France in crisis
Timothy B. Smith (2004) ▼
Les récents évènements électoraux ont conduit en France au retour de l’introspection, cette fois-ci sous le thème : “qu’est-ce qui ne va pas dans le modèle social français?”. Bien des commentateurs pourraient s’abstenir d’aller de leur explication : l’essentiel a déjà été écrit dans ce livre de T. Smith. L’auteur est un historien canadien, spécialisé dans l’histoire des systèmes sociaux, et son livre est à la fois le récit des raisons qui ont conduit la France dans sa situation, ainsi qu’un descriptif au vitriol de la réalité du système social français.
L’auteur est un défenseur des Etats-providence étendus, à la Scandinave, et compare l’Etat-providence français à cet idéal. Sa thèse est la suivante : au lieu de créer un Etat-providence “Beveridgien” à la fin de la seconde guerre mondiale, les gouvernements français ont mis en place – en partie d’ailleurs sous l’héritage pétainiste – un système d’Etat-providence corporatiste, c’est à dire dans lequel la redistribution s’effectue au sein de corporations de métiers et de statuts, au lieu de constituer un système universel redistribuant des riches vers les pauvres. Et ce système, progressivement, sous l’action des groupes de pression, d’idéologues interessés, et du fait de la pusillanimité des politiques, a glissé vers un mécanisme inégalitaire, dans lequel la dépense publique favorise les plus riches et quelques castes privilégiées, tandis que les besoins redistributifs des plus pauvres sont de moins en moins satisfaits; et tandis que ceux qui ont le plus besoin du système social – femmes, jeunes, individus d’origine étrangère, mais aussi handicapés – n’en bénéficient que médiocrement, car victimes d’obstacles énormes dans l’accès au marché du travail.
Alors que l’intégration des femmes sur le marché du travail, l’apparition de nouveaux risques individuels, le vieillissement progressif de la population, appelaient des évolutions dans le système social français, celles-ci ont été bloquées sous un torrent de rhétorique creuse, articulée autour de deux idées : premièrement, que la France est “victime de la globalisation” qui empêche le gouvernement d’agir (excellente excuse à l’inaction) et deuxièmement, une invocation de la “solidarité” comme mot-valise ne servant qu’à dissimuler la recherche par quelques groupes corporatistes d’avantages supplémentaires. L’auteur montre de façon convaincante comment cette rhétorique a largement bloqué les évolutions du système social vers un mécanisme plus redistributif et à même de digérer les chocs à venir, et continue de le faire. Il démontre surtout que la mondialisation n’empêche pas un pays d’avoir un système social redistributif, et que l’adaptation ne requiert pas plus d’inégalités, comme cela a été le cas en Grande-Bretagne et aux USA; et que la “solidarité” dont on se gargarise est assez largement un leurre qui dissimule un système économique et social orienté largement vers la préservation des privilèges de classe.
L’auteur montre aussi les multiples occasions perdues par les gouvernements, de droite comme de gauche, de diriger le système social français de son fonctionnement corporatiste vers un authentique système Beveridgien redistributif. Il montre également que la crise de l’Etat-providence français est une crise générale des Etats-providence corporatistes, comme en Allemagne et en Italie. Il expose enfin diverses voies et réformes qui permettraient d’instaurer en France un niveau élevé de protection sociale sans chômage.
Ce livre intéressera tout lecteur qui souhaite avoir une grille de lecture des difficultés françaises, et des raisons qui ont conduit à en arriver là. Le lecteur français retrouvera citées dans ce livre de nombreuses références qu’il connaît déjà : l’intérêt de l’ouvrage ne tient pas tant au fait qu’il apporte des nouveautés que dans l’apport d’une grille de lecture de la crise française et de la compilation d’informations diverses constituant un portrait sans concessions, mais très exhaustif, de la société française.
On déplorera dans le livre quelques imprécisions et inexactitudes : souvent l’auteur, pour frapper l’esprit du lecteur quitte à noircir le trait, choisit des références ou périodes très négatives, en négligeant des réformes qui sont intervenues par la suite. Il ne décrit pas ainsi l’effet de la réforme Balladur des retraites, qui en indexant celles-ci sur l’inflation et non sur les salaires des actifs, a eu un effet considérable sur l’équilibre futur des systèmes de retraite. On trouvera ainsi, à l’occasion, tel ou tel chiffre qui paraîtra discutable ou telle information qui a perdu sa pertinence. Il n’en reste pas moins un diagnostic intéressant, sans concessions, qui bénéficie des avantages d’un regard extérieur sur la société française, qui pourrait servir de programme à ceux qui prennent la protection sociale au sérieux. On peut toujours rêver.
