés pour les besoins de lexposé et quils le sont de bonne manière.
Dabord que AD mavait fait un résumé sommaire, mais exact du bouquin. Ensuite, que ce livre est un truc mal fini. Enfin, quil est chouette. Par un pur hasard, alors que je venais de commencer à lire le texte de Maris et consultais mon mail, délaissé depuis longtemps, j ai reçu la question suivante dun internaute : “Dans votre présentation vous citez Keynes ‘l’économie est une science complexe mais peu de gens le savent’. Comment conciliez vous cette complexité avec l’utilisation d’agrégats (qui apparaissent à la première ligne du glossaire) ? Savez-vous modéliser, mathématiser, l’entrepreneur ou ‘l’agrégat’ des entrepreneurs? Comment modélisez vous mes voisins qui demandent des interventions politiques d’un certain type et se comportent tout autrement en tant que consommateurs ? J’essaie de vous situer pour savoir ce que vous pourrez m’apprendre. Je cherche et ce n’est pas facile. Je comprends la facilité des mathématiques qui enferment dans des équations bien commodes, malheureusement je ne trouve pas que l’on aille très loin et que cela colle avec la vie telle que je la connais.”
Loccasion était trop belle ! Plutôt que de me lancer dans une longue réponse, de toute façon insatisfaisante, je lui ai conseillé de lire le livre de Maris et plus particulièrement les premiers chapitres, dans lesquels je pense quil pourra trouver une réponse à sa question qui pourrait correspondre à ce que je lui aurais répondu moi-même. Et globalement, à ce que léquipe entière dEconoclaste aurait pu lui répondre. Il va de soi que si cet internaute me fait comprendre que se taper le bouquin de Maris le contrarie un peu, je mexpliquerai sans quil ait à accroître les ventes dAlbin Michel…
Bref… que peut-on retenir de ce livre ? En premier lieu, que lauteur ne comprend pas pourquoi les économistes, esprits au demeurant pas plus minables que dautres, laissent les gourous, les charlatans, les plus mauvais dentre eux parler au public. Ensuite, pourquoi, lorsquils saventurent à communiquer en dehors de leurs séminaires, se sentent-ils obligés de raccourcir leur pensée, de se livrer à des contorsions journalistiques qui finissent toujours par des tautologies qui loin de les sortir grandis de lexercice, les discréditent encore plus ? Pourquoi ? Parce quils sont la proie de deux démons. Le premier est celui qui leur dicte de parler coûte que coûte. Or, pour sortir dun style purement journalistique, on ne peut se contenter des quelques minutes dantenne accordées par les media. Doù la platitude du propos. Le second est de refuser de dresser un constat quelque part effrayant : si un économiste veut adopter lattitude du savant à la télévision, il devra dire ses doutes profonds sur sa discipline, affirmer que face à ces difficultés il a pris le parti de prendre du plaisir à faire son métier, en toute humilité, sans forcément se soucier à chaque instant de ce qui se passe en dehors de son laboratoire et, sans pour autant nier son intérêt, souligner le caractère tout relatif de son savoir. Sans avoir à en rougir dailleurs.
Avancer que cette analyse est un brûlot définitif pour léconomie serait, en un sens, une erreur. Lauteur écrit : “Messieurs les savants, vous êtes respectables. A une condition. Que vous soyez de vrais chercheurs. Que vous acceptiez le principe de plaisir qui guide toute recherche authentique”. “Oserez vous dire, enfin, que la politique na aucun droit, mais absolument aucun droit, à utiliser la science économique ?”.
Bien que derrière cette attitude compréhensive il y ait un appel plus quimplicite à une autre façon de faire léconomie, il y a surtout la mise en place de lartillerie lourde en face de ceux qui, à la différence de léconomiste lambda coincé entre la volonté de se faire petit et lexaspération dentendre “un marchand de salades économiques à la radio”, font des salades en question un fonds de commerce. A partir de ce point, si les exemples retenus sont assez parlants, le propos est nettemeent moins percutant, à mon avis. Oui, Camdessus et Trichet sont à léconomie ce que Oasis est au RockNRoll. Oui, Debreu ferait parfois bien de se taire, plutôt que de faire dire à ses équations plus que ce quelles ne le peuvent. Oui, Merton & Scholes ont (violemment) redécouvert quun marché financier sans risque (sans même parler dincertitude), ça nexistait pas ! Oui, quand le directeur du FMI raconte sans rire que son équipe déconomistes est la meilleure du monde, on se marre et on pleure en même temps.
