Protection de l’emploi et procédures de licenciement
O.Blanchard & J.Tirole (2003) ▼
Raffarin aura fait au moins une bonne chose depuis un an : maintenir en place le Conseil d’Analyse Economique mis en place par Jospin. Le rapport 44 du CAE est un beau rapport. Un texte efficace, clair et précis. Un travail remarquable du point de vue de la méthode et qui pourrait s’avérer fécond sur son contenu. Pas étonnant , à vrai dire, quand on sait qui le signe… Les auteurs sont ce qu’on peut appeler deux pointures dans la discipline.
Le rapport part d’une évaluation du système français de protection de l’emploi en termes de chômage. Il existerait une présomption forte selon laquelle il serait, en l’état actuel des choses, défavorable à l’emploi. Trop rigide quant aux conditions d’ajustement de l’emploi et trop soumis à de lourdes procédures judiciaires de licenciement, il limite les créations d’emplois, allonge la durée du chômage et a généré un marché du travail dual où le poids des contrats précaires est anormalement élevé. Comment changer cet état de fait ? En démentelant la protection de l’emploi par une plus grande flexibilité et une réduction des coûts subis par les entreprises ? Eh bien, non, pas du tout… Le grand principe avancé par le rapport est une taxation des entreprises qui licencient. Oui, vous ne rêvez pas. L’idée est directement tirée d’un raisonnement économique. Le licenciement a des coûts pour la société : coûts financiers au travers de l’indemnisation des chômeurs, coûts en capital humain (d’autant plus élevé que les périodes de chômage sont longues pour un individu donné), coûts psychologiques pour les travailleurs privés d’emploi. En d’autres termes, il existe une externalité négative. Les conséquences de l’action de l’entreprise qui licencie dans le système actuel n’est que très imparfaitement prise en compte par le dispositif de protection de l’emploi et d’indemnisation des chômeurs. Or, dans une pareille situation, la théorie néoclassique nous dit que l’équivalence entre équilibre de marché et optimum parétien est rompu (ce qui pour tout économiste néoclassique est quelque chose de vilain comme tout). Que faire donc ? Eh bien, pour rétablir l’optimum, il faut mettre en place un système qui s’attache à ramener les coûts privés (ce que coût le licenciement à une entreprise) au niveau des coûts sociaux (ce qu’il coûte à la société). On parle d’internalisation des coûts sociaux. Les auteurs proposent de mettre en place un système de responsabilisation des entreprises qui consiste à leur faire payer une taxe équivalente aux indemnités de chômage qui seront versées aux chômeurs licenciés. Car, actuellement, une entreprise qui licencie peu verse les mêmes cotisations sociales qu’une entreprise qui licencie beaucoup. Ce qui ne crée aucune incitation à protéger l’emploi pour une entreprise donnée. En revanche, la solution proposée conduit une entreprise à mener un calcul économique basique : si les licenciements sont justifiés par des évolutions économiques réelles, alors les gains dûs aux licenciements dépasseront le montant des taxes versées. L’entreprise effectuera sa restructuration, tout en n’en faisant pas supporter le coût à la société. Révolutionnaire ? Pas vraiment, puisque c’est déjà ce qui se pratique, dans un grand pays frère, très attaché au sort des travailleurs. J’ai nommé… les Etats Unis (au travers du dispositif dit Experience Rating).
Voici donc pour le principe général. En pratique, compte tenu des situations différentes selon la catégorie d’entreprise concernée et des risques de comportements opportunistes des entreprises visant à contourner le dispositif, les auteurs optent pour un système qui ne taxeraient pas les entreprises à hauteur des indemnités de chômage à verser. Aucun taux de taxation précis n’est donné, si ce n’est qu’il ne doit être ni nul, ni égal à l’unité et serait probablement plus proche de l’unité que de zéro. Les déterminants de ce taux sont analysés tour à tour par le rapport. Concernant la place des indemnités de licenciement dans le dispositif, les auteurs en reconnaissent la légitimité et retiennent un principe simple : destinées à couvrir un coût psychologique, elles doivent être proportionnées à l’ancienneté du salarié dans l’entreprise. De ce point de vue, la législation actuelle est conforme à la logique avancée. Le rapport se penche également sur le nécessaire distingo à opérer entre les différentes formes de rupture de contrat. On l’aura compris, les règles de protection envisagées ne portent que sur le licenciement économique, excluant de fait les autres formes de licenciement et les départs volontaires. Blanchard et Tirole s’attache alors à étudier la robustesse du système confronté au risque de fraude, par requalification des ruptures dans un sens défavorable à la caisse d’allocations-chômage ou du salarié. Ils concluent que le système de responsabilisation a comme avantage notoire de limiter les risques d’ententes entre employeurs et salariés dans une requalification négociée. Les auteurs s’intéressent ensuite à l’interaction entre la responsabilisation et d’autres dispositifs existants, tels que les subventions à l’emploi (qui s’intègrent à leur modèle comme instrument de lutte contre les discriminations), la formation continue, les conditions d’ouverture des droits au chômage (qui pose la question du traitement des licenciements pour inadapation au poste de travail et suggère l’introduction d’une période d’essai “optimale” et une modulation des taxes versées par l’entreprise en cas de rupture avant sa fin) et enfin la gestion de la caisse d’allocations-chômage ( dont il est finalement conseillé de confier la gestion à une autorité administrative indépendante).
