Marx à la corbeille
Phillipe Manière (1999) ▼
Voilà un livre étonnant. Sur un sujet très rebattu (fonds de pension démocratie des actionnaires), l’auteur adopte un point de vue original, bien loin des plaidoyers peu convaincants sur les fonds de pension selon le cas “indispensables à la survie des systèmes de retraites” ou “pièges à cons”. Les deux citations qui ouvrent le livre, à elles seules, donnent le ton. Une citation de proudhon :”l’argent, cet infâme argent, symbole de l’inégalité et de la conquête, est un instrument cent fois plus efficace, plus incorruptible et plus sûr que toutes les propositions et les drogues communistes” et une citation de Peter Drucker “si l’on définit le socialisme comme “la propriété des moyens de production aux salariés” -et cela est à la fois la définition orthodoxe et la seule rigoureuse- alors les Etats-Unis sont le premier pays authentiquement socialiste”. Sous ce double patronage improbable, surtout pour un auteur dont le libéralisme n’est plus à démontrer, le livre peut commencer à surprendre, et ne cesse de le faire qu’à sa dernière page.
Ce livre pourrait être intitulé “voyage au coeur de la révolution patrimoniale”. A travers d’anecdotes, d’histoires réelles, l’auteur nous montre les conséquences sur l’économie et la société de la récente prise de pouvoir des actionnaires, que ce soit par l’accroissement de la pratique de l’actionnariat individuel ou le rôle des fonds de placement divers (fonds de pension mais aussi tous les organismes de placement collectif). Les anecdotes en elles mêmes sont étonnantes. Le professeur coréen qui ferraille en pleine réunion d’actionnaires contre la corruption des dirigeants, des actionnaires qui imposent à une entreprise pétrolière de respecter l’environnement et les droits de l’homme, des syndicats qui par le biais du fonds de pension d’une entreprise lui dictent son fonctionnement… On est gagné par l’enthousiasme de l’auteur lorsqu’il décrit un nouveau système économique dans lequel les dirigeants d’entreprise ne peuvent plus agir en complète impunité, mais sont redevables devant la collectivité de leurs actes, de façon plus efficace que par l’action étatique victime, surtout en France, des liens incestueux entre pouvoir politique et pouvoir économique. Le message de l’auteur est simple : les entreprises ont besoin des actionnaires pour lever des fonds. Or, ce faisant, elles donnent à ceux-ci la possibilité d’influer considérablement sur leur fonctionnement, ouvrant ainsi la voie à un contrôle citoyen sur le capitalisme. Contrôle citoyen qui a déjà commencé à s’exercer. Ce que l’on pourrait reprocher à ce point de vue, c’est l’idée selon laquelle la pression exercée par les actionnaires est loin d’aller toujours dans le bon sens. Ne pousse t’elle pas les entreprises à agir à court terme, ne place t’elle pas les salariés détenteurs d’action dans une situation schizophrène, leur intérêt d’actionnaire étant opposé à leur intérêt de salarié ? L’auteur ne méconnaît pas ces problèmes, mais il le rappelle lors de la conclusion : “le capitalisme actionnarial met entre nos mains le plus puissante arme jamais conçue au service de l’amélioration de la condition humaine- à condition que nous ne la retournions pas contre nous. qui paie commande. Qui paie et veut le bien public peut faire advenir celui-ci. Mais le voulons-nous vraiment? Actionnaires de tous les pays, unissez-vous!”.
Une autre critique pourrait porter sur la répartition de ce nouveau pouvoir : en effet, la “démocratie des actionnaires” fonctionne selon le suffrage censitaire (plus l’on paie, plus l’on a de poids) contrairement à la démocratie représentative fondée sur le suffrage universel. On peut remarquer cependant que les fortunes individuelles, même conséquentes, ne font pas le poids face aux OPCVM regroupant les actifs de milliers de petits épargnants. Le fonds de pension le plus puissant du monde n’est-il pas Calpers, fonds de pension des retraités de la fonction publique californienne? Par ailleurs, l’auteur propose une solution audacieuse visant à généraliser l’actionnariat : le remplacement des allocations diverses et du RMI par un Revenu Minimum Universel de 2000F par mois, versé quoi qu’il arrive à chaque individu et cumulable avec les autres revenus. Au lieu de financer ce RMU par le budget de l’Etat ou des organismes sociaux, il suffirait de constituer à chaque naissance d’une personne un fonds en actions, alimenté par l’Etat jusqu’à ce que la personne atteigne l’âge de 25 ans. Les intérêts issus de ce fonds serviraient alors à verser le RMU. Cette solution d’un coût acceptable, chiffré dans les ouvrages précédents de l’auteur, permettrait à chacun de disposer d’un poids économique en tant qu’actionnaire.
