Le gouvernement d’entreprise
Frédéric Parrat (2003) ▼
Comment les grandes entreprises sont-elles dirigées et contrôlées ? Ah, j’en vois déjà qui pensent : “n’importe comment”. Mais non… pas du tout ! C’est que c’est une affaire qui mobilise la réflexion d’une multitude de gens sérieux. Parmi ces gens sérieux, il y a Frédéric Parrat, auteur du livre chroniqué ici. N’y voyez aucune ironie, ce bouquin est bien fait. Simplement, la matière est quelque peu glissante. Le mode de direction et de contrôle des grandes entreprise, on appelle ça “gouvernement d’entreprise”. Je passe à ce sujet sur les querelles sémantiques qui borde le thème et les pinaillages concernant par exemple l’emploi du vocable “gouvernement” ou “gouvernance”. Partant sur des remarques intéressantes, elles sont rapidement stériles pour le quidam. L’important reste de savoir de quoi l’on parle. Balayons aussi les assertions rapides selon lesquells cette histoire de gouvernement d’entreprise, c’est un truc de néolibéraux ultralibéraux, adeptes du marché et des licenciements boursiers. Si cette catégorie de “penseurs” assez mal identifiée mais jugée représentative d’une forme de profil socio-politique avide de domination économique joue, à mon sens (et j’y reviendrai), un indéniable rôle (nécessairement flou à mes yeux, vue la difficulté à les cerner en tant qu’entités animées) dans les discussions de cyber-comptoir des entrepreneurs, l’idée d’une réflexion sur la direction et le contrôle des entreprises est tout à fait légitime. J’en veux pour preuve les textes des Chandler, Berle et Means ou autres Jensen et Meckling, Williamson et Coase (j’en passe en en oubliant). Ben oui, Jean Marc Sylvestre et le baron Seillères, si cela vous avez échappé, n’ont pas vocation, sur ce thème (comme sur la plupart des questions économiques) à tenir lieu de références. Oui, c’est facile, je sais… Mais ça fait toujours plaisir.
Le livre de Parrat est structuré de façon simple et suffisante : une partie “théories”, une partie “pratiques”. La partie théorique est intéressante de bout en bout.Son premierc hapitre expose les cinq domaines fondateurs de l’étude du contrôle de l’entreprise : la théorie des droits de propriété (qui caractérise le fonctionnement des entreprises par la nature des droits de propriété qui y sont définis – i.e. qui détient usus, fructus et abusus dans l’entreprise) ; la théorie de l’agence (qui voit l’entreprise comme un ensemble de contrats entre parties prenantes aux intérêts potentiellement divergeants – ces contrats étant incomplets, au sens où il existe une possibilité pour les individus de les exécuter “à leur façon” – et cherche à déterminer des mécanismes de contrôle efficaces pour pallier le caractère incomplet des contrats) ; la théorie de l’enracinement (qui se concentre sur les stratégies menées par les dirigeants pour contrecarrer les mécanismes de contrôle en se rendant indispensables et s’interroge sur le caractère intrinsèquement mauvais de ces comportements) ; la théorie du marché du travail des dirigeants (qui étudie les motivations de dirigeants en place cherchant à préserver ou améliorer leur potentiel de recrutement une fois la firme quittée et montre l’ambiguïté des relations actionnaires/dirigeants qui peut naître d’une telle motivation) ; enfin, la théorie de la dépendance à l’égard des ressources (qui s’affranchit quelque peu de la relation entre dirigeants et actionnaires pour insister sur les rapports entre l’entreprise et son environnement et en déduire des modes de gouvernance particuliers).
Le deuxième chapitre théorique dresse un panorama des typologies de gouvernement de l’entreprise. En émerge deux grands types. Le système “shareholder” favorise la maximisation de la valeur créée pour les actionnaires. L’objectif du gouvernement d’entreprise est de définir des règles de décision et de contrôle qui permettent d’aboutir à cette fin. Il repose largement sur une intermédiation du marché financier dans la relation actionnaires/dirigeants. Dans la logique “stakeholder”, les intérêts à servir sont élargis à un plus grand nombre de parties prenantes, tels que les salariés, créanciers, clients etc. Les marchés financiers y jouent un rôle moindre, des participations croisées stables devant assurer la pérennité des équipes de gestion et la place des banques devant faciliter le financement des entreprises. On retrouve dans ce chapitre la classique comparaison entre un modèle anglo-saxon et un modèle rhénan/japonais actualisée et remise en perspective.
Le troisième et dernier chapitre de la partie théorique du livre expose les travaux tentant de répondre aux questions types dans le cas français : le lien entre composition du conseil d’administration et performance, la relation entre évolution de la performance et remplacement des dirigeants, pertinence des prescriptions issues de la théorie de l’agence, impact des réseaux personnels des dirigeants sur l’enracinement etc.
