Économie politique internationale
Christian Chavagneux (2004) ▼
L’EPI est au départ difficile à cerner. Il est question d’économie et de politique. Et cela se passe au niveau international. Que je me moque de vous ? Non, non. En fait , cela veut simplement dire que l’EPI cherche à savoir qui dirige l’économie mondiale. Ceux qui sont familiers de l’économie politique, ou plutôt de la nouvelle économie politique, verront que la définition est un peu différente d’une simple extension du concept d’économie politique tout court (l’étude de l’influence des mécanismes politiques sur le fonctionnement de l’économie). Ici, l’économique ne subordonne pas le politique. A lire le livre de Chavagneux, ce serait plutôt l’inverse qui est privilégié par la discipline.
L’auteur présente ce qu’il estime être les trois grandes tendances de l’EPI. Tout d’abord, l’école américaine, issue de la tradition “réaliste” en matière de relations internationales (le volet politique) et dont les analyses récentes glissent vers une méthodologie néoclassique (le volt économique, ce qui n’a pas toujours été le cas). Elle donne aux Etats le seul rôle structurant dans la dynamique de l’économie mondiale. Ils sont des acteurs rationnels qui dépassent les acteurs privés et agissent à la manière d’un homo economicus. Le monde peut connaître trois états : la stabilité hégémonique, l’instabilité, la stabilité des régimes. Dans le premier, un Etat domine les autres. Dans la dernière, un certain nombre de normes communes émergent pour coordonner l’action des différents Etats (voir par exemple des principes comme ceux de l’OMC dans le domaine du commerce). Dans cette EPI, c’est la sécurité qui représente l’enjeu majeur.
Cette forme d’EPI n’a pas la préférence de l’auteur, qui lui préfère l’enseignement de Susan Strange. Celle-ci développe une EPI que Chavagneux qualifie de “britannique”, qui a comme support deux questions : à qui cela profite-t-il ? Quelles sont les valeurs prônées en priorité par ceux qui ontle pouvoir ? POur Strange le pouvoir diffère de ce que pensent les réalistes. Alors qu’eux estiment qu’avoir du pouvoir, c’est agir sur les autres, elle estime qu’a du pouvoir celui qui peut structurer le théâtre dans lequel évoluent les acteurs. Elle divise la structure en quatre catégories : la structure de sécurité, la structure de production, la structure financière et le “triangle de marchandage” (qui résume les relations bilatérales intervenant dans un triangle formé par l’Etat et les firmes, les firmes entre elles et les Etats entre eux). Les idées de Strange ne s’assimilent pas à un grand système, mais à une méthodologie, dont on peut tirer les conclusions suivantes : il existe un hégémon, il s’agit des Etats Unis ; les acteurs privés (acteurs économiques, ONG et acteurs illicites) ont un poids important dans la marche du monde, au côté des Etats, toujours imposants, mais dénués de l’omnipotence que leur prête la théorie réaliste ; il existe des zones de non gouvernance (dont les paradis fiscaux) qui créent une instabilité du système mondial ; il n’existe pas de complot mondial, de stratégies rationnelles permettant d’amener le pouvoir à leurs promoteurs.
Dans le dernier chapitre, l’auteur décrit la troisième école, issue des travaux du canadien Robert Cox. Dans cette optique, ce sont des classes sociales nationales qui en s’internationalisant façonnent le pouvoir à l’échelon mondial dans une dynamique incluant les Etats. Pour le dire vite, le pouvoir mondial est le fruit de la domination d’une classe sociale qui impose ses idées d’abord dans son pays puis au niveau mondial grâce à l’Etat nation dont elle est issue. De cette analyse, on peut tirer une vision du monde où un groupe social dominant au sein des Etats Unis internationalisent ses valeurs et son pouvoir par la création d’une classe sociale transnationale incluant dirigeants de grandes entreprises, élites politiques, hauts fonctionnaires, journalistes etc. D’après les tenants de cette approche, l’hégémonie américaine néolibérale est cependant vacillante, car elle ne parvient plus à rassembler suffisamment autour de ses idées.
Christian Chavagneux conclut son ouvrage par un état des lieux de l’EPI en France. Après avoir signalé les quelques auteurs la pratiquant, il explique comment la théorie de la régulation reprend à son compte certaines idées de la théorie réaliste, au travers de la notion de régime. Il montre aussi en quoi cette méthodologie semble vouée à l’échec, indépendamment du côté paradoxal qu’il peut y avoir à constater que les régulationnistes utilisent un concept que de purs néoclassiques ont choisi de retenir…
Le livre de Chavagneux fait partie de cette catégorie d’ouvrages très certainement frustrants pour l’auteur. Car, en dépit de toute la qualité et le temps qu’on peut mobiliser, faire le tour d’une disciplinbe telle que l’EPI en une centaine de pages est un exercice inconfortable. On l’a vu, la discipline est loin d’être unifiée et les concepts sont plus méthodologiques qu’autre chose. Ce qui n’est pas du tout étonnant pour une discipline qui tend à se distinguer du corpus central réductionniste. Ce qui rend très abstrait sa présentation, même si l’auteur fait de son mieux pour l’illustrer d’exemples parlants. Si vous êtes intéressés par cette approche, vous pouvez lire avantageusement cet ouvrage qui est vraiment bien écrit, au sens où il est facile à comprendre. A lire un ou deux courts passages, on croit comprendre que l’auteur a du souffrir lorsqu’il a découvert certains textes évoqués. C’est donc tout à son honneur de nous permettre d’éviter le même tourment…
Pour synthétiser le contenu de l’ouvrage, je me permets de reproduire la page 8 :
▲ Christian Chavagneux, Économie politique internationale. , , 2004 (7,55 €)