La réforme des retraites
Bruno Palier (2003) ▼
Dans le festival des ouvrages consacrés aux retraites, la lecture de l’ouvrage de Bruno Palier est à conseiller. L’auteur est spécialiste des questions de protection sociale. Son opus n’est pas à proprement parler économique. Mais, agrégé de sciences sociales (à côté de son titre de docteur en sciences politiques), Palier maîtrise les aspects économiques saillants de la question des retraites, aspects qu’ils intègre bien à une analyse institutionnelle de la réforme (publiée en mars 2003, donc rédigé avant que le projet Fillon-Raffarin-Sarkozy – on ne sait plus trop… pas Chirac, ça c’est certain – ne soit adopté).
L’auteur commence par s’étonner de la façon dont la France a vécu depuis 15 ans le débat sur la réforme des systèmes de retraites. Plutôt que de débat, on pourrait dire un non-débat puisque, comme Palier le souligne, alors que les pays industrialisés dans leur ensemble planchent sur la question depuis de nombreuses années, y apportent des réponses les uns après les autres, notre pays n’a pas daigné tirer les enseigenements de ces expériences. Il n’était pas question d’opter pour la transposition d’un modèle particulier. Il s’agissait plus, selon l’auteur, de constater que les situations de départ étaient largement identiques (avec les pays européens, en particulier) et que, de fait, un débat national sérieux ne pouvait ignorer les évènements en cours chez nos voisins. Au delà des points communs sur les situations démographiques par exemple, il existe un environnement européen et international dans lequel les forces à l’oeuvre sont communes. Quelles forces ? D’abord, celle de la construction européenne. Les pays de l’UE, malgré leurs différences nationales, reçoivent des orientations de la part de l’Union pour réformer les retraites dans un sens particulier. Ensuite, de façon plus idéologique et moins légitime pourrait-on dire, un modèle de réforme des retraites s’est forgé depuis plus de dix ans au niveau international, au travers de l’OCDE et de la Banque mondiale en particulier. Ces forces, à moins de considérer que la société française est un bloc d’une rare homogénéité, se traduisent dans le débat démocratique par le soutien de certains groupes sociaux. Bref, politique, économie, démographie et situations historiques nationales sont les bases du changement.
Palier commence par un historique des systèmes de retraite relevant leurs objectifs et les étapes de leur développement. Il aboutit à une typologie des systèmes en quatre types : bismarckiens classiques (basés sur l’assurance professionnelle en répartition), bismarckiens de seconde génération (une base beveridgienne et un second étage d’assurance professionnelle en répartition), les systèmes multipiliers (beveridgien pour la base et professionnels par capitalisation) et les systèmes résiduels (où la capitalisation joue un rôle plus important et le caractère obligatoire est moins marqué que dans les autres). Comme un premier bilan des systèmes de retraite, Palier souligne la hausse du niveau de vie des retraités et en conclut que d’une certaine manière, l’histoire des régimes de retraite en Europe est celle d’un succès.
