Comment nous avons ruiné nos enfants
Patrick Artus & Marie-Paule Virard (2008) ▼
Il y a deux façons de percevoir le livre. La première, c’est de considérer encore une fois que Patrick Artus et Marie-Paule Virard sont de sacrés filous. Leur livre défend une idée simple : la génération du baby boom a pris la croissance, l’a consommée et n’a rien fait pour permettre qu’elle se regénère. Ce sont les générations suivantes, les baby losers, qui en souffriront. La première entourloupe du livre, c’est que de cette idée de responsabilité des anciens, on passe à une description point par point des soucis du temps actuel, sans qu’on ne perçoive systématquement en quoi les parents ont creusé la tombe financière des enfants (ainsi en va-t-il de la hausse du prix du pétrole pourne citer que cet aspect). Le titre de l’ouvrage devient peu parlant, quand on constate qu’il ne porte finalement que sur les grands problèmes de l’économie française (et,siça se trouve, les auteurs n’y sont pour rien, le marketing a ses codes). Ce qui n’est pas un mal en soi, mais est tout de suite moins ciblé. Certes, il y a bien des chapitres dont le thème central peut rendre le titre cohérent (l’éducation et les retraites, par exemple). Mais l’avalanche attendue de flagellation des vieux est finalement limitée. On a un peu le sentiment par moment de lire un des précédents livres des auteurs, revu et corrigé. La seconde entourloupe, la plus énorme et la moins visible, est strictement la même que dans La France peut se ressaisir. Elle consiste à commencer par faire un constat dramatique de la situation française, sur la base de grilles de lecture populaires et souvent erronées économiquement parlant. Puis, au moment de faire des propositions, le miracle arrive : elles sont bonnes, mais pas parce qu’elles répondent aux problèmes censés les justifier ! Non, elles répondent à d’autres problèmes, tenus plus ou moins sous silence. J’avais écrit exactement la même chose du précédent ouvrage. Etrange sensation…
Même dans cette perspective, on a de quoi être déçu du contenu informationnel. Question de point de vue, peut-être. Des lecteurs peuvent peut-être y trouver des connaissances. Mais est-il vraiment utile de répéter encore que l’économie de la connaissance appelle un effort tout particulier en direction de l’investissement en capital humain ? Qui ne sait pas que l’Etat doit se réformer ? A décharge, l’édition de poche est de 2008, quand celle originale est de 2006. Peut-être qu’il y a deux ans de cela j’aurais ressenti les choses différemment.
La seconde lecture qu’on est tenté de faire du livre est plus radicale encore. C’est une accumulation de lieux désormais communs, pas toujours bien expliqués à mon sens, si le lectorat cible est le grand public. La question de la place disponible exonèrera pour partie les auteurs, mais on est surpris que certains concepts ne soient pas plus développés. L’ouvrage n’est pas dénué d’un jargon non décrypté (bon, éconoclaste ne leur jettera pas trop la pierre sur ce point !). Le problème des analyses contestables demeure cependant (ah, la question de la compétitivité…). Les solutions données pour sortit du marasme sont pour le moins laconiques, restant à un degré de généralité qui ne satisfait pas le lecteur. L’ouvrage n’est pas exempt d’une certaine naïveté quand il vante les mérites du modèle scandinave, dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’il plaît à tout le monde, mais n’a toujours pas livré les clés de son émulation dans une France latine et morcelée. Naïveté ou légèreté encore quand il s’agirait d’expliquer la réforme de l’Etat aux français pour qu’ils l’acceptent. Bonne intention, convenons-en. Indispensable, en fait. Mais on fait comment ? A la différence de déclinistes usuels, qui se contentent de regretter le caractère irréformable du pays, les auteurs affirment que les changements sont possibles. C’est mieux, mais cela reste probablement insuffisant. Il faut une “rupture”. On doit se réveiller, sans quoi, c’est la crise de 1929 qui nous guette, tant les déséquilibres financiers internationaux sont majeurs. La comparaison est certes modérée par les auteurs eux-mêmes, qui précisent qu’elle ne doit pas être exagérée. Certes encore, elle ne repose pas sur du vide, quant à la configuration évoquée. N’empêche… A l’heure de la nationalisation temporaire de la Northern Rock en Grande Bretagne, des mesures de soutien à la liquidité prises par la FED, dans une configuration des interactions économiques mondiales inédite (que Artus et Virard ne manquent pas de mentionner ailleurs), on se demande si l’analogie a vraiment un sens relevant d’autre chose que de l’exercice de style. Pris dans la série de cataclysmes que recense le livre, ça fout les jetons. Sans compter que le clash des matières premières ne tardera pas à pointer son nez (quand ? on ne sait pas).
On sort de la lecture de cet ouvrage quelque peu sceptique. Faire la part des choses implique, en définitive, de noter que de nombreux thèmes sont abordés , dans une présentation résolument synthétique. Un point de vue est donné, plus que martelé, même si les sujets abordés le rendent quelque peu lancinant sur la forme. On est à mi-chemin entre de la bonne économie et de la pop économie. On apprécie les passages où des choses importantes son exposées avec simplicité. Education, recherche, financement des PME, redistribution ou réforme de l’Etat ne dépendent pas de la mondialisation ou de l’Union Européenne. Elles relèvent de politiques nationales. Surtout, mettre l’accent sur cet aspect, c’est rappeler (implicitement, hélas) que la productivité compte plus que la compétitivité. Des entreprises compétitives ne sont pas utiles parce qu’elles génèrent des excédents commerciaux, mais parce qu’elles sont capables de contribuer aux gains de productivité. Lalongue litanie sur la spécialisation défaillante de la France (ou de l’Espagne et de laGrande Bretagne) n’ont de sens que dans cette lecture. Entre le mercantilisme et la compréhension des mécanismes de la prospérité, la différence peut être ténue. On peut regretter que l’ouvrage ne soit pas plus clair sur ce sujet.
Ce livre, je l’ai dit, a été honoré en 2006 du prix des lecteurs du livre d’économie du Sénat. Il ne peut donc pas être si mauvais que cela, non ? Effectivement, mauvais n’est pas le terme que j’emploierais. Il est à mettre dans la série des ouvrages qu’on peut lire rapidement, mais sans s’y attarder outre mesure. Ajoutons qu’en version poche, l’investissement n’est pas très risqué. En fin de compte, je m’interroge plus sur la boulimie d’écriture de l’équipe Artus-Virard, qui publie vraiment beaucoup, sur des sujets très proches. Peut-on attendre la perfection d’une telle effervescence ? Essayiste est une activité compliquée.
Note : l’ouvrage n’est visiblement pas encore sorti dans le commerce au format de poche à l’heure où cette chronique est publiée.
▲ Patrick Artus & Marie-Paule Virard, Comment nous avons ruiné nos enfants. , La découverte, 2008 (7 €)