Pour un nouveau système de retraite
Antoine Bozio & Thomas Piketty (2008) ▼
Un nouveau système de retraite ? Bigre, en voilà un programme. Certes, les ouvrages appelant à la nouveauté de quelque chose ne manquent pas (du capitalisme, de Bretton Woods, du New Deal, etc.). Mais quand deux économistes dont le sérieux est assuré partent sur ce chemin, on observe avec curiosité. En réalité, on comprend vite que la nouveauté est toute relative, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Les inventions en économie n’existent pas et les auteurs ne nous invitent pas à un repas gratuit (qui n’existe pas non plus), mais plutôt à méditer sur une nouvelle façon de partager l’addition. Car le problème des retraites est un problème sans solution. Du moins, dans un sens précis. Dans la mesure où le nombre de retraités augmentera fortement relativement au nombre d’actifs dans les 40 ans à venir, compte tenu du fait que la croissance ne devrait pas dépasser les 2 ou 3% en moyenne sur la même période, que l’immigration devrait être incroyablement élevée pour compenser ces deux premiers points, une triste réalité s’impose : la part des ressources prélevées sur l’économie pour financer les retraites augmentera sensiblement dans le futur, que l’on opte pour un système par répartition ou par capitalisation ne changeant rien à la donne. Le mérite de l’ouvrage de Bozio et Piketty est de proposer un moyen de s’accomoder au mieux de cet état de fait.
Si l’on devait ne retenir qu’une seule idée du livre, ce serait que le système actuel souffre d’une opacité qui le menace plus sournoisement encore que ses réelles difficultés. Cette ilisibilité est causée par une complexité qui n’a rien d’indispensable. Calculer ses droits à la retraite est un véritable casse-tête, en raison de l’absence d’unification des régimes. Celle-ci implique des droits différents en fonction des emplois occupés (et du régime dont ils dépendent) non seulement d’un individu à un autre, mais également pour le même individu s’il a connu une mobilité professionnelle le faisant passer d’un régime à un autre. La question des réégimes spéciaux, qui n’est pas la seule concernée, conduit par exemple à une situation où “quelles qu’aient été les justifications initiales de ces mesures compensatoires catégorielles, qui existent aussi bien dans le cadre des régimes dits ‘spéciaux’ qu’au sein des régimes de droit commun, leur multiplication et leur inertie dans le temps conduisent à un système ou chacun suspecte les autres de mieux tirer parti des avantages en vigueur.”.
L’incertitude sur les droits et leurs modalités de constitution a un coût subjectif en termes de stress et d’insécurioté ressentie. Ellle est également pénalisante en termes de mobilité profesisonnelle (qui devient risquée, presque par définition) et l’incertitude sur le système globale conduit à une épargne de précaution souvent hasardeuse. Bozio et Piketty propose donc de remettre complètement à plat ce système en le remplaçant par un système unifié fondé sur des comptes individuels de cotisation.
Le principe de ces comptes est de cumuler des cotisations sur un compte individuel géré par l’assurance vieillesse. Les contributions bénéficient chaque année d’un rendement assuré par l’Etat. A la retraite, les droits accumulés sont convertis en rente, avec une prise en compte de l’espérance de vie de sa génération et du choix de revalorisation des pensions.
Les auteurs définissent donc comme paramètres spécifiques du système proposés le taux de cotisations, le taux de rendement garanti et les conditions de liquidation (paramètres qui recoupent les classiques taux de cotisation – niveau des pensions – durée de cotisation). Le taux de cotisation proposé serait de 25% du brut environ. Il est pris comme donné pour fixer les idées mais pourrait être modifié tant collectivement qu’individuellement (pour ceux qui veulent cotiser plus). Néanmoins, les auteurs considèrent qu’il n’est guère pensable de descendre en dessous (à noter : il correspond grosso modo à l’actuel taux). Il seraitidentique pour tous (privé et public).
Les éléments non contributifs du système (minimum vieillesse) seraient, toujours dans un souci de clarté, totalement séparés, hors assurance vieillesse. Antoine Bozio et Thomas Piketty y voit alors,au surplus, une façon d’améliorer la compréhension du fonctionnement global du système de protection sociale.
La réforme ne résout pas tous les problèmes. Comme indiqué en introduction de cette note, fondamentalement, le problème des retraites est sans solution. La réforme ne règle ainsi pas les questions d’emploi, quoique les auteurs y voient un moyen de faire des choix d’offre de travail plus judicieux tout au long de la vie. La question de la santé au travail n’est pas non plus du ressort du système de retraite. Pire, de l’aveu même des auteurs, le système de compensationbasé sur l’espérance de vie est une incitation potentielle à la négliger.