Dans le chapitre suivant, l’auteur recense les changements de contexte et de politique en matière de retraites. C’est l’occasion de rappeler des faits connus, tels que le vieillissement démographique, les marges de manoeuvre limitées en termes de relance de la natalité, la réalité du taux d’occupation de la population (indépendamment même des âges légaux de départ en retraite), les contraintes que la construction européenne a engendrées en matière de finances publiques (et le changement d’optique des politiques publiques qui en ont découlé). Dans le même chapitre, l’auteur décrit les changements survenus sur les marchés financiers, changements ayant ouverts véritablement les discussions autour du choix répartition/capitalisation. Il souligne ensuite le décalage croissant entre les modes d’organisation de l’emploi et des carrières et la configuration des systèmes basés sur l’assurance professionnelle (adaptés à des emplois à temps plein sur des carrières assez linéaires). Enfin, il mentionne le poids des arrangements instiutionnels historiquement conclus, les obstacles techniques à les faire évoluer (par exemple dans l’hypothèse d’un passage d’un régime par répartition à un régime par capitalisation) et l'”effet de cliquet” revendiqué par des populations non disposées à voir se durcir les conditions d’accès à la retraite. Au chapitre suivant, sont présentés la place des institutions internationales et le nouveau rôle de l’UE dans l’élaboration des stratégies de réforme. On y retrouve le désormais classique “modèle” Banque mondiale – OCDE (en trois piliers) et les orientations préconisées par l’Union à ses membres (relever le taux d’emploi, lutter contre les déficits et évoluer vers des systèmes mixtes répatrition/capitalisation). Le chapitre IV parcourt les diverses réformes constatées en Europe ces dix ou quinze dernières années. Il note que les quatre types de systèmes identifiés, s’ils font face à des difficultés communes, ne disposent pas des mêmes capacités à se réformer. De ce point de vue, les systèmes multi-piliers sont les plus favorisés, alors qu’à l’autre bout, les systèmes bismarckiens de première génération (comme la France), font état d’une plus grande inertie structurelle. En tout cas, il s’avère que les réformes vont globalement dans le sens de ce qui est préconisé par les organismes internationaux dans le chapitre III. Des réformes Balladur de 1993 aux rapports à répétition, en passant parle plan Juppé de 1995, le chapitre V s’interroge sur le devenir spécifique du système français. Remarquant qu’il fait partie de ces configurations particulièrement complexes à réformer, il esquisse finalement les trois voies qui semblent se dessiner : maintien du système en répartition, allongement de la durée de cotisations et augmentation du taux d’emploi, introduction d’un pilier d’épargne retraite selon des modalités techniques à préciser.
Palier conclut son ouvrage en considérant que l’on se dirige généralement vers des systèmes mixtes empruntant à la répartition et à la capitalisation, la première voyant son rôle se réduire sensiblement. La régulation des fonds de pension devient alors la question cruciale, puisque leur existence ne sera probablement plus à mettre en cause d’ici peu. Enfin, il rappelle, comme tout au long de l’ouvrage, que derrière les principes universels qui semblent déterminer les réformes, l’observation de celles déjà pratiquées confirment le potentiel de différenciation nationale des solutions adoptées.
Pour les retraites, la difficulté à comprendre les situations réside dans les va-et-vient nécessaires entre macro et micro, technique et politique, économique et social etc. On y perd vite son latin. De ce point de vue le texte de Bruno Palier apporte un bon équilibre et une grille de lecture claire. N’importe qui pourra lire son travail et en tirer quelques enseignements.
L’auteur commence par s’étonner de la façon dont la France a vécu depuis 15 ans le débat sur la réforme des systèmes de retraites. Plutôt que de débat, on pourrait dire un non-débat puisque, comme Palier le souligne, alors que les pays industrialisés dans leur ensemble planchent sur la question depuis de nombreuses années, y apportent des réponses les uns après les autres, notre pays n’a pas daigné tirer les enseigenements de ces expériences. Il n’était pas question d’opter pour la transposition d’un modèle particulier. Il s’agissait plus, selon l’auteur, de constater que les situations de départ étaient largement identiques (avec les pays européens, en particulier) et que, de fait, un débat national sérieux ne pouvait ignorer les évènements en cours chez nos voisins. Au delà des points communs sur les situations démographiques par exemple, il existe un environnement européen et international dans lequel les forces à l’oeuvre sont communes. Quelles forces ? D’abord, celle de la construction européenne. Les pays de l’UE, malgré leurs différences nationales, reçoivent des orientations de la part de l’Union pour réformer les retraites dans un sens particulier. Ensuite, de façon plus idéologique et moins légitime pourrait-on dire, un modèle de réforme des retraites s’est forgé depuis plus de dix ans au niveau international, au travers de l’OCDE et de la Banque mondiale en particulier. Ces forces, à moins de considérer que la société française est un bloc d’une rare homogénéité, se traduisent dans le débat démocratique par le soutien de certains groupes sociaux. Bref, politique, économie, démographie et situations historiques nationales sont les bases du changement.
