La nouvelle économie a-t-elle fait disparaître l’inflation ?
Rédacteur : Stéphane Ménia
On entend fréquemment dire que l’inflation n’existe plus dans le contexte de la nouvelle économie. Cette affirmation serait basée sur plusieurs explications. Examinons les successivement.
La mondialisation de l’économie accroît la concurrence et favorise ainsi de faibles hausses des prix. L’inflation mesure une hausse générale du niveau des prix. Or, ce que la mondialisation peut faire en redéfinissant les structures des marchés ne concerne pas ce niveau général. Pour preuve, en régime de changes flexibles, le taux d’inflation peut être durablement différent dans deux pays, sans pour autant que la compétitivité relative des entreprises soit modifiée. Par ailleurs, à supposer que cette explication soit exacte, on remarquera que les secteurs concernés par la concurrence internationale ne déterminent que pour une part les biens inclus dans l’indice des prix à la consommation et que la mondialisation est à ce jour encore limitée.
Les nouvelles caractéristiques des processus de production et du marché du travail, plus flexibles, favorisent une meilleure circulation de l’information et des ajustements plus rapides aux déséquilibres : activité et emploi s’ajustent plus vite que par le passé aux variation des prix et salaires ou l’inverse, réduisant ainsi les variations des taux d’inflation. C’est une hypothèse plausible, mais difficile à mesurer.
Le niveau et peut-être le taux de croissance de la production potentielle dans la nouvelle économie ont augmenté. Dans ce cas, l’inflation ou du moins son accélération sont d’autant moins probables que la production réelle n’aura que peu de chances de dépasser le plein emploi des capacités. Reste alors à confirmer cette hypothèse par une mesure adéquate de la production et de la croissance potentielle, mesure qui s’avère problématique.
Une vision de la question aux conséquences différentes est que l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation s’est réfugiée dans une inflation des actifs. La hausse des prix en tant que témoin d’un déséquilibre macroéconomique générateur de cycles, se mesure désormais par l’ampleur des bulles spéculatives. Primo, les actifs financiers en tant qu’élément du patrimoine des ménages déterminent leur consommation. Ils déterminent également l’investissement des entreprises, dans la mesure où la valeur de la firme a un effet sur celui-ci. Le cours des actifs financiers a donc une influence sur la demande globale. Mais ces deux effets sont généralement sujet à caution. Secundo, on considère plus souvent que c’est par le biais du crédit bancaire que l’inflation par les actifs a une influence sur le cycle économique. Les actifs détenus par les agents servent de garantie au crédit bancaire (voir les modèles de rationnement du crédit et de cycles financiers). Lorsque leurs cours sont élevés, l’obtention de crédits est facilité. Inversement lorsqu’ils sont bas. De sorte que les variations des prix d’actifs conditionnent les évolutions de l’investissement et de la consommation. Ainsi, dans cette logique, l’inflation a disparu de l’indice des prix à la consommation, mais ses effets déséquilibrants sont toujours présents au travers des variations des cours boursiers.
Il ressort de ce rapide survol que :
– la nouvelle économie en soi n’exclut pas la possibilité d’une inflation au sens traditionnel, dans la mesure où les mécanismes macroéconomiques usuels reliant demande globale et inflation n’ont aucune raison d’être remis en cause. Tout au plus, sont-ils accélérés par un fonctionnement plus fluide des marchés;
– si on accepte néanmoins l’hypothèse selon laquelle la nouvelle économie se caractérise par un contexte structurel favorisant une faible inflation, les outils de la théorie économique (et la pratique standard de la politique monétaire) ne sont pas remis en cause. Un nouveau contexte donne simplement de nouvelles valeurs à certains paramètres du ou des modèles utilisés (le PIB potentiel par exemple), sans en bouleverser la structure;
– le rôle des banques centrales est prépondérant dans tous les cas. D’une part, c’est très probablement du côté des politiques de désinflation menées depuis les années 1980 qu’il faut chercher l’origine de la faible inflation des années 1990 et non en se tournant vers la nouvelle économie. Si la pratique des politiques monétaires venait à se modifier dans le sens d’une grande détente monétaire, l’inflation réapparaîtrait. D’autre part, si l’inflation par les actifs est un repère pertinent (ce qui est très probable), alors la fonction prudentielle des banques centrales devient essentielle.