La seconde partie, qui porte sur les pratiques, est plus laborieuse que la première. Non pas qu’elle soit inintéréssante. Elle contient un volume d’informations synthétisée appréciable. Mais comme elle consiste en la description des dispositifs réglementaires adoptés récemment, des divers rapports et autres livres blancs définissant les “bonnes pratiques” à adopter en matière de gouvernement d’entreprise, on sombre régulièrement dans l’ennui tant les répétitions sont nombreuses. Frédéric Parrat n’est nullement responsable des baillements qu’on réprime parfois (je me suis même endormi dessus…), la structure de l’exposé est la plus efficace possible : chaque chapitre présente un grand type de lois ou recommandations. Ainsi, un chapitre est consacré aux recommandations de l’OCDE et à la loi américaine dite “loi Sarbanes-Oxley” (et parfois “loi Enron”). Le chapitre suivant porte sur la loi NRE (Nouvelles Réglementations Economiques) et sur la loi sur la sécurité financière. Ce chapitre a le mérite particulier de faire les point sur les dispositifs en vigueur en France, et notamment sur les modalités d’organisation de la direction et du contrôle des sociétés anonymes en France (tout ce qui tourne autour des statuts de Directeur Général, Président du Conseil d’Administration, directoire, conseil de surveillance etc.). Le chapitre 6 décrit les rapports patronaux et le dernier se penche sur les recommandations de la COB et des ordres professionnels (experts-comptables par exemple).
Le texte de Parrat est une synthèse efficace. Plutôt complet (quelques paragraphes sont consacrés par exemple aux entreprises publiques), clair et compréhensible de tous. Son académisme a une grande vertu : il montre à quel point ces recherches qui sont légitimes, je l’ai déjà écrit, demeurent à ce jour plutôt sstériles d’un point de vue opérationnel. La séparation entre parties théorique et pratique est incroyablement révélatrice. Passer de l’une à l’autre montre à quel point les discours publics sur le gouvernement d’entreprise sont creux. On ne peut s’empêcher de penser à la théorie des jeux (présente d’ailleurs par le biais de la théorie de l’agence). Voilà un outil d’analyse dont la sophistication n’a d’égal que son impuissance à dicter des prescriptions qui dépassent un contexte hyper-spécifique ou sont d’une généralité à faire hurler de rire (du genre, si vous voulez réussir, vos clients doivent être satisfaits et vous devez faire des profits… le terrible “gagnant-gagnant” des théoriciens des jeux qui publient chez Dunod entreprise et Marabout pratique…). Les rapports publiés regorgent de bons sentiments, de considérations d’une généralité qui semble totalement dérisoire , parfois de consignes plus pointues, mais généralement modulables au point qu’on se demande comment un petit malin ne pourra pas les contourner). On pourrait répondre que cette préoccupation est relativement récente et qu’il faut s’attendre à voir progresser la réflexion sur les pratiques. Peut-être. Mais pour le moment, la tentation est forte pour l’observateur de radicaliser son opinion et de conclure que les discussions sur le gouvernement d’entreprise ne sont, ni plus, ni moins que du pipeau (pour une analyse de ce genre, voir le livre de Frédéric Lordon).
Le livre de Parrat est structuré de façon simple et suffisante : une partie “théories”, une partie “pratiques”. La partie théorique est intéressante de bout en bout.Son premierc hapitre expose les cinq domaines fondateurs de l’étude du contrôle de l’entreprise : la théorie des droits de propriété (qui caractérise le fonctionnement des entreprises par la nature des droits de propriété qui y sont définis – i.e. qui détient usus, fructus et abusus dans l’entreprise) ; la théorie de l’agence (qui voit l’entreprise comme un ensemble de contrats entre parties prenantes aux intérêts potentiellement divergeants – ces contrats étant incomplets, au sens où il existe une possibilité pour les individus de les exécuter “à leur façon” – et cherche à déterminer des mécanismes de contrôle efficaces pour pallier le caractère incomplet des contrats) ; la théorie de l’enracinement (qui se concentre sur les stratégies menées par les dirigeants pour contrecarrer les mécanismes de contrôle en se rendant indispensables et s’interroge sur le caractère intrinsèquement mauvais de ces comportements) ; la théorie du marché du travail des dirigeants (qui étudie les motivations de dirigeants en place cherchant à préserver ou améliorer leur potentiel de recrutement une fois la firme quittée et montre l’ambiguïté des relations actionnaires/dirigeants qui peut naître d’une telle motivation) ; enfin, la théorie de la dépendance à l’égard des ressources (qui s’affranchit quelque peu de la relation entre dirigeants et actionnaires pour insister sur les rapports entre l’entreprise et son environnement et en déduire des modes de gouvernance particuliers).
