Note de lecture


Free Trade Under Fire
Douglas Irwin (2002)

Alors que la conférence de l’OMC à Cancun s’achève sans accord, et que le protectionnisme des pays riches y a été comme jamais mis en évidence, il n’est pas inutile de se plonger dans la lecture du dernier ouvrage de Douglas Irwin, consacré aux questions de commerce international. Il s’agit d’un véritable ouvrage de vulgarisation, visant à présenter dans le langage le plus clair possible ce que les économistes savent, aujourd’hui, sur les effets de la libéralisation des échanges internationaux et ses enjeux.
Dans ce but, Irwin présente les récentes analyses théoriques des effets du protectionnisme, mais aussi et surtout de multiples analyses chiffrées, études empiriques, montrant les conséquences des politiques commerciales menées par les gouvernements. Ce livre est essentiellement destiné au public américain, et on regrettera de n’y trouver que peu de données sur la situation européenne : dans l’ensemble néanmoins, les illustrations apportées par l’auteur sont suffisament claires pour avoir valeur générale.
Le livre est divisé en six chapitres. Le premier constitue une description de l’état des échanges des USA avec le reste du monde. L’auteur y montre l’intégration croissante de l’économie américaine dans une économie mondiale dans laquelle la part du commerce tend à s’accroître.
Quels sont les effets de cette intégration croissante? Depuis Adam Smith, les économistes ont montré que l’ouverture aux échanges est pour les pays une facteur de croissance et d’accroissement du bien être des individus. Si autrefois cette démonstration s’appuyait sur les gains statiques à attendre des échanges (par le biais de la spécialisation et des avantages comparatifs), aujourd’hui l’analyse économique montre de nombreux autres avantages au libre-échange. Le libre-échange accroît le bien-être des consommateurs en étendant la gamme des produits disponibles, mais génère également des effets dynamiques, accroissant la productivité nationale. On peut citer à ce titre les gains de productivité issus d’économies d’échelle, mais également tous les effets de “spillover” technologique conduisant à diffuser dans l’économie nationale des techniques de production plus performantes. Les échanges apparaissent aujourd’hui pour un pays un moyen rapide, efficace et peu coûteux de bénéficier du progrès technologique. Par ailleurs, en accroissant la pression concurrentielle sur les entreprises nationales, cela conduit celles-ci à devenir plus performantes. Les effets de la libéralisation des échanges sont mesurables, et il est possible de constater que le rythme de croissance des pays augmente suite à des politiques d’ouverture aux échanges (les cas de l’Inde, de la Corée du Sud et du Chili étant particulièrement frappants). Dans le même temps, les échanges internationaux génèrent des effets secondaires positifs, poussant à la libéralisation politique des pays, préservant l’environnement (les pays plus riches étant plus soucieux de l’environnement que les autres). Le protectionnisme, lui, présente des coûts considérables. L’accord multifibres, accord restreignant les entrées de textiles importés dans les pays riches, se traduit par une perte de 260 USD par ménage américain. la protection de l’acier aux USA coûte 5 emplois dans une industrie consommatrice d’acier par emploi de sidérurgiste “sauvé”. Le libre-échange ne saurait constituer, à lui seul, un moyen de créer une forte croissance dans un pays : mais il y contribue, tandis que les politiques protectionnistes ont le plus souvent l’effet d’un boulet ralentissant l’économie nationale, extorquant le revenu de l’ensemble de la population pour enrichir quelques intérêts particuliers.
Le protectionnisme n’est-il pas, cependant, un moyen de sauver des emplois nationaux? La réponse est non, sans la moindre équivoque. Les taxes sur les importations sont des taxes sur les exportations (car pour vendre quelque chose à l’étranger, il faut bien que celui-ci paie d’une façon ou d’une autre : soit en investissant dans le pays soit en achetant des produits. Protéger des secteurs menacés par la concurrence étrangère conduit donc à favoriser, pour un coût prohibitif, des emplois mal payés et peu productifs aux dépens de l’emploi dans des secteurs à plus hauts salaires. Certes l’ouverture est un facteur de chômage pour certains salariés, mais d’autres facteurs conduisent au même effet, l’ouverture des échanges n’étant que l’un d’entre eux. En réalité, sur longue période l’emploi dépend de la productivité nationale, tout comme les salaires.
Le chapitre suivant est consacré au rôle des accusations de dumping et des lois contre cette pratique aux Etats-Unis. L’auteur montre alors que la loi américaine sur le dumping présente des failles énormes, conduisant à ce que toute entreprise se plaignant de dumping se voit reconnaître raison. l’accusation de dumping est surtout un moyen pour des entreprises peu efficaces d’obtenir le relâchement de la concurrence, de façon systématique au détriment des consommateurs, mais aussi des autres producteurs. L’effet sur l’emploi est donc toujours le même, négatif.
Le chapitre 5 met en perspective historique la politique commerciale des Etats-Unis. Irwin y montre comment le système politique a longtemps favorisé les intérêts protectionnistes, jusqu’à ce que le mécanisme du Gatt permette de rééquilibrer la balance politique en permettant aux intérêts exportateurs de bénéficier de la libéralisation des échanges. Ce chapitre montre comment le mécanisme du Gatt, dépourvu de sens sur le plan économique (en mettant l’accent sur les exportations) a permis d’obtenir une longue période de libéralisation des échanges.
Enfin, le dernier chapitre est consacré à l’OMC et aux défis qu’elle sera amenée à rencontrer. La question agricole, de la protection sanitaire, de l’environnement, et de l’avenir de la libéralisation des échanges y sont évoqués.
L’intérêt de ce livre est double : facile et agréable à lire, il permet de comprendre très vite les enjeux de la libéralisation des échanges, sujet fort souvent mal traité en France. Par ailleurs, en fournissant des données nombreuses, le livre permet de corriger le problème souvent rencontré lorsque les questions d’échanges internationaux sont évoquées, à savoir le caractère ésotérique de l’analyse théorique. Son principal défaut est de ne mettre l’accent que sur les problématiques américaines, alors que cette question souffre d’un déficit d’explication considérable en Europe. On aimerait qu’un ouvrage équivalent soit écrit en français, afin que les gens comprennent enfin comment ils sont pris en otage par quelques représentants de groupes d’intérêt, et ce que cela leur coûte.
Une excellente lecture donc, d’actualité, à ne pas manquer. On profitera avantageusement de la version paperback, sur le point de paraître.
Alexandre Delaigue
23/09/2003

Douglas Irwin, Free Trade Under Fire . , Princeton University Press, 2002 (16,03 €)

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