La théorie économique néoclassique. Microéconomie, tome 1
Bernard Guerrien (2000) ▼
Ce livre est le premier tome, de deux, d’une présentation de la théorie néoclassique, comme son titre le laisse supposer… Salué par les critiques, plus ou moins avertis, de la théorie en question comme une remise en cause radicale de la théorie standard, s’il n’était pas écrit par un spécialiste de la question, je ne l’aurais probablement jamais ouvert.
Avant toute chose, il est remarquable sur un point précis : lorsqu’on commence à le lire, on n’a plus envie de le refermer. Il est presque passionant (je dis “presque”, parce que… bon, la passion et la microéconomie… enfin, vous voyez ce que je veux dire…). Ensuite, l’aspect critique de l’ouvrage porte sur la théorie, pas nécessairement sur des personnes, ce qui semble évident, mais ne l’est pas tant que ça quand on lit certaines tribunes récentes sur l’enseignement en facultés de sciences économiques.
Guerrien pointe des incohérences. Incohérences internes de la théorie et incohérences entre ce que dit la théorie et ce qu’on lui fait dire parfois. En voici deux exemples représentatifs. On souhaite expliquer le fonctionnement de l’économie à partir de l’action isolée de différents individus. Point d’institutions donc. Néanmoins, dès qu’on commence à envisager les échanges entre eux, on doit supposer que ces échanges sont volontaires et que personne ne peut obliger autrui à participer à un échange qu’il ne souhaiterait réaliser. Ce qui suppose donc implicitement l’existence préalable d’institutions assurant la liberté des individus. Dans un autre domaine, lorsqu’on dit que le modèle walrasien est l’archétype d’une économie libérale décentralisée, on néglige un détail essentiel : tel qu’il est construit il est plutôt l’incarnation d’une économie centralisée,dans la mesure où sans l’existence du commissaire-priseur walrasien qui centralise offre et demande, propose des prix aux agents et assure la livraison des quantités d’équilibre, le modèle ne tourne pas.
L’auteur sait évidemment fort bien ce qu’est la théorie néoclassique, essentiellement une méthodologie, indépendante des options politiques des uns et des autres et rassemblant des auteurs qui accordent une place plus ou moins importante aux mathématiques dans leurs raisonnements. Il balaie d’emblée les critiques stériles à ce sujet.
Ces préalables étant posés, il peut présenter la microéconomie. L’ordre de présentation ne diffère guère de celui d’un manuel classique de microéconomie. Ménages, producteurs, échange pour commencer. A lire la table des matières, on ne voit guère en quoi ce livre diffère des autres traitant du même sujet. Et pourtant… L’accent est mis sur les détails qui passent parfois inaperçus. Par exemple, une fonction de production utilise-t-elle des inputs ou des facteurs de production ? Si elle utilise des facteurs de production, il existe l’idée d’une contribution à la production. Il faudra donc estimer la contribution de chacun et rémunérer qui de droit. Or, cela ne va pas sans poser des problèmes. Il peut s’avèrer conceptuellement compliqué de repérer les catégories d’agents qui doivent recevoir le produit issu de ces facteurs de production. Autre sujet : les inputs sont-ils substituables ? Pourquoi seraient-ils plus substituables que complémentaires ? Les processus techniques et l’existence d’indivisibilité ne sont pas rares en réalité. Le choix de la substituabilité (entre capital et travail) n’a rien d’évident en soi. On le voit donc rapidement, la valeur ajoutée du livre se situe bel et bien dans son aspect critique.
Le chapitre suivant s’intéresse à la logique des économies d’échange sans production, avec comme fil de lecture la célébrissime “boîte d’Edgeworth”. Mais contrairement à la plupart des manuels, qui enchaînent rapidement sur l’introduction d’un mécanisme de marché, Guerrien se borne à montrer dans ce chapitre que le dénouement d’un échange marchand n’a absolument rien d’immédiat. Sans un quelque chose supplémentaire, on ne peut déterminer l’issue d’une rencontre entre deux agents ayant intérêt à échanger.
C’est à ce stade qu’intervient la concurrence parfaite. Et c’est réellement à ce stade que commence l’analyse critique. Dans la ligne de mire principalement : le commissaire-priseur wlarasien (cet individu bénévole dans un monde de maximisateurs forcenés). Une fois posées les hypothèses de la concurrence parfaite, nos agents preneurs de prix peuvent formuler leurs offres et demandes, avant de passer au chapitre suivant qui nous explique comment l’équilibre de concurrence parfaite va émerger.