Le deuxième chapitre théorique dresse un panorama des typologies de gouvernement de l’entreprise. En émerge deux grands types. Le système “shareholder” favorise la maximisation de la valeur créée pour les actionnaires. L’objectif du gouvernement d’entreprise est de définir des règles de décision et de contrôle qui permettent d’aboutir à cette fin. Il repose largement sur une intermédiation du marché financier dans la relation actionnaires/dirigeants. Dans la logique “stakeholder”, les intérêts à servir sont élargis à un plus grand nombre de parties prenantes, tels que les salariés, créanciers, clients etc. Les marchés financiers y jouent un rôle moindre, des participations croisées stables devant assurer la pérennité des équipes de gestion et la place des banques devant faciliter le financement des entreprises. On retrouve dans ce chapitre la classique comparaison entre un modèle anglo-saxon et un modèle rhénan/japonais actualisée et remise en perspective.
Le troisième et dernier chapitre de la partie théorique du livre expose les travaux tentant de répondre aux questions types dans le cas français : le lien entre composition du conseil d’administration et performance, la relation entre évolution de la performance et remplacement des dirigeants, pertinence des prescriptions issues de la théorie de l’agence, impact des réseaux personnels des dirigeants sur l’enracinement etc.
La seconde partie, qui porte sur les pratiques, est plus laborieuse que la première. Non pas qu’elle soit inintéréssante. Elle contient un volume d’informations synthétisée appréciable. Mais comme elle consiste en la description des dispositifs réglementaires adoptés récemment, des divers rapports et autres livres blancs définissant les “bonnes pratiques” à adopter en matière de gouvernement d’entreprise, on sombre régulièrement dans l’ennui tant les répétitions sont nombreuses. Frédéric Parrat n’est nullement responsable des baillements qu’on réprime parfois (je me suis même endormi dessus…), la structure de l’exposé est la plus efficace possible : chaque chapitre présente un grand type de lois ou recommandations. Ainsi, un chapitre est consacré aux recommandations de l’OCDE et à la loi américaine dite “loi Sarbanes-Oxley” (et parfois “loi Enron”). Le chapitre suivant porte sur la loi NRE (Nouvelles Réglementations Economiques) et sur la loi sur la sécurité financière. Ce chapitre a le mérite particulier de faire les point sur les dispositifs en vigueur en France, et notamment sur les modalités d’organisation de la direction et du contrôle des sociétés anonymes en France (tout ce qui tourne autour des statuts de Directeur Général, Président du Conseil d’Administration, directoire, conseil de surveillance etc.). Le chapitre 6 décrit les rapports patronaux et le dernier se penche sur les recommandations de la COB et des ordres professionnels (experts-comptables par exemple).
Le texte de Parrat est une synthèse efficace. Plutôt complet (quelques paragraphes sont consacrés par exemple aux entreprises publiques), clair et compréhensible de tous. Son académisme a une grande vertu : il montre à quel point ces recherches qui sont légitimes, je l’ai déjà écrit, demeurent à ce jour plutôt sstériles d’un point de vue opérationnel. La séparation entre parties théorique et pratique est incroyablement révélatrice. Passer de l’une à l’autre montre à quel point les discours publics sur le gouvernement d’entreprise sont creux. On ne peut s’empêcher de penser à la théorie des jeux (présente d’ailleurs par le biais de la théorie de l’agence). Voilà un outil d’analyse dont la sophistication n’a d’égal que son impuissance à dicter des prescriptions qui dépassent un contexte hyper-spécifique ou sont d’une généralité à faire hurler de rire (du genre, si vous voulez réussir, vos clients doivent être satisfaits et vous devez faire des profits… le terrible “gagnant-gagnant” des théoriciens des jeux qui publient chez Dunod entreprise et Marabout pratique…). Les rapports publiés regorgent de bons sentiments, de considérations d’une généralité qui semble totalement dérisoire , parfois de consignes plus pointues, mais généralement modulables au point qu’on se demande comment un petit malin ne pourra pas les contourner). On pourrait répondre que cette préoccupation est relativement récente et qu’il faut s’attendre à voir progresser la réflexion sur les pratiques. Peut-être. Mais pour le moment, la tentation est forte pour l’observateur de radicaliser son opinion et de conclure que les discussions sur le gouvernement d’entreprise ne sont, ni plus, ni moins que du pipeau (pour une analyse de ce genre, voir le livre de Frédéric Lordon).
▲ Frédéric Parrat, Le gouvernement d’entreprise. , Dunod, 2003 (8,50 €)