L’auteur est un défenseur des Etats-providence étendus, à la Scandinave, et compare l’Etat-providence français à cet idéal. Sa thèse est la suivante : au lieu de créer un Etat-providence “Beveridgien” à la fin de la seconde guerre mondiale, les gouvernements français ont mis en place – en partie d’ailleurs sous l’héritage pétainiste – un système d’Etat-providence corporatiste, c’est à dire dans lequel la redistribution s’effectue au sein de corporations de métiers et de statuts, au lieu de constituer un système universel redistribuant des riches vers les pauvres. Et ce système, progressivement, sous l’action des groupes de pression, d’idéologues interessés, et du fait de la pusillanimité des politiques, a glissé vers un mécanisme inégalitaire, dans lequel la dépense publique favorise les plus riches et quelques castes privilégiées, tandis que les besoins redistributifs des plus pauvres sont de moins en moins satisfaits; et tandis que ceux qui ont le plus besoin du système social – femmes, jeunes, individus d’origine étrangère, mais aussi handicapés – n’en bénéficient que médiocrement, car victimes d’obstacles énormes dans l’accès au marché du travail.
Alors que l’intégration des femmes sur le marché du travail, l’apparition de nouveaux risques individuels, le vieillissement progressif de la population, appelaient des évolutions dans le système social français, celles-ci ont été bloquées sous un torrent de rhétorique creuse, articulée autour de deux idées : premièrement, que la France est “victime de la globalisation” qui empêche le gouvernement d’agir (excellente excuse à l’inaction) et deuxièmement, une invocation de la “solidarité” comme mot-valise ne servant qu’à dissimuler la recherche par quelques groupes corporatistes d’avantages supplémentaires. L’auteur montre de façon convaincante comment cette rhétorique a largement bloqué les évolutions du système social vers un mécanisme plus redistributif et à même de digérer les chocs à venir, et continue de le faire. Il démontre surtout que la mondialisation n’empêche pas un pays d’avoir un système social redistributif, et que l’adaptation ne requiert pas plus d’inégalités, comme cela a été le cas en Grande-Bretagne et aux USA; et que la “solidarité” dont on se gargarise est assez largement un leurre qui dissimule un système économique et social orienté largement vers la préservation des privilèges de classe.
L’auteur montre aussi les multiples occasions perdues par les gouvernements, de droite comme de gauche, de diriger le système social français de son fonctionnement corporatiste vers un authentique système Beveridgien redistributif. Il montre également que la crise de l’Etat-providence français est une crise générale des Etats-providence corporatistes, comme en Allemagne et en Italie. Il expose enfin diverses voies et réformes qui permettraient d’instaurer en France un niveau élevé de protection sociale sans chômage.
Ce livre intéressera tout lecteur qui souhaite avoir une grille de lecture des difficultés françaises, et des raisons qui ont conduit à en arriver là. Le lecteur français retrouvera citées dans ce livre de nombreuses références qu’il connaît déjà : l’intérêt de l’ouvrage ne tient pas tant au fait qu’il apporte des nouveautés que dans l’apport d’une grille de lecture de la crise française et de la compilation d’informations diverses constituant un portrait sans concessions, mais très exhaustif, de la société française.
On déplorera dans le livre quelques imprécisions et inexactitudes : souvent l’auteur, pour frapper l’esprit du lecteur quitte à noircir le trait, choisit des références ou périodes très négatives, en négligeant des réformes qui sont intervenues par la suite. Il ne décrit pas ainsi l’effet de la réforme Balladur des retraites, qui en indexant celles-ci sur l’inflation et non sur les salaires des actifs, a eu un effet considérable sur l’équilibre futur des systèmes de retraite. On trouvera ainsi, à l’occasion, tel ou tel chiffre qui paraîtra discutable ou telle information qui a perdu sa pertinence. Il n’en reste pas moins un diagnostic intéressant, sans concessions, qui bénéficie des avantages d’un regard extérieur sur la société française, qui pourrait servir de programme à ceux qui prennent la protection sociale au sérieux. On peut toujours rêver.
▲ Timothy B. Smith, France in crisis. , Cambridge University Press, 2004 (20,57 €)