Ce ne sera pas facile. L’équilibre peut exister, mais au prix de certaines conditions. Sera-t-il stable ? Partant d’un point quelconque, rejoindra-t-on l’équilibre ? Pas certain du tout. Il n’est pas possible de déterminer à partir du comportement individuel des agents une forme de demande nette globale qui assure la stabilité de l’équilibre. Par ailleurs, dans la foulée, on montre que l’équilibre n’est pas forcément unique. Bref, tout n’est pas aussi harmonieux que ce qu’on l’espérait.
Le chapitre suivant s’intéresse à l’aspect normatif du modèle d’équilibre général. Il présente l’essentiel concernant les théorèmes de l’économie du bien-être, les défaillances de marché et les moyens de les corriger.
Le dernier chapitre est une introduction à la concurrence imparfaite. Guerrien n’est guère plus généreux avec les modèles de concurrence imparfaite qu’avec ceux de concurrence parfaite. Faire valoir de la concurrence parfaite dont ils n’exhibent pas les propriétés d’optimalité, exercices d’équilibre partiel alors que le nec plus ultra pour un néoclassique est l’équilibre général, peuplés d’hypothèses guère plus réalistes que le modèle Arrow-Debreu, on ne peut pas dire que l’auteur accepte l’idée selon laquelle le modèle canonique d’équilibre général serait une construction générique ayant pour but d’être rendue plus pertinente par le relâchement de certaines de ses hypothèses.
Au final, il semble qu’il ne reste plus qu’à prendre nos bouquins de micro et à aller les revendre… Soudain, on se dit que ce n’est pas certain : Guerrien indique en conclusion que ce qu’il faut retenir de cette première partie est qu’il ne faut pas “se laisser abuser par les allusions si fréquentes à un prétendu ‘mécanisme des prix’ ou à une mystérieuse ‘loi de l’offre et de la demande’ qui font croire que la théorie a résolu le problème de la formation des prix, (…) alors qu’il n’en est rien”. Bon, d’accord, nous ne le ferons pas. Mais, nous revoilà avec nos offres de bouquins à signaler au commissaire-priseur. Car, on fait quoi au juste ? Certes, nous savons maintenant qu’on ne doit pas faire dire à une théorie ce qu’elle ne dit pas. Certes aussi, nous savons qu’un savoir économique est relatif et que la théorie des marchés n’est pas achevée.On aurait pourtant aimé savoir ce que le travail des économistes néoclassiques a apporté de positif. Car, il doit bien y avoir des choses à garder dans tout ça, non ? Peut-être que le tome 2 apporte des réponses…
Avant toute chose, il est remarquable sur un point précis : lorsqu’on commence à le lire, on n’a plus envie de le refermer. Il est presque passionant (je dis “presque”, parce que… bon, la passion et la microéconomie… enfin, vous voyez ce que je veux dire…). Ensuite, l’aspect critique de l’ouvrage porte sur la théorie, pas nécessairement sur des personnes, ce qui semble évident, mais ne l’est pas tant que ça quand on lit certaines tribunes récentes sur l’enseignement en facultés de sciences économiques.
Guerrien pointe des incohérences. Incohérences internes de la théorie et incohérences entre ce que dit la théorie et ce qu’on lui fait dire parfois. En voici deux exemples représentatifs. On souhaite expliquer le fonctionnement de l’économie à partir de l’action isolée de différents individus. Point d’institutions donc. Néanmoins, dès qu’on commence à envisager les échanges entre eux, on doit supposer que ces échanges sont volontaires et que personne ne peut obliger autrui à participer à un échange qu’il ne souhaiterait réaliser. Ce qui suppose donc implicitement l’existence préalable d’institutions assurant la liberté des individus. Dans un autre domaine, lorsqu’on dit que le modèle walrasien est l’archétype d’une économie libérale décentralisée, on néglige un détail essentiel : tel qu’il est construit il est plutôt l’incarnation d’une économie centralisée,dans la mesure où sans l’existence du commissaire-priseur walrasien qui centralise offre et demande, propose des prix aux agents et assure la livraison des quantités d’équilibre, le modèle ne tourne pas.
L’auteur sait évidemment fort bien ce qu’est la théorie néoclassique, essentiellement une méthodologie, indépendante des options politiques des uns et des autres et rassemblant des auteurs qui accordent une place plus ou moins importante aux mathématiques dans leurs raisonnements. Il balaie d’emblée les critiques stériles à ce sujet.
