La bourse ou la vie
P. Labarde & B. Maris (2000) ▼
Oncle Bernard (le nom de plume de Bernard Maris dans Charlie Hebdo) revient avec un nouveau livre, écrit avec un pote à lui, Phillipe Labarde (journaliste). Cest toujours risqué dacheter ce genre de livre. Entre la polémique et la réflexion, léquilibre est fragile. Jai tenté le coup. Je nen suis pas déçu. Louvrage se propose de montrer en quoi, dans les mutations récentes du salariat, le discours commun qui les accompagne, visant à les légitimer, relève de la manipulation.
La nouvelle économie serait la fin du travail tel quon le connaissait, affranchi des rythmes asservissant, la fin des carcans de modes de production rigides archaïques. Ce serait lavènement de la réalisation réelle des compétences, la récompense individuelle des efforts où, la croissance infinie promise par les nouvelles technologies donnerait sa place à presque chacun dans la production et ouvrirait la voie de la consommation immatérielle, intellectuelle, de services, de loisirs, de culture. Ce serait lère de la juste démocratie économique. Celle où chacun pianotant sur son clavier, deviendrait un intervenant heureux et enrichi du marché boursier. Celle où participer à une entreprise offrirait, stock-options obligent, la possibilité de profiter de la prospérité de sa boîte. Celle enfin, où les entreprises florissant, on pourrait les utiliser, toujours grâce à la productivité du capital financier, pour sortir des difficultés du système de retraites actuel, en remplaçant la vieille et stérile répartition par la jeune et dynamique capitalisation. “Tous actionnaires et tout ira bien”.Toutes ces affirmations, Labarde & Maris les démontent une à une.
La fin du travail? Quand les ouvriers quittent lusine pour les services à faible productivité (donc faible salaire), évoluant de CDD en contrats dintérim, quand les cadres vivent un téléphone portable (payé par la boîte) greffé à loreille (gauche ou droite, ça dépend), un ordinateur portable scotché sur les genoux (là, cest les deux, sauf si cest un Palm ou un Psion), quand les rythmes de travail sont flexibilisés, annualisés, recomposés, il paraît difficile de parler de fin du travail. Face à limbrication croissante des temps de travail et des temps de loisirs, il serait plus opportun, selon le mot des auteurs, de parler de “travail sans fin”.
Travail sans fin? Mais où est donc alors le temps promis pour ses heures de culture universelle offerte pour presque rien sur Internet? Télécharger lintégrale de Bach en MP3 pendant que lon achète du Camus chez un libraire en ligne , cest bien, mais si on na pas le temps de lire ou découter de la musique, ben
Tous des actionnairesheureux ? Dune part, lorsque les entreprises transfèrent une partie des rémunérations des salariés sur un paiement en actions, lentreprise fait participer le salarié aux risques quelles supportent, en flexibilisant sa rémunération. Une stock-option, cest quoi au juste? La possibilité éventuelle de gagner gros si lévolution de laction est favorable. Celle de ne rien gagner (mais de ne rien perdre) si les choses ne se passent pas aussi bien. La seule certitude là, cest de payer moins dimpôts. Mais alors, comment financer le budget de lEtat? Bon, ok, ne soyons pas vulgaires, réactionnaires et archaïques. Etre actionnaire de sa propre entreprise, cest dautre part la possibilité de peser sur sa gestion. Labarde & Maris répondent quen premier lieu, cest rendre le salarié schizophrène: “Dois-je créer de la valeur en me licenciant, pour valoriser mon portefeuille dactions? Ou dois-je lutter contre les plans sociaux pour sauver mon salaire, en acceptant alors de réduire la rentabilité de mes actifs?”. En second lieu, cest, au moins à ce jour, un vulgaire miroir aux alouettes. Quelle est la valeur décisionnelle de mes dix actions, dans un capital qui en compte des milliers? Vide la démocratie boursière, cest “un dollar, une voix”, pas “un homme, une voix”. Or, la participation des salariés dans le capital de leurs entreprises est encore ridiculement faible. De plus, les quelques actions en question se partagent pour lessentiel entre quelques cadres du haut de lorganigramme. Et il est fort probable que cela ne changera pas.
