Comment définir la Nouvelle économie ?
Rédacteur : Stéphane Ménia
Note au 14/10/2018. Un peu d’histoire. La “nouvelle économie” a agité les débats économiques au début du siècle… À l’époque, j’avais écrit ce texte. Aujourd’hui, le concept a été totalement abandonné. Mais outre son intérêt pour l’histoire des idées, certains éléments perdurent.
C’est d’abord un terme inventé par des journalistes américains. En ce sens, il a un contenu affectif, pour ne pas dire idéologique, indéniable. En effet, dans l’imaginaire collectif, tout ce qui est nouveau est beau et porteur d’espoirs. En l’occurrence, ce nouvel eldorado devait, sans vraiment qu’on explique pourquoi, amener croissance forte, plein emploi, fin des fluctuations et de l’inflation, grâce aux nouvelles technologies.
On pourrait remplacer par « régime de croissance postfordiste » ou « troisième révolution industrielle » le vocable « nouvelle économie ». « Troisième révolution industrielle » peut être trompeur dans la mesure où pour le grand public, le terme de « révolution industrielle » est empreint d’une connotation purement technologique, ce qui convient mal à la définition que nous présenterons. Quand à « régime de croissance postfordiste », il est d’abord plus long à écrire… et, au sens premier du terme, il pourrait s’appliquer à tous les régimes que connaîtra l’économie après Ford… Bref, gardons « nouvelle économie », sans être « dupes », par commodité.
Mais la confusion règne pourtant. La nouvelle économie est-elle composée des activités économiques produisant les nouvelles technologies de l’information de la communication ? Intel, Microsoft, AOL et Dell sont-ils la nouvelle économie avec leurs concurrents ? Faut-il y adjoindre le secteur des biotechnologies ? Si tel était le cas, le concept serait limité et ne justifierait probablement pas que l’on affirme que la nouvelle économie (NE) va changer la vie de tout un chacun.
Nous préférons donc considérer que la NE serait un nouveau régime de croissance, un nouvel agencement des activités économiques caractérisé par :
– des changements technologiques : les nouvelles technologies de l’information et de la communication (dans lesquelles il faut inclure les biotechnologies, qui par essence traitent d’information et de communication, même si l’idée courante que l’on s’en fait renvoie plus à un téléphone qu’à une carte génétique), ces avancées technologiques aboutissant à la possibilité de constituer de nombreux réseaux de communication destinés à un grand nombre d’usages ;
– un changement des réglementations ou régulations, qui modifie le fonctionnement des marchés ;
– une globalisation économique et financière ;
– des phénomènes d’inter-renforcement de ces phénomènes par l’interaction de leurs dynamiques.
Une telle définition montre que la NE n’est pas qu’une révolution industrielle au sens technologique du terme. Néanmoins, les travaux concernant les révolutions industrielles passées montrent que si on a parfois retenu leur seul contenu technologique, le contexte institutionnel a joué un rôle majeur, voire générateur. En ce sens, une lecture par le schéma régulationniste de « régime de croissance » semble une bonne perspective. Comment expliquer l’émergence de la nouvelle économie ? Si on le fait, en tentant d’expliquer chacun des éléments de la définition, on verra effectivement que ces éléments sont liés, indispensables au concept et interagissants.
La NE est née de la conjonction d’évolutions technologiques, sociales, économiques et politiques. Il serait trop long ici de s’étendre sur ce point. On peut retrouver des filiations, parfois lointaines, parfois chaotiques. Quelques exemples pour fixer les idées : la dérégulation est née de la volonté politique ; Internet est né de la volonté des chercheurs de communiquer entre eux (même si l’armée américaine y est également pour quelque chose) ; le succès des services personnalisés, présentés comme le fer de lance du e-commerce, provient en grande partie d’une tendance à l’individualisation des modes de vie (qu’on ne manquera pas de rapprocher, avec raison, d’évolutions économiques ou politiques).
Et ces éléments interagissent pour se renforcer. En quelques mots, les technologies impliquées, dématérialisées pour une grande part, sont caractérisées par des coûts fixes élevés et une grande incertitude quant à leur rentabilité. En ce sens, la globalisation, parce qu’elle permet d’étendre les marchés et les possibilités de couverture des coûts fixes est un moteur de l’innovation technologique. Mais qui dit globalisation, dit remise en cause des structures réglementaires des marchés. Cette remise en cause, qui se traduit par une concurrence accrue (même en supposant qu’elle soit de type oligopolistique), conduit à rechercher les conditions de production les plus favorables, ce qui renforce encore la globalisation, dans le sens d’une organisation de la production au niveau mondial. On a parlé de l’incertitude inhérente à l’innovation. Elle suppose des modalités de financement particulières (voir l’importance du capital-risque dans la net-économie par exemple). Or, il s’avère que la globalisation financière, au sens où elle permet à la fois une intégration du marché mondiaux des capitaux et une spécialisation des opérateurs à grande échelle, favorise l’allocation du capital requise. Cette liste n’épuise pas les interactions possibles (peut-être même ne sont-elles pas les plus pertinentes), mais elle illustre la dynamique qui mène à définir ce concept, malgré tout nébuleux, de nouvelle économie.
Certains auteurs parlent de « paradigme des réseaux ». Confronté à la réalité actuelle des sociétés industrialisées, le concept de réseau peut être constitué en paradigme, sans que cette notion soit galvaudée. Il est vrai de ce point de vue, que l’on peut constater que les médias ne s’en sont pas saisi avec empressement. D’après les auteurs qui évoquent un tel paradigme ( essentiellement en dehors de la pensée économique stricto sensu, voir Manuel Castells, par exemple), à l’échelle des sociétés, le réseau joue un rôle de référence structurant les comportements, les habitudes et réflexes d’organisation, en raison du consensus qui semble se dessiner autour de leur utilisation dans de nombreuses pratiques sociales. Ni technologie, ni globalisation, ni État, la notion de société en réseau émerge de leurs interactions. Les risques de normativité associée à ce paradigme existent. D’autant plus que le concept n’est pas encore stabilisé. Cette approche a simplement pour but d’envisager un schéma de compréhension global, pas plus. Elle dépasse quoiqu’il en soit la science économique standard.