Ces préalables étant posés, il peut présenter la microéconomie. L’ordre de présentation ne diffère guère de celui d’un manuel classique de microéconomie. Ménages, producteurs, échange pour commencer. A lire la table des matières, on ne voit guère en quoi ce livre diffère des autres traitant du même sujet. Et pourtant… L’accent est mis sur les détails qui passent parfois inaperçus. Par exemple, une fonction de production utilise-t-elle des inputs ou des facteurs de production ? Si elle utilise des facteurs de production, il existe l’idée d’une contribution à la production. Il faudra donc estimer la contribution de chacun et rémunérer qui de droit. Or, cela ne va pas sans poser des problèmes. Il peut s’avèrer conceptuellement compliqué de repérer les catégories d’agents qui doivent recevoir le produit issu de ces facteurs de production. Autre sujet : les inputs sont-ils substituables ? Pourquoi seraient-ils plus substituables que complémentaires ? Les processus techniques et l’existence d’indivisibilité ne sont pas rares en réalité. Le choix de la substituabilité (entre capital et travail) n’a rien d’évident en soi. On le voit donc rapidement, la valeur ajoutée du livre se situe bel et bien dans son aspect critique.
Le chapitre suivant s’intéresse à la logique des économies d’échange sans production, avec comme fil de lecture la célébrissime “boîte d’Edgeworth”. Mais contrairement à la plupart des manuels, qui enchaînent rapidement sur l’introduction d’un mécanisme de marché, Guerrien se borne à montrer dans ce chapitre que le dénouement d’un échange marchand n’a absolument rien d’immédiat. Sans un quelque chose supplémentaire, on ne peut déterminer l’issue d’une rencontre entre deux agents ayant intérêt à échanger.
C’est à ce stade qu’intervient la concurrence parfaite. Et c’est réellement à ce stade que commence l’analyse critique. Dans la ligne de mire principalement : le commissaire-priseur wlarasien (cet individu bénévole dans un monde de maximisateurs forcenés). Une fois posées les hypothèses de la concurrence parfaite, nos agents preneurs de prix peuvent formuler leurs offres et demandes, avant de passer au chapitre suivant qui nous explique comment l’équilibre de concurrence parfaite va émerger.
Ce ne sera pas facile. L’équilibre peut exister, mais au prix de certaines conditions. Sera-t-il stable ? Partant d’un point quelconque, rejoindra-t-on l’équilibre ? Pas certain du tout. Il n’est pas possible de déterminer à partir du comportement individuel des agents une forme de demande nette globale qui assure la stabilité de l’équilibre. Par ailleurs, dans la foulée, on montre que l’équilibre n’est pas forcément unique. Bref, tout n’est pas aussi harmonieux que ce qu’on l’espérait.
Le chapitre suivant s’intéresse à l’aspect normatif du modèle d’équilibre général. Il présente l’essentiel concernant les théorèmes de l’économie du bien-être, les défaillances de marché et les moyens de les corriger.
Le dernier chapitre est une introduction à la concurrence imparfaite. Guerrien n’est guère plus généreux avec les modèles de concurrence imparfaite qu’avec ceux de concurrence parfaite. Faire valoir de la concurrence parfaite dont ils n’exhibent pas les propriétés d’optimalité, exercices d’équilibre partiel alors que le nec plus ultra pour un néoclassique est l’équilibre général, peuplés d’hypothèses guère plus réalistes que le modèle Arrow-Debreu, on ne peut pas dire que l’auteur accepte l’idée selon laquelle le modèle canonique d’équilibre général serait une construction générique ayant pour but d’être rendue plus pertinente par le relâchement de certaines de ses hypothèses.
Au final, il semble qu’il ne reste plus qu’à prendre nos bouquins de micro et à aller les revendre… Soudain, on se dit que ce n’est pas certain : Guerrien indique en conclusion que ce qu’il faut retenir de cette première partie est qu’il ne faut pas “se laisser abuser par les allusions si fréquentes à un prétendu ‘mécanisme des prix’ ou à une mystérieuse ‘loi de l’offre et de la demande’ qui font croire que la théorie a résolu le problème de la formation des prix, (…) alors qu’il n’en est rien”. Bon, d’accord, nous ne le ferons pas. Mais, nous revoilà avec nos offres de bouquins à signaler au commissaire-priseur. Car, on fait quoi au juste ? Certes, nous savons maintenant qu’on ne doit pas faire dire à une théorie ce qu’elle ne dit pas. Certes aussi, nous savons qu’un savoir économique est relatif et que la théorie des marchés n’est pas achevée.On aurait pourtant aimé savoir ce que le travail des économistes néoclassiques a apporté de positif. Car, il doit bien y avoir des choses à garder dans tout ça, non ? Peut-être que le tome 2 apporte des réponses…
▲ Bernard Guerrien, La théorie économique néoclassique. Microéconomie, tome 1. , La découverte, 2000 (7,55 €)