Mais… jaurais bien aimé quon mexplique pourquoi le FMI fonctionne comme une grande secte avec un gourou cosmo-grabataire, pourquoi si les statisticiens ne savent pas mesurer la richesse créée autrement que par le PIB, ils devraient arrêter de le faire de cette façon ? Comment comprendre la phrase suivante : “Lavantage du discours de la science économique, cest que lon peut tout dire, exactement comme dans le discours stalinien, où la lutte des classes permettait dexpliquer la croissance, la décroissance, linflation […]” ? Que doit-on entendre par science ? Pourquoi les guillemets ? Pour signaler que léconomie nest que science au prix des guillemets ? Ou pour pointer lattitude de ceux qui se cachent derrière un discours scientifique dont seules les conclusions, hors contexte, ont un intérêt instrumental ? Dans le premier cas, les économistes seraient tous des guignols. Dans le second cas, seuls certains dentre eux et leurs imitateurs. Doù confusion. A ce propos, la question de savoir si léconomie est une sience ou pas devient un vrai carcan au fil des années. Quon relise John Neville Keynes (et éventuellement ce que dit Walras à ce sujet) et le débat sera en grande partie pacifié.
Dans cette partie de louvrage, dautres paragraphes ne laissent pas indifférents. Exemple : “Qui na pas compris le côté ludique de léconomie mathématique na rien compris à léconomie” écrit Maris. Et comment ! Mais juste derrière : “Comme les échecs, léconomie théorique ne sert à rien, sinon à jouer”. “à rien”. Quon se le dise, elle ne sert à rien. Inutile de rentrer dans ce débat sans fin, ce nest même pas celui que Maris veut lancer au demeurant.
Après avoir fini le bouquin dOncle Bernard, je nai encore pas compris de quoi il voulait vraiment parler. Je ne comprends pas à qui sadresse le livre. Aux économistes ? Aux gourous de léconomie ? Au grand public ? Si cest aux premiers, ils peuvent probablement comprendre certaines choses. Si cest aux seconds, cest inutile, mais cest surement un plaisir pour lauteur et, avouons le, lallumage en règle dun Camdessus ou dun Trichet nest que justice ; lanalyse . Si cest au grand public, on peut craindre que soit venu le temps du gourou cosmo-dissident. Outre les ambiguïtés que je viens de relever, ce chaud et froid soufflé en permancence qui fait en partie lintérêt du livre, il y a cette attitude normative latente dans tout le livre, cette idée que lauteur sait lui ce qui est du domaine du bien. Certes, il y a des économistes de grande valeur qui travaillent, tel Artus. Certes, passer sur France Info, ce nest pas forcément être un salaud. Mais bon, les gars, cest pas très sérieux tout ça. “Alors les économistes… Pourquoi ne pas revenir aux sources de léconomie… A la question fondamentale [cest moi qui souligne] posée par Ricardo ? Pourquoi seulement 60% du produit national aujourdhui en salaires, contre 70% il y a seulement vingt ans ?”. Pourquoi John Hicks semble-t-il gagner le paradis, aux yeux de Maris, parce que sur la fin de sa vie, il se consacra à lhistoire économique plutôt quà la théorie formalisée ? Pourquoi Solow devient-il fréquentable dès lors quil écrit que “la prison, cest lallocation chômage américaine” ou sintéresse de plus près à la question des institutions ? Ces registres différents chez une même personne sont-ils vraiment inconciliables ? Définissent-ils une part de ténèbres chez des gens respectables ? Une part de Solow est-elle mauvaise quand lautre est belle et noble ? A trop prétendre que léconomie est peuplée de gourous, ne devient-on pas soi-même une gourou ?
Si cest le cas, Maris est un mauvais gourou, vu que son livre reste à mes yeux une critique méritant un détour, lui-même critique. Ajoutons pour finir que certains points théoriques sont abordés pour les besoins de lexposé et quils le sont de bonne manière.
▲ Bernard Maris, Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles. , Albin Michel, 1999 (6,18 €)