Économie de l’éducation
Marc Gurgand (2005) ▼
L’éducation est une activité qui consomme des ressources privées ou publiques. S’éduquer, c’est renoncer à d’autres activités immédiates, telles que le travail. Etudier doit s’apparenter à un choix d’investissement. A l’inverse, c’est également une forme de consommation qui apporte une satisfaction. Vue sous ces angles, l’éducation est sans aucun doute un problème économique, puisqu’elle induit incontestablement un choix d’affectation de ressources rares. Cette vision est réductrice, comme le souligne l’auteur. Envisager l’éducation du seul point de vue de la formation des travailleurs ne rend pas compte des aspects culturels et sociologiques qui s’y rattachent. Ceci dit, les enjeux économiques ne sauraient être ignorés.
Gurgand consacre respectivement deux chapitres à l’offre et à la demande d’éducation. Le chapitre consacré à l’offre d’éducation examine la question de l’efficacité des dépenses d’éducation. Il montre la difficulté de cette évaluation, en se basant sur les travaux empiriques en la matière. On observe dès ce chapitre l’importance des ces études appliquées. Tout l’ouvrage en témoigne. L’auteur fait preuve de beaucoup de talent pour les présenter, ce qui est un véritable atout pour le livre. On retiendra qu’il est difficile, d’après les études existantes, de conclure systématiquement sur des sujets tels que l’effet de la taille des classes, le montant des dépenses par élève ou la formation des maîtres. Si certains enseignements peuvent être dérivés, il est indispensable de se méfier des généralités (la réduction de la taille des classes, dont l’effet est dépendant de certains seuils, en est un exemple). Dans ce même chapitre, l’organisation du système scolaire est étudiée, au travers de la comparaison public vs privé. Le privé fait-il mieux que le public ? Faut-il metter les écoles en concurrence ? Doit-on donner plus d’autonomie aux établissements publics ? Là encore, les évaluations empiriques montrent qu’avec une méthodologie sophistiquée a minima, les résultats n’ont rien de spectaculaire lorsqu’il s’agit de guider les politiques d’éducation.
Le chapitre suivant porte sur la demande d’éducation. Il présente en premier lieu la théorie du capital humain, dont il donne un exposé détaillé. La place accordée aux travaux appliqués est encore conséquente. La théorie du capital humain est présentée dans de très nombreux ouvrages. On trouvera néanmoins ici une présentation un peu plus fournie qu’à l’accoutumé.
Le troisième chapitre porte sur le lien de cause à effet existant entre éducation et rendement de l’éducation. Comme l’explique l’auteur, il existe un risque d’attribuer à la formation plutôt qu’à l’expérience des salaires plus ou moins élevés. Par ailleurs, même sans cela, rien ne prouve au demeurant qu’un individu ayant suivi des études n’aurait pas obtenu le même salaire sans éducation. Si une telle hypothèse heurte le sens commun, il reste indispensable de la tester. Pour faire le point sur le rendement de l’éducation, l’auteur nous entraîne alors encore dans une discussion progressive des méthodes économétriques mobilisables, soulignant les écueils possibles. Il part du modèle d’estimation de Mincer, expliquant en quoi il doit être contrôlé pour tenir compte de l’effet du talent personnel des individus. La suite du chapitre aborde la comparaison des rendements privé et social de l’éducation. Comment expliquer les écarts entre ces deux rendements ? Par trois raisons : le financement public (subventions et taxes), les externalités et, enfin, la dissociation du lien salaire-productivité. L’auteur explicite les mécanismes potentiellement à l’oeuvre, notamment la “théorie du signal”. Les conclusions que l’on peut tirer des travaux dans ce domaine sont encore une fois nuancés. Si un effet de signal n’est pas à exclure, le modèle de capital humain ne peut cependant pas être infirmé. Tout au plus, il n’explique pas entièrement le lien éducation-salaire. Gurgand achève ce chapitre en posant la question d’une éventuelle suréducation. Si la théorie du signal a une certaine légitimité, alors on peut se demander si la poursuite d’études n’est pas qu’une façon de bien rester positionné (en termes de signal, pas de compétences) par rapport aux concurrents sur le marché du travail. Dès lors, les politiques encourageant la poursuite d’études seraient en grande partie une fuite en avant source de gaspillage. Ce point permet incidemment de mettre en avant le lien chômage-éducation. L’auteur conclut alors que, plutôt que de chercher dans le déclassement d’une part non négligeable des diplômés un effet de suréducation, on a intérêt à le considérer comme la conséquence de déséquilibres sur le marché du travail, plutôt que la manifestation d’un marché de l’éducation inefficient.
