Politique économique
A.Benassy-Quéré, B.Coeuré, P.Jacquet & J. Pisani-Ferry (2004) ▼
Au premier abord, on s’attend à un manuel assez classique. A lire la table des matières, on ne flaire guère de nouveautés. Certes, la présentation du livre montre une optique spécifique. Les auteurs ambitionnent un texte qui partant d’une méthodologie unifiée de la politique économique en présente la théorie et la confronte aux données empiriques, le tout dans une progression thématique (budget, monnaie, change, etc.). Démarche qui fait d’ailleurs écrire à Olivier Blanchard dans sa préface qu’il aurait aimé écrire ce livre. De ce point de vue, les objectifs sont remplis. Cette volonté de se référer aux faits en appui des théories utilisées est présente tout au long du livre. Mais sa richesse tient aussi, essentiellement à mon sens, à l’envergure des références proposées au lecteur. Le risque est alors d’avoir un survol insipide, une bibliographie mise en forme. Ce n’est pas le cas. A cela deux raisons majeures. Tout d’abord, la place réservée à la formalisation est réduite au minimum. Celle-ci étant renvoyée systématiquement dans des encadrés. Ensuite, la qualité de la rédaction est telle que chaque mécanisme parvient à être exposé clairement et brièvement. A ce sujet, et c’est très significatif, les explications concernant le sens des modèles économétriques rencontrés sont très bien formulées (ni trop poussées, ni éludées). On est loin des présentations sophistiquées de modèles où les discussions sur les dérivées troisièmes éclipsent totalement l’interprétation économique, travers de manuels universitaires, qui se trompent visiblement de cible. Le plus amusant, et ce n’est guère suprenant au fond, c’est que l’ouvrage est basé sur des cours donnés à Polytechnique, lieu où les équations effraient rarement les étudiants… Pas surprenant car, en effet, alors que les cursus de sciences éco nécessitent souvent un contenu mathématique important pour l’étudiant moyen (c’est un fait peu contestable à mon avis, si on part du principe qu’il devra pouvoir être à l’aise dans la lecture des articles de revues scientifiques), à l’X, on peut supposer que le cours d’économie n’a pas à s’attarder outre mesure sur la technique. Or, du fait des pratiques courantes dans les facultés de sciences économiques, on s’aperçoit finalement que des supports de travail comme celui-ci manquent cruellement à leurs étudiants. Certes, il existe des documents du même genre. Certains livres attachent plus d’importance que d’autres à l’interprétation des modèles (souvent, ils sont traduits de l’anglais). Des articles ou rapports (je pense entre autres à ceux du CAE), qui sont clairement basés sur des modèles théoriques, se concentrent sur les mécanismes à l’oeuvre et sur leurs conséquences pratiques, dans un style plutôt littéraire. Néanmoins, avec “Politique économique”, c’est un travail d’une portée remarquable qui est réalisé dans ce sens, inédit pour ce que j’en sais (si un lecteur peut me contredire, j’en serai sincèrement ravi).
Méthodologiquement parlant, je souscris à la perspective retenue, tout en concevant qu’on puisse y trouver une limite de l’ouvrage. Concrétement, la boîte à outils retenue n’inclut que des théories néokeynésiennes, à savoir de la synthèse classico-keynésienne, ou néoclassiques, y compris celle des “nouveaux keynésiens”. Je sais, cela peut paraître compliqué à certains, disons, pour faire court, qu’il s’agit du corpus central de la théorie économique, macroéconomique plus exactement. Ce qui exclut les hétérodoxes et autres non assimilés. Doit-on s’en plaindre ? Si on se rappelle que le livre a pour but d’expliquer comment se font les politiques économiques contemporaines, la réponse est alors négative. Le débat peut rester ouvert, mais c’est un autre livre qu’il faut écrire pour le clore. Les pourfendeurs de la domination néoclassique pourront néanmoins se consoler en notant que l’école des cycles d’affaires réels (real business cycles) est par exemple exclue, car jugée peu pertinente. Sur la façon de poser le problème de la politique économique, les auteurs tiennent à montrer que la politique économique est un exercice qui puise dans le théorique dans un but pratique (la fameuse citation de Keynes sur la dette implicite des décideurs à l’égard des économistes est reprise en introduction), la pratique étant conditionnée par des institutions. Ils reprennent, en la modifiant un peu, la distinction de John Neville Keynes (père de John Maynard) qui considérait que l’économie pouvait être découpée entre économie positive (ce qui est), économie normative (ce qui est souhaitable) et l’art de l’économie (la pratique de la politique économique). Le dernier terme du tryptique est ici remplacé par la notion d’ “économie politique”, pour insister sur le fait que lorsque le fonctionnement de l’économie est compris, lorsque les objectifs (souvent contradictoires) à atteindre sont définis, il reste encore à implémenter une politique économique dans un contexte institutionnel où le décideur doit batailler plus ou moins pour que son programme se traduise réellement en faits. Après James Buchanan et l’école du Public Choice, qui a eu le mérite de montrer que le postulat du despote bienveillant ne correspondait pas au profil réel de ceux qui faisaient la politique économique, toute une école s’est développée autour des conditions politiques de la politique économique. On parle de “nouvelle économie politique”. Ses auteurs s’interrogent systématiquement sur les conséquences des processus politiques sur les décisions économiques. Quel est l’effet d’un vote à la majorité sur le montant de la dette publique ? Une agence indépendante pourra-t-elle mieux qu’un gouvernement soumis à un cycle électoral mener à bien une politique optimale ? Un gouvernement peut-il, pour des raisons partisanes, engager des dépenses publiques qui survivront à sa non réélection ? Ce genre de questions sont devenues un passage quasi obligé pour tous ceux qui s’intéressent à la politique économique. Mais, à la différence de l’école du Public Choice, l’Etat n’est plus forcément mis en cause de façon systématique, puisque les procédures démocratiques peuvent, par exemple, aboutir à des équilibres sous-optimaux par le simple exercice du droit de vote dans une population où la proprotion de telle ou telle catégorie détermine le positionnement de l’électeur médian (celui qui emporte la décision finale, une figure traditionnelle dans ce genre de modèles). On trouvera bien des commentateurs pour critiquer ces modèles. Une chose est certaine en tout cas : cette façon de penser est un progrès intellectuel en ce sens qu’elle étend la logique du réductionnisme aux processus politiques, jadis considérés au mieux de façon exogène, au pire comme un domaine exclu de la réflexion où les beaux parleurs pouvaient s’offrir le luxe inespéré de démolir facticement la science économique, parce qu’ “elle ne prend pas en compte la politique et que la politique, l’être humain, c’est quand même ce qui compte le plus”. Après quoi, les uns acclamaient, les autres se taisaient après un soupir et le patron remettait la même chose à tout le monde. Non pas que ce genre de situations soient définitivement bannies des comptoirs, mais on va certainement dans le bon sens : un jour probablement, la seule question qui restera vraiment en suspens sera de savoir s’il fallait ou non vendre Drogba… Ce que j’en pense ? Joker.
