Une taxe Tobin est-elle envisageable ?
Rédacteur : Stéphane Ménia
La taxe Tobin, du nom du prix Nobel James Tobin, est une taxe qui devrait s’appliquer sur les mouvements de capitaux. Son but est de limiter les mouvements spéculatifs sur les marchés financiers internationaux. Son principe consiste à taxer très faiblement (entre 0,05% et 0,2%) les opérations de conversion de devises. Il s’agit de limiter les flux de capitaux spéculatifs qui peuvent déséquilibrer l’économie sans servir l’activité réelle. L’idée est qu’une telle taxe serait lourde à supporter pour les mouvements de capitaux purement spéculatifs, fréquents par définition, mais indolore pour les mouvements de change correspondant à des investissements de long terme (les IDE). De nombreuses objections ont été formulées à son sujet. Voyons lesquelles.
Tous les pays doivent l’instaurer (ou pas)
Tout d’abord, la critique la plus connue – mais pas la plus pertinente – est que si tous les pays n’instaurent pas une telle taxe, alors les capitaux fuiront les pays qui appliquent la taxe pour se réfugier dans ceux qui ne la pratiquent pas, assimilés à des “paradis fiscaux”. L’argument est discutable, dans la mesure où si un nombre suffisant de grands pays l’appliquent, il est loin d’être évident que les autres places financières soient en mesure d’accueillir tous les capitaux fuyant la taxe. D’autant plus que les (grands) pays appliquant la taxe seraient probablement en mesure de contraindre diplomatiquement les pays ne l’appliquant pas à limiter les entrées de capitaux.
Le risque d’un contournement
On peut craindre que les investisseurs trouvent un moyen de contourner la taxe, par des montages financiers plus ou moins légaux. Les capacités de l’ingénierie financière sont telles que c’est un risque à ne pas prendre à la légère.
On peut alors envisager de différencier réglementairement les mouvements selon leur nature pour limiter ce risque : opérations d’arbitrage, d’IDE ou de portefeuille. Cette solution est encore rendue complexe par les risques de contournement, comme la surfacturation des exportations ou la sous facturation des importations.
L’affaiblissement des “teneurs de marchés”
Sur les marchés financiers, la liquidité est largement assurée par les « teneurs de marché » (market makers). Ce sont les banques, agents de change etc. Ces intervenants, afin de limiter les variations des cours et assurer profondeur, arbitrage et liquidité du marché, se portent acquéreurs ou vendeurs de titres de façon répétée.
Certes, ils en tirent un profit. Néanmoins, ils sont un élément important de la stabilité des marchés et la taxe limiterait leur capacité à réaliser ces nombreuses opérations techniques qui assurent au quotidien un bon fonctionnement des marchés. C’est probablement là le risque principal : il est difficile de distinguer opérationnellement une « bonne » et une « mauvaise » spéculation.
Négliger ce risque conduirait alors à ne plus viser seulement la spéculation déstabilisante mais tout bonnement l’existence des marchés financiers. Ce qui n’est pas l’objectif de Tobin.
Autres considérations
Comment gérer la taxe ? Qui doit la percevoir ?
Certains projets de taxe de type Tobin (comme celui qu’avait formulé l’association ATTAC) visant à collecter des fonds pour financer le développement, par le biais d’une taxe Tobin, sont paradoxaux. En effet, le but d’une taxe de ce type est précisément de ne pas produire un rendement fiscal élevé, puisqu’on souhaite réduire sa base (comme les taxes sur les produits nocifs ou la pollution). Ainsi, soit la taxe échoue dans son objectif premier et produit des recettes fiscales élevées, soit elle l’atteint et ne produit pas de recettes fiscales conséquentes.