Croissance, emploi et développement
J-P. Deléage, B.Gazier et alii (2007) ▼
Le premier texte est de Dominique Guellec, qui a déjà commis plusieurs éditions de l’ouvrage très formateur “Les nouvelles théories de la croissance“, co-écrit avec Pierre Ralle. Il est consacré, sans surprise, à la croissance et à l’innovation. En une douzaine de pages, Guellec explique la logique de l’accumulation des facteurs, le rôle du progrès technique et la place de l’Etat dans le développement de l’innovation. Un peu succinct pour faire le tour de la question, me direz-vous ? Absolument. Mais le texte est intelligemment construit. Sa lecture finie, on comprend la démarche de l’ouvrage : pédagogie et introduction basique à l’étude de questions d’actualité.
Le second texte concerne l’investissement. Il est l’oeuvre du regrétté Jean-Paul Piriou, grand pédagogue qui nous a quitté trop tôt (le texte a été actualisé par Pascal Combale). Que dire dessus, à part que c’est un modèle de présentation des déterminants de l’investissement ? Facile à comprendre, bien documenté, varié, c’est un document dont je suivrais le plan à la lettre si je devais faire un cours sur l’investissement, de la 1ère à bac +3. L’idée de donner une parole posthume à Piriou était excellente (Piriou qui, comme cela a dû être le cas pour d’autres, a failli me faire aimer la comptabilité nationale, avec son repère sur le sujet…. Bon, disons que sans lui, je l’aurais probablement détestée).
Le texte suivant, de Bernard Gazier offre un panorama des évolutions du monde du travail, avec en guise de dialectique la confrontation entre rationalisation et conflits au travail. La perspective puise dans l’histoire économique et de la pensée économique, les théories du management et la sociologie du travail. De Smith à Mintzberg, en passant par Ford, l’ensemble donne des pages très agréables à lire. Très instructif pour ceux qui veulent prendre un peu de recul sur une question qui touchent les trois derniers siècles.
Le chapitre 3 porte lui aussi sur l’emploi, sur le chômage plus précisément, mais dans une perspective un peu plus technique. Il est écrit par deux chercheurs dotés de capacités de vulgarisation déjà illustrées ailleurs, Jérôme Gautié et Yannick L’Horty (dont un livre consacré aux nouvelles politiques de l’emploi a été chroniqué sur ce site). Le résultat est un tour d’horizon exemplaire, où l’on dispose d’éléments de définition et d’analyse concernant la mécanique du marché du travail, les questions de salaire minimum, de protection de l’emploi ou de descriiption des différentes politiques de l’emploi. Le tout avec une approche déclinant le macro, le meso et le micro. Bref, très bien.
Le dernier chapitre est rédigé par Jean-Paul Deléage, historien des sciences et de l’environnement. Il porte sur la notion de développement soutenable. Son texte, bien plus orienté que les autres est convaincant. Quand je dis convaincant et orienté, il ne faut pas s’y tromper. Il est orienté, car dans un registre normatif. Convaincant, car il balaie et critique les options et analyses sans jamais s’enfermer dans aucune d’elles. Si on voulait le résumer, on dirait que la question du développement durable est politique avant d’être économique ; que la notion même de développement durable se heurte donc à des difficultés qui dépasse la simple réflexion économique ; que choisir entre l’option de la décroissance et celle du développement n’a pas de sens, l’avenir devant être fait de choix, donc de l’un et l’autre. Sur ce dernier point, certains apprécieront que Deléage n’envisage pas de changer l’homme tel qu’il est ; d’autres moins. Cela peut paraître bien simple de prime abord, mais l’articulation des réflexions de l’auteur ne l’est pas. L’intelligence du texte est au dessus de la moyenne de ce qui s’écrit généralement sur le sujet.
Au total, on a un ouvrage assez agréable à lire, qui va convenir à des publics variés. Les néophytes peuvent se le procurer, ils y trouveront des réponses à un certain nombre de questions courantes, avec la touche repère en plus : essayer de ne pas trop sacrifier le niveau d’entrée à la simplification. Dès lors, le livre est exploitable par une tripotée de publics, tels que les étudiants préparant des concours, qu’ils soient économistes ou non. C’est tout à fait le genre de bases qu’un étudiant préparant l’agrégation d’économie et gestion peut utiliser avec bonheur. Et ce, même si la découverte présente l’ouvrage comme un complément de son manuel SES, a priori destiné aux classes de lycée (mais est-ce contradictoire ?). On notera les références bibliographiques, qui m’ont d’abord fait tiquer : au trois quarts, il s’agit de livres tirés de la collection repères. Tout bien considéré, au delà de la pub non déguisée, c’est aussi un outil de recherche utile pour ceux qui veulent aller plus loin dans le même esprit. Reste que cet aspect ne ravira pas ceux qui auraient aimé les références à la source (pas totalement absentes, rares). Et pour la plage ? Eh bien, ma foi, la variété des thèmes, leur actualité et la possibilité de lire les chapitres de façon autonome sans ordre particulier rendent possibles la présence de l’ouvrage dans une glacière… Saurez vous tout sur la croissance, l’emploi et le développement après avoir lu le livre ? Eh bien, évacuons tout malentendu : non. Notamment sur la croissance et le développement où la place manque. Mais sur l’emploi, vous serez mieux parés.
Une dernière remarque : mon esprit mal tourné (pour coller aux réactions éventuelles de certains lecteurs) m’a incidieusement fait remarquer que beaucoup des auteurs des trois tomes sont connus pour avoir des préférences politiques plutôt de gauche (essentiellement centre gauche, normal, les économistes penchent vers là). Ce qui peut être un frein pour certains lecteurs inquiets. Après la lecture de ce tome, je crois pouvoir dire que la pédagogie et la qualité de synthèse l’emporte très largement sur les sensibilités. Ce qu’il reste de sensibilité personnelle est d’ordre méthodologique. Rien de regrettable.
▲ J-P. Deléage, B.Gazier et alii, Croissance, emploi et développement. Les grandes questions économiques et sociales, tome I, La découverte, 2007 (8,50 €)