Le chapitre suivant analyse l’éducation du point de vue des théories de la croissance. L’auteur rappelle que la lecture du lien croissance-éducation peut se faire au travers de deux catégories de modèles. La première (dans la lignée Solow) fait du taux de croissance une variable du taux de croissance de la scolarisation. La seconde (dans la logique croissance endogène) considère que c’est le niveau d’éducation et non pas sa variation qui détermine le taux de croissance, toutes choses égales par ailleurs. On ne s’en étonnera pas, la suite du chapitre est consacrée à des estimations empiriques. De même qu’on ne sera pas surpris de constater que les conclusions qui en ressortent ne sont pas unilatérales. On retiendra que chaque modèle contient sa part de vérité, que selon les économies envisagées (plus ou moins développées, par exemple), l’un ou l’autre colle de plus près aux faits. On doit relever les difficultés méthodologiques des travaux (la mesure de l’éducation est complexe, les phénomènes de qualité ardus à estimer). Au point qu’il n’est pas trivial de se demander si dans le lien éducation-croissance, on ne peut envisager, au moins jusqu’à un certain point, que la causalité croissance vers éducation ne soit pas tout aussi pertinente que l’inverse. L’idée sous-jacente étant que l’éducation n’est pas qu’un facteur de production, elle peut aussi représenter un bien de consommation que les sociétés peuvent d’autant plus s’offrir qu’elles sont riches.
Le dernier chapitre analyse les questions d’inégalités en rapport avec l’éducation. Gurgand synthétise les enjeux, les abordant d’abord sous l’angle classique des offres-demandes de travail, de la complémentarité-substitutabilité des types de travail (qualifié-non qualifié) aux autres facteurs. En écho à des débats récurrents sur le rôle correctif d’inégalités de la politique éducative, il traite de l’imperfection du marché des capitaux, des conséquences redistributives du financement des études par la puissance publique. Pour finir sur un tour d’horizon des questions de ségrégation résidentielle.
On peut féliciter l’auteur. Son travail est très fourni, habilement rédigé et agréable à lire. Le cheminement des démonstrations est très bien ficelé. On voit très bien au fil des discussions ce qui est acquis pour la recherche et ce qui pose problème. Il est accessible sans connaissances particulières, probablement en raison d’un dépouillement mathématique certain et du sujet lui-même. D’un point de vue mathématique, seuls quelques aspects des méthodes économétriques sont brièvement mentionnés. Cela reste extrêmement réduit et passer outre est sans préjudice. Cet aspect est certainement à mettre à l’actif de l’auteur. Je lui reprocherais néanmoins de ne pas avoir utilisé de courts encadrés, comme c’est fréquemment fait dans cette collection, pour présenter les bases formelles des modèles théoriques. Autre”anomalie” intéressante dans cet ouvrage : 12 pages de bibliographie, sur un total de 120 pages. Non pas que ce soit rare pour une revue de la littérature de type universitaire. Mais pour ce que j’en sais, c’est atypique dans un ouvrage de la collection Repères. On ne va pas s’en plaindre…
▲ Marc Gurgand, Économie de l’éducation. , La découverte, 2005 (7,55 €)