Après le principe de responsabilisation, un plaidoyer pour une limitation de l’intervention judiciaire aux cas réellement litigieux (et non plus dans le cadre des licenciements économiques), le rapport suggère finalement un retour à une norme de contrat de travail unique, pour mettre fin au dualisme qui caractérise le marché du travail français.
En soi, tout n’est pas parfait dans ce texte, comme le souligne deux commentaires de Jacques Freyssinet et Fiorella Kostoris Padoa Schioppa. Mais la prudence et la modestie du propos n’appellent guère de critiques. Presque toutes celles qui peuvent être formulées sont devancées par les auteurs eux-mêmes. Elles ne sont pas des moindres, puisqu’elles portent sur le calibrage du dispositif. Car, si le sens des mécanismes est supposé connu, leur ampleur, conditionnée par la valeur des paramètres d’élasticité, reste non quantifiée. Reste alors deux points douteux pour les commentateurs : d’une part le parti-pris rationnel retenu par les auteurs, qui considèrent qu’une réduction à un mécanisme d’incitations individuelles peut servir de pilier à une réorganisation dela protection de l’emploi, laissant ainsi de côté les possibilités de la gestion concertée de l’emploi ; d’autre part la faiblesse de l’évaluation initiale du lien entre protection de l’emploi et chômage. Globalement, si le scepticisme est de mise dans les commentaires, on note cependant une reconnaissance de la contribution du travail fourni au débat sur l’emploi en France. C’est également le point de vue de l’auteur de ces lignes.
Le rapport part d’une évaluation du système français de protection de l’emploi en termes de chômage. Il existerait une présomption forte selon laquelle il serait, en l’état actuel des choses, défavorable à l’emploi. Trop rigide quant aux conditions d’ajustement de l’emploi et trop soumis à de lourdes procédures judiciaires de licenciement, il limite les créations d’emplois, allonge la durée du chômage et a généré un marché du travail dual où le poids des contrats précaires est anormalement élevé. Comment changer cet état de fait ? En démentelant la protection de l’emploi par une plus grande flexibilité et une réduction des coûts subis par les entreprises ? Eh bien, non, pas du tout… Le grand principe avancé par le rapport est une taxation des entreprises qui licencient. Oui, vous ne rêvez pas. L’idée est directement tirée d’un raisonnement économique. Le licenciement a des coûts pour la société : coûts financiers au travers de l’indemnisation des chômeurs, coûts en capital humain (d’autant plus élevé que les périodes de chômage sont longues pour un individu donné), coûts psychologiques pour les travailleurs privés d’emploi. En d’autres termes, il existe une externalité négative. Les conséquences de l’action de l’entreprise qui licencie dans le système actuel n’est que très imparfaitement prise en compte par le dispositif de protection de l’emploi et d’indemnisation des chômeurs. Or, dans une pareille situation, la théorie néoclassique nous dit que l’équivalence entre équilibre de marché et optimum parétien est rompu (ce qui pour tout économiste néoclassique est quelque chose de vilain comme tout). Que faire donc ? Eh bien, pour rétablir l’optimum, il faut mettre en place un système qui s’attache à ramener les coûts privés (ce que coût le licenciement à une entreprise) au niveau des coûts sociaux (ce qu’il coûte à la société). On parle d’internalisation des coûts sociaux. Les auteurs proposent de mettre en place un système de responsabilisation des entreprises qui consiste à leur faire payer une taxe équivalente aux indemnités de chômage qui seront versées aux chômeurs licenciés. Car, actuellement, une entreprise qui licencie peu verse les mêmes cotisations sociales qu’une entreprise qui licencie beaucoup. Ce qui ne crée aucune incitation à protéger l’emploi pour une entreprise donnée. En revanche, la solution proposée conduit une entreprise à mener un calcul économique basique : si les licenciements sont justifiés par des évolutions économiques réelles, alors les gains dûs aux licenciements dépasseront le montant des taxes versées. L’entreprise effectuera sa restructuration, tout en n’en faisant pas supporter le coût à la société. Révolutionnaire ? Pas vraiment, puisque c’est déjà ce qui se pratique, dans un grand pays frère, très attaché au sort des travailleurs. J’ai nommé… les Etats Unis (au travers du dispositif dit Experience Rating).