La capitalisation, donc la bourse, sauvera-t-elle la répartition? Rien de moins sûr, les explications sérieuses à ce sujet, distinguant les avantages et inconvénients respectifs des deux systèmes et concluant quil ny a pas de miracles en la matière, sont maintenant connues.
Quel est lintérêt de ce livre? Cest un exposé des thèmes liés à la nouvelle économie. Cest une approche critique, qui sappuie tout simplement sur la théorie économique standard. Cest drôle et vraiment facile à lire.
Que lui reprocher? De défendre des valeurs, des fins pour la société, qui ne sont pas toujours clairement explicitées, même si on devine que cest lhumanisme qui est en question. Mais lhumanisme, cest si large De considérer que le monde devrait être tel que les auteurs le pensent (ce qui est évidemment un argument que je pourrais faire valoir concernant les gens auxquels ils sattaquent). De condamner le capitalisme au nom de sa logique marchande, sans réellement proposer de système alternatif, ou même daménagements concrets. De condamner en bloc tout ce qui est dans la nouvelle économie. En effet, on peut par exemple se poser des questions sur lévolution de lInternet. Lorsquil était totalement gratuit, qui en profitait? Une minorité. Avec quel contenu? Mineur. On peut trouver déplorable la marchandisation qui en est faite et, autant que possible, lutter contre (par exemple, pensez à nettoyer vos fichiers “cookies” de temps en temps Ceux qui ne savent pas comment faire peuvent mécrire). Si on peut sinquiéter du contrôle croissant dont fait lobjet linternaute moyen de la part des entreprises et, parallèlement, des gouvernements, on ne peut faire, à mon sens, léconomie dune analyse de la corrélation existant entre le développement du réseau et lintervention croissante de la sphère marchande en son sein. Ce qui est loin dêtre fait par les auteurs.
Mais il reste que, parce que Maris est un vrai économiste, certes tiraillé entre ses convictions politiques et sa formation scientifique, ce quil a à dire sur léconomie est toujours à lire (à propos de Labarde, je ne peux rien dire, ne le connaissant pas assez ).
Une autre fiche sur le livre
La nouvelle économie serait la fin du travail tel quon le connaissait, affranchi des rythmes asservissant, la fin des carcans de modes de production rigides archaïques. Ce serait lavènement de la réalisation réelle des compétences, la récompense individuelle des efforts où, la croissance infinie promise par les nouvelles technologies donnerait sa place à presque chacun dans la production et ouvrirait la voie de la consommation immatérielle, intellectuelle, de services, de loisirs, de culture. Ce serait lère de la juste démocratie économique. Celle où chacun pianotant sur son clavier, deviendrait un intervenant heureux et enrichi du marché boursier. Celle où participer à une entreprise offrirait, stock-options obligent, la possibilité de profiter de la prospérité de sa boîte. Celle enfin, où les entreprises florissant, on pourrait les utiliser, toujours grâce à la productivité du capital financier, pour sortir des difficultés du système de retraites actuel, en remplaçant la vieille et stérile répartition par la jeune et dynamique capitalisation. “Tous actionnaires et tout ira bien”.Toutes ces affirmations, Labarde & Maris les démontent une à une.
La fin du travail? Quand les ouvriers quittent lusine pour les services à faible productivité (donc faible salaire), évoluant de CDD en contrats dintérim, quand les cadres vivent un téléphone portable (payé par la boîte) greffé à loreille (gauche ou droite, ça dépend), un ordinateur portable scotché sur les genoux (là, cest les deux, sauf si cest un Palm ou un Psion), quand les rythmes de travail sont flexibilisés, annualisés, recomposés, il paraît difficile de parler de fin du travail. Face à limbrication croissante des temps de travail et des temps de loisirs, il serait plus opportun, selon le mot des auteurs, de parler de “travail sans fin”.