Palier commence par un historique des systèmes de retraite relevant leurs objectifs et les étapes de leur développement. Il aboutit à une typologie des systèmes en quatre types : bismarckiens classiques (basés sur l’assurance professionnelle en répartition), bismarckiens de seconde génération (une base beveridgienne et un second étage d’assurance professionnelle en répartition), les systèmes multipiliers (beveridgien pour la base et professionnels par capitalisation) et les systèmes résiduels (où la capitalisation joue un rôle plus important et le caractère obligatoire est moins marqué que dans les autres). Comme un premier bilan des systèmes de retraite, Palier souligne la hausse du niveau de vie des retraités et en conclut que d’une certaine manière, l’histoire des régimes de retraite en Europe est celle d’un succès.
Dans le chapitre suivant, l’auteur recense les changements de contexte et de politique en matière de retraites. C’est l’occasion de rappeler des faits connus, tels que le vieillissement démographique, les marges de manoeuvre limitées en termes de relance de la natalité, la réalité du taux d’occupation de la population (indépendamment même des âges légaux de départ en retraite), les contraintes que la construction européenne a engendrées en matière de finances publiques (et le changement d’optique des politiques publiques qui en ont découlé). Dans le même chapitre, l’auteur décrit les changements survenus sur les marchés financiers, changements ayant ouverts véritablement les discussions autour du choix répartition/capitalisation. Il souligne ensuite le décalage croissant entre les modes d’organisation de l’emploi et des carrières et la configuration des systèmes basés sur l’assurance professionnelle (adaptés à des emplois à temps plein sur des carrières assez linéaires). Enfin, il mentionne le poids des arrangements instiutionnels historiquement conclus, les obstacles techniques à les faire évoluer (par exemple dans l’hypothèse d’un passage d’un régime par répartition à un régime par capitalisation) et l'”effet de cliquet” revendiqué par des populations non disposées à voir se durcir les conditions d’accès à la retraite. Au chapitre suivant, sont présentés la place des institutions internationales et le nouveau rôle de l’UE dans l’élaboration des stratégies de réforme. On y retrouve le désormais classique “modèle” Banque mondiale – OCDE (en trois piliers) et les orientations préconisées par l’Union à ses membres (relever le taux d’emploi, lutter contre les déficits et évoluer vers des systèmes mixtes répatrition/capitalisation). Le chapitre IV parcourt les diverses réformes constatées en Europe ces dix ou quinze dernières années. Il note que les quatre types de systèmes identifiés, s’ils font face à des difficultés communes, ne disposent pas des mêmes capacités à se réformer. De ce point de vue, les systèmes multi-piliers sont les plus favorisés, alors qu’à l’autre bout, les systèmes bismarckiens de première génération (comme la France), font état d’une plus grande inertie structurelle. En tout cas, il s’avère que les réformes vont globalement dans le sens de ce qui est préconisé par les organismes internationaux dans le chapitre III. Des réformes Balladur de 1993 aux rapports à répétition, en passant parle plan Juppé de 1995, le chapitre V s’interroge sur le devenir spécifique du système français. Remarquant qu’il fait partie de ces configurations particulièrement complexes à réformer, il esquisse finalement les trois voies qui semblent se dessiner : maintien du système en répartition, allongement de la durée de cotisations et augmentation du taux d’emploi, introduction d’un pilier d’épargne retraite selon des modalités techniques à préciser.
Palier conclut son ouvrage en considérant que l’on se dirige généralement vers des systèmes mixtes empruntant à la répartition et à la capitalisation, la première voyant son rôle se réduire sensiblement. La régulation des fonds de pension devient alors la question cruciale, puisque leur existence ne sera probablement plus à mettre en cause d’ici peu. Enfin, il rappelle, comme tout au long de l’ouvrage, que derrière les principes universels qui semblent déterminer les réformes, l’observation de celles déjà pratiquées confirment le potentiel de différenciation nationale des solutions adoptées.
Pour les retraites, la difficulté à comprendre les situations réside dans les va-et-vient nécessaires entre macro et micro, technique et politique, économique et social etc. On y perd vite son latin. De ce point de vue le texte de Bruno Palier apporte un bon équilibre et une grille de lecture claire. N’importe qui pourra lire son travail et en tirer quelques enseignements.
▲ Bruno Palier, La réforme des retraites. , PUF, 2003 (7,50 €)