Voici donc pour le principe général. En pratique, compte tenu des situations différentes selon la catégorie d’entreprise concernée et des risques de comportements opportunistes des entreprises visant à contourner le dispositif, les auteurs optent pour un système qui ne taxeraient pas les entreprises à hauteur des indemnités de chômage à verser. Aucun taux de taxation précis n’est donné, si ce n’est qu’il ne doit être ni nul, ni égal à l’unité et serait probablement plus proche de l’unité que de zéro. Les déterminants de ce taux sont analysés tour à tour par le rapport. Concernant la place des indemnités de licenciement dans le dispositif, les auteurs en reconnaissent la légitimité et retiennent un principe simple : destinées à couvrir un coût psychologique, elles doivent être proportionnées à l’ancienneté du salarié dans l’entreprise. De ce point de vue, la législation actuelle est conforme à la logique avancée. Le rapport se penche également sur le nécessaire distingo à opérer entre les différentes formes de rupture de contrat. On l’aura compris, les règles de protection envisagées ne portent que sur le licenciement économique, excluant de fait les autres formes de licenciement et les départs volontaires. Blanchard et Tirole s’attache alors à étudier la robustesse du système confronté au risque de fraude, par requalification des ruptures dans un sens défavorable à la caisse d’allocations-chômage ou du salarié. Ils concluent que le système de responsabilisation a comme avantage notoire de limiter les risques d’ententes entre employeurs et salariés dans une requalification négociée. Les auteurs s’intéressent ensuite à l’interaction entre la responsabilisation et d’autres dispositifs existants, tels que les subventions à l’emploi (qui s’intègrent à leur modèle comme instrument de lutte contre les discriminations), la formation continue, les conditions d’ouverture des droits au chômage (qui pose la question du traitement des licenciements pour inadapation au poste de travail et suggère l’introduction d’une période d’essai “optimale” et une modulation des taxes versées par l’entreprise en cas de rupture avant sa fin) et enfin la gestion de la caisse d’allocations-chômage ( dont il est finalement conseillé de confier la gestion à une autorité administrative indépendante).
Après le principe de responsabilisation, un plaidoyer pour une limitation de l’intervention judiciaire aux cas réellement litigieux (et non plus dans le cadre des licenciements économiques), le rapport suggère finalement un retour à une norme de contrat de travail unique, pour mettre fin au dualisme qui caractérise le marché du travail français.
En soi, tout n’est pas parfait dans ce texte, comme le souligne deux commentaires de Jacques Freyssinet et Fiorella Kostoris Padoa Schioppa. Mais la prudence et la modestie du propos n’appellent guère de critiques. Presque toutes celles qui peuvent être formulées sont devancées par les auteurs eux-mêmes. Elles ne sont pas des moindres, puisqu’elles portent sur le calibrage du dispositif. Car, si le sens des mécanismes est supposé connu, leur ampleur, conditionnée par la valeur des paramètres d’élasticité, reste non quantifiée. Reste alors deux points douteux pour les commentateurs : d’une part le parti-pris rationnel retenu par les auteurs, qui considèrent qu’une réduction à un mécanisme d’incitations individuelles peut servir de pilier à une réorganisation dela protection de l’emploi, laissant ainsi de côté les possibilités de la gestion concertée de l’emploi ; d’autre part la faiblesse de l’évaluation initiale du lien entre protection de l’emploi et chômage. Globalement, si le scepticisme est de mise dans les commentaires, on note cependant une reconnaissance de la contribution du travail fourni au débat sur l’emploi en France. C’est également le point de vue de l’auteur de ces lignes.
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▲ O.Blanchard & J.Tirole, Protection de l’emploi et procédures de licenciement. , La documentation française, 2003 (Gratuit en ligne ou 7 €)