Comme toute réforme, celle-ci pose l’épineux problème de la transition entre les deux systèmes. La mise en place des nouvelles règles se traduira par la cohabitation entre des générations ayant démarré leur carrière dans l’ancien système et des générations n’ayant connu que le nouveau. Nous n’entrerons pas dans le détail du dispositif. Les auteurs considèrent qu’il est possible d’aménager une transition du système qui soit cohérente avec l’esprit de la réforme, sur vingt ans. Le message d’ensemble, aussi bien sur la question des institutions à mettre en place, de l’articulation avec les dépenses publiques ou des cas particuliers (celui des fonctionnaires notamment, qui se verraient pénalisés à rémunération constante dans le nouveau système) est que si la viabilité à long terme du système est reconnue, des solutions pragmatiques d’un point de vue politique, institutionnel et social pourront émerger. Sur ce point, si Bozio et Piketty formulent des pistes, ils estiment qu’on ne peut à ce jour formuler un one best way hors d’une discussion démocratique.
Le taux de rendement garanti par l’Etat serait pour sa part fixé au taux de croissance de la masse salariale, garantissant ainsi la solvabilité du régime à long terme ainsi qu’une bonne lisibilité pour les cotisants, ce qui en régime normal (horsd transition), assure en tout point l’équilibre du système, puisque les cotisations sont assises sur les salaires.
Dernier paramètre, les conditions de liquidation des droits. Les pensions versées dépendent positivement de la durée de cotisation et négativement de l’espérance de vie de la génération du retraité. En matière d’âge de départ à la retraite, Bozio et Piketty cconsidèrent qu’il faut interdire les départs avant 60 ans pour prendre en compte l’incohérence des décisions d’épargne à long terme. A l’intérieur de ce cadre, ils proposent de laisser des libertés quant à la forme que prendrait la liquidation (reprise d’activité partielle ou complète, par exemple).
Le système serait favorable aux salariésdéfavorisés dont les droits suite à une longue carrière sont toujours réduits par les règles de calcul en vigueur. Du côté des espérances de vie, la prise en compte des inégalités par l’ajustement des pensions est préconisé par les auteurs, qui reconnaissent que la définition des catégories pertinentes ne sera pas simple. Enfin, la prise en comptes des meilleures années de carrière favorise les profils de progression salariale croissants au détriment des profils à évolution plus plate. Le nouveau système mettrait fin à cela et améliorerait notablement le taux de remplacement des bas revenus puisque l’ensemble de la carrière est prise en compte, avec revalorisation des pensions selon l’évolution de la masse salariale.
Pour un nouveau système de retraite est un texte bluffant. Pas sur la forme, qui est assez austère (en même temps, les systèmes de retraites, c’est assez peu fun, il faut bien le reconnaître). Mais sur le fond, les idées développées sont simples, les propositions macroéconomiquement soutenables et il offre un cadre général de réflexion qui laisse une place de choix à la délibération démocratique. De ce point de vue, il constitue un texte d’économie politique remarquable. Sa capacité à s’adapter à des règles de justice sociale diverses est un atout. Certes, au coeur du système proposé, on est clairement dans un paradigme égalitariste (le terme étant pris dans son acception philosophique, pas dans sa dimension café du commerce), ce qui ne conviendra pas forcément à tout le monde. Mais on peut penser que sa proximité avec une démarche rawlsienne conduira unemajorité à le considérer comme tout à fait acceptable (quoique je m’interroge sur la possibilité de simuler au moment de la réforme un choix derrièreun voile d’ignorance, situation qui me semble indispensable). Techniquement, une fois certaines règles fixées, il se distingue par sa capacité à entretenir la viabilité du système à long terme, même si certains points demandent à être reévalué (c’est le cas des hypothèses sur le taux decroissance et l’évolution démographique, point que les auteurs relèvent eux-mêmes). Ce qui, c’est une trivialité, donne au choix politique le rôle essentiel. Le paradoxe est que, justement, l’analyse économique de ce choix est laissée de côté. On peut supposer que les auteurs, qui s’effacent systématiquement derrière le choix démocratique sur les points potentiellement litigieux, n’ont pas souhaité parasiter le message général ou, plus simplement, qu’ils n’en sont pas à ce stade de la réflexion dans leurs travaux. La modélisation est sommaire et, il n’est pas question d’en douter, un certain nombre d’écueils plus ou moins rhédibitoires apparîtraient en poussant l’analyse dans les détails techniques et juridiques. Mais… à chacun son métier. Le travail d’économiste d’Antoine Bozio et Thomas Piketty est propre et dépasse la modélisation pour s’inviter dans le débat public de façon accessible (le livre me fait penser de ce point de vue à celui de Delpla et Wyplosz). En définitive, quand on achève l’ouvrage, on a le sentiment que sur la question des retraites, l’avenir est ouvert. C’est une sensation inhabituelle et, que les idées contenues dans cet ouvrage connaissent ou non un glorieux destin, il n’aura pas été écrit pour rien si d’autres s’emparent de la méthode.
Outre sa version papier, le livre est disponible gratuitement sur le site du CEPREMAP.
▲ Antoine Bozio & Thomas Piketty, Pour un nouveau système de retraite. Des comptes individuels de cotisations financés par répartition, Editions de la Rue d’Ulm, 2008 (7 €)