On peut partager l’enthousiasme de l’auteur, on peut également le critiquer. Il n’en reste pas moins que ce livre présente la première description concrète d’un monde qui est en train d’apparaître, celui du capitalisme patrimonial. Et que ce changement est en cours, et irréversible. Le message de l’auteur, c’est de dire que plutôt que se lamenter face à cette évolution, il vaut mieux la comprendre et chercher à l’utiliser en vue de l’amélioration de la condition humaine. Ce message change agréablement d’un message habituel consistant à ne regarder cette évolution du capitalisme avec les lunettes des temps passés. Plutôt que se plaindre de la dictature des actionnaires, pourquoi les citoyens n’utiliseraient-ils pas le pouvoir que cette évolution leur confère ?
Ce livre pourrait être intitulé “voyage au coeur de la révolution patrimoniale”. A travers d’anecdotes, d’histoires réelles, l’auteur nous montre les conséquences sur l’économie et la société de la récente prise de pouvoir des actionnaires, que ce soit par l’accroissement de la pratique de l’actionnariat individuel ou le rôle des fonds de placement divers (fonds de pension mais aussi tous les organismes de placement collectif). Les anecdotes en elles mêmes sont étonnantes. Le professeur coréen qui ferraille en pleine réunion d’actionnaires contre la corruption des dirigeants, des actionnaires qui imposent à une entreprise pétrolière de respecter l’environnement et les droits de l’homme, des syndicats qui par le biais du fonds de pension d’une entreprise lui dictent son fonctionnement… On est gagné par l’enthousiasme de l’auteur lorsqu’il décrit un nouveau système économique dans lequel les dirigeants d’entreprise ne peuvent plus agir en complète impunité, mais sont redevables devant la collectivité de leurs actes, de façon plus efficace que par l’action étatique victime, surtout en France, des liens incestueux entre pouvoir politique et pouvoir économique. Le message de l’auteur est simple : les entreprises ont besoin des actionnaires pour lever des fonds. Or, ce faisant, elles donnent à ceux-ci la possibilité d’influer considérablement sur leur fonctionnement, ouvrant ainsi la voie à un contrôle citoyen sur le capitalisme. Contrôle citoyen qui a déjà commencé à s’exercer. Ce que l’on pourrait reprocher à ce point de vue, c’est l’idée selon laquelle la pression exercée par les actionnaires est loin d’aller toujours dans le bon sens. Ne pousse t’elle pas les entreprises à agir à court terme, ne place t’elle pas les salariés détenteurs d’action dans une situation schizophrène, leur intérêt d’actionnaire étant opposé à leur intérêt de salarié ? L’auteur ne méconnaît pas ces problèmes, mais il le rappelle lors de la conclusion : “le capitalisme actionnarial met entre nos mains le plus puissante arme jamais conçue au service de l’amélioration de la condition humaine- à condition que nous ne la retournions pas contre nous. qui paie commande. Qui paie et veut le bien public peut faire advenir celui-ci. Mais le voulons-nous vraiment? Actionnaires de tous les pays, unissez-vous!”.
Une autre critique pourrait porter sur la répartition de ce nouveau pouvoir : en effet, la “démocratie des actionnaires” fonctionne selon le suffrage censitaire (plus l’on paie, plus l’on a de poids) contrairement à la démocratie représentative fondée sur le suffrage universel. On peut remarquer cependant que les fortunes individuelles, même conséquentes, ne font pas le poids face aux OPCVM regroupant les actifs de milliers de petits épargnants. Le fonds de pension le plus puissant du monde n’est-il pas Calpers, fonds de pension des retraités de la fonction publique californienne? Par ailleurs, l’auteur propose une solution audacieuse visant à généraliser l’actionnariat : le remplacement des allocations diverses et du RMI par un Revenu Minimum Universel de 2000F par mois, versé quoi qu’il arrive à chaque individu et cumulable avec les autres revenus. Au lieu de financer ce RMU par le budget de l’Etat ou des organismes sociaux, il suffirait de constituer à chaque naissance d’une personne un fonds en actions, alimenté par l’Etat jusqu’à ce que la personne atteigne l’âge de 25 ans. Les intérêts issus de ce fonds serviraient alors à verser le RMU. Cette solution d’un coût acceptable, chiffré dans les ouvrages précédents de l’auteur, permettrait à chacun de disposer d’un poids économique en tant qu’actionnaire.
On peut partager l’enthousiasme de l’auteur, on peut également le critiquer. Il n’en reste pas moins que ce livre présente la première description concrète d’un monde qui est en train d’apparaître, celui du capitalisme patrimonial. Et que ce changement est en cours, et irréversible. Le message de l’auteur, c’est de dire que plutôt que se lamenter face à cette évolution, il vaut mieux la comprendre et chercher à l’utiliser en vue de l’amélioration de la condition humaine. Ce message change agréablement d’un message habituel consistant à ne regarder cette évolution du capitalisme avec les lunettes des temps passés. Plutôt que se plaindre de la dictature des actionnaires, pourquoi les citoyens n’utiliseraient-ils pas le pouvoir que cette évolution leur confère ?
▲ Phillipe Manière, Marx à la corbeille. , Stock, 1999 (Epuisé – 0 €)