Venons en au contenu. Dans l’ordre, les chapitres sont : les fondements, les acteurs, la politique budgétaire, la politique monétaire, la politique de change, politiques de la croissance, la politique fiscale et, pour finir, politiques de l’emploi. Un oeil averti remarquera d’une part que les chapitre sur les politiques de la croissance n’est pas une habitude dans les ouvrages de politique économique en français, qui se limitent généralement aux politiques conjoncturelles ou abordent les questions structurelles dans le chapitre réservé aux politiques de l’emploi. On notera a contrario que cette logique d’englober le structurel et le conjoncturel s’arrête aux portes des politiques de la concurrence, commerciale etc. Les auteurs s’en expliquent : leur objectif est une approche macroéconomique qui collerait assez mal avec ces thèmes. Par ailleurs, on notera également qu’alors qu’il est d’usage habituellement (dans les livres en français) de n’aborder le budget de l’Etat que dans un chapitre sur la politique “budgétaire”, deux chapitres portent sur celui-ci. La politique budgétaire est dissociée de la politique fiscale. Ce choix est justifié en référence à la distinction traditionnelle, due à Musgrave, entre fonctions de la politique économique : allocation, redistribution, stabilisation. Le maniement des impôts touche aux trois éléments, alors que la dépense publique s’appréhende plutôt mieux sous un angle stabilisateur.
Il n’y a pas de doute possible, il s’agit d’un outil de travail remarquable, écrit par de vrais pédagogues qui savent non seulement de quoi ils parlent, mais qui trouvent les mots appropriés pour l’expliquer. Les derniers développements du domaine cotoient les références plus anciennes et toujours d’actualité. Comme je le disais en introduction, c’est une formidable synthèse de l’état de la connaissance qui est à portée de main. Un mot sur la mise en page : comme souvent chez De Boeck, elle est aérée et agréable. Je ne manquerai pas ici de faire ma fréquente remarque sur le prix : une trentaine d’euros, c’est donné pour la qualité et le volume. A qui s’adresse l’ouvrage en fin de compte ? La quatrième de couverture nous dit “étudiants en licence ou mastère d’économie, de gestion ou de sciences politiques, praticiens et observateurs de la politique économique, acteurs de la vie économique”. De fait, le livre offre des portes d’entrée pour tous. Je serais même tenté de dire que les étudiants de premier cycle motivés peuvent y trouver leur bonheur. Concernant les étudiants de licence ou mastère, il me semble important – si ce n’est trivial – de souligner que des sources complémentaires , plus techniques, sont nécessaires. Le classique de Blanchard et Fischer , l’ouvrage de David Romer ou encore le bon Varoudakis (d’ailleurs cité par les auteurs) pourraient faire l’affaire (dans des registres un peu différents, toutefois). En matière, d’économie politique, deux manuels peuvent être cités : le Persson et Tabellini, ainsi que le Drazen. Concernant Persson et Tabellini, vous trouverez ici un volumineux article d’introduction.
Le livre est doté d’un site compagnon, Politique Economique. Il contient des compléments et un aperçu de l’ouvrage. Enfin, je tenais à le signaler, pour vous faire part de notre agréable surprise et dissiper tout malentendu : notre site est cité dans les références utiles sur le Web de la bibliographie du premier chapitre (ou du deuxième, je ne sais plus). Agréable surprise, car c’est un petit honneur d’être ainsi mentionnés. Honneur que nous apprécions à sa juste valeur et qui, comme d’autres manifestations de reconnaissance, nous incite (aussi) à continuer notre petit bonhomme de chemin (car, je le rappelle, nous sommes d’abord là pour nous faire plaisir. C’est beau les externalités, non ?). Dissiper tout malentendu, dans le sens où si le livre avait été nul, je l’aurais dit exactement de la même façon que j’en recommande vivement la lecture. Olivier Blanchard aurait aimé écrire ce livre. J’aurais aimé le lire (quand j’étais étudiant à plein temps).
▲ A.Benassy-Quéré, B.Coeuré, P.Jacquet & J. Pisani-Ferry, Politique économique. , De Boeck, 2004 (32 €)