Travail sans fin? Mais où est donc alors le temps promis pour ses heures de culture universelle offerte pour presque rien sur Internet? Télécharger lintégrale de Bach en MP3 pendant que lon achète du Camus chez un libraire en ligne , cest bien, mais si on na pas le temps de lire ou découter de la musique, ben
Tous des actionnairesheureux ? Dune part, lorsque les entreprises transfèrent une partie des rémunérations des salariés sur un paiement en actions, lentreprise fait participer le salarié aux risques quelles supportent, en flexibilisant sa rémunération. Une stock-option, cest quoi au juste? La possibilité éventuelle de gagner gros si lévolution de laction est favorable. Celle de ne rien gagner (mais de ne rien perdre) si les choses ne se passent pas aussi bien. La seule certitude là, cest de payer moins dimpôts. Mais alors, comment financer le budget de lEtat? Bon, ok, ne soyons pas vulgaires, réactionnaires et archaïques. Etre actionnaire de sa propre entreprise, cest dautre part la possibilité de peser sur sa gestion. Labarde & Maris répondent quen premier lieu, cest rendre le salarié schizophrène: “Dois-je créer de la valeur en me licenciant, pour valoriser mon portefeuille dactions? Ou dois-je lutter contre les plans sociaux pour sauver mon salaire, en acceptant alors de réduire la rentabilité de mes actifs?”. En second lieu, cest, au moins à ce jour, un vulgaire miroir aux alouettes. Quelle est la valeur décisionnelle de mes dix actions, dans un capital qui en compte des milliers? Vide la démocratie boursière, cest “un dollar, une voix”, pas “un homme, une voix”. Or, la participation des salariés dans le capital de leurs entreprises est encore ridiculement faible. De plus, les quelques actions en question se partagent pour lessentiel entre quelques cadres du haut de lorganigramme. Et il est fort probable que cela ne changera pas.
La capitalisation, donc la bourse, sauvera-t-elle la répartition? Rien de moins sûr, les explications sérieuses à ce sujet, distinguant les avantages et inconvénients respectifs des deux systèmes et concluant quil ny a pas de miracles en la matière, sont maintenant connues.
Quel est lintérêt de ce livre? Cest un exposé des thèmes liés à la nouvelle économie. Cest une approche critique, qui sappuie tout simplement sur la théorie économique standard. Cest drôle et vraiment facile à lire.
Que lui reprocher? De défendre des valeurs, des fins pour la société, qui ne sont pas toujours clairement explicitées, même si on devine que cest lhumanisme qui est en question. Mais lhumanisme, cest si large De considérer que le monde devrait être tel que les auteurs le pensent (ce qui est évidemment un argument que je pourrais faire valoir concernant les gens auxquels ils sattaquent). De condamner le capitalisme au nom de sa logique marchande, sans réellement proposer de système alternatif, ou même daménagements concrets. De condamner en bloc tout ce qui est dans la nouvelle économie. En effet, on peut par exemple se poser des questions sur lévolution de lInternet. Lorsquil était totalement gratuit, qui en profitait? Une minorité. Avec quel contenu? Mineur. On peut trouver déplorable la marchandisation qui en est faite et, autant que possible, lutter contre (par exemple, pensez à nettoyer vos fichiers “cookies” de temps en temps Ceux qui ne savent pas comment faire peuvent mécrire). Si on peut sinquiéter du contrôle croissant dont fait lobjet linternaute moyen de la part des entreprises et, parallèlement, des gouvernements, on ne peut faire, à mon sens, léconomie dune analyse de la corrélation existant entre le développement du réseau et lintervention croissante de la sphère marchande en son sein. Ce qui est loin dêtre fait par les auteurs.
Mais il reste que, parce que Maris est un vrai économiste, certes tiraillé entre ses convictions politiques et sa formation scientifique, ce quil a à dire sur léconomie est toujours à lire (à propos de Labarde, je ne peux rien dire, ne le connaissant pas assez ).
Une autre fiche sur le livre
▲ P. Labarde & B. Maris, La bourse ou la vie. , Albin Michel, 2000 (12,92 €)