La question et sa réponse

Quels sont les fondements du traitement des ententes verticales par les politiques de la concurrence ?

Rédacteur : Stéphane Ménia

Principe

Les ententes verticales sont des accords passés entre producteurs et distributeurs, définissant des conditions restrictives de distribution des biens ou services.

Typologie des ententes verticales :
– Quotas d’achat : le distributeur s’engage sur un volume d’achat auprès du producteur.
– Segmentation de la clientèle : les distributeurs se voient attribués des clientèles spécifiques (ex : particuliers ou professionnels).
– Exclusivité territoriale : le distributeur est le seul à distribuer le bien sur un territoire donné (ex : concessions automobiles).
– Exclusivité d’approvisionnement : le distributeur ne s’approvisionne que chez un producteur.
– Prix de revente imposé : le producteur fixe le prix de revente du distributeur.
– Achats liés : le producteur impose au distributeur l’achat de plusieurs produits d’une gamme.
– Distribution sélective : le producteur ne vend qu’à un nombre limité de distributeurs. Un cas extrême est la distribution exclusive.

Pourquoi les entreprises réalisent-elles des ententes verticales ? Deux arguments s’opposent. Dans la vision structuraliste, l’entente verticale a pour but de renforcer un pouvoir de marché. Dans l’optique de l’école de Chicago, l’entente verticale est un choix qui peut améliorer l’efficience.
En pratique, selon les situations, l’une ou l’autre des visions peut être pertinente. De ce fait, les autorités de la concurrence applique le principe de la règle de raison (au cas par cas) pour traiter les questions d’ententes verticales.

Ententes verticales et recherche de pouvoir de marché

Certaines restrictions verticales peuvent favoriser une discrimination par les prix en empêchant les distributeurs de servir tous les clients. Il en résulte des prix plus élevés dans les zones géographiques où l’élasticité de la demande est plus faible, même si un autre distributeur aurait pu pratiquer des prix plus faibles.
Exemple : dans l’automobile, des constructeurs européens ont cherché à limiter les ventes de distributeurs nationaux dans d’autres pays de l’UE.

La volonté de forclusion du marché (la limitation des possibilités d’interaction entre acheteurs et vendeurs) peut être le motif de mise en place de restrictions verticales. La distribution exclusive crée par exemple une barrière à l’entrée pour les concurrents du producteur. Incapable de trouver suffisamment de distributeurs, un entrant potentiel peut renoncer à produire pour le marché.

Enfin, la fixation d’un prix de revente imposé peut être interprété comme un moyen pour des firmes formant un cartel de contrôler la stabilité de leur collusion. Un tricheur ne pourra tirer partie d’une baisse de prix aux distributeurs, puisque ceux-ci ne pourront répercuter cela sur les clients, laissant les volumes de vente inchangés.

Ententes verticales et amélioration de l’efficience

Les restrictions verticales peuvent cependant relever de choix socialement optimaux.

On peut ainsi montrer que les ententes verticales peuvent conduire à une réduction des prix dans la mesure où, sans elles, le producteur et le distributeur ne coordonnent pas leurs décisions pour fixer leurs prix, se comportant chacun comme un monopole. Lorsqu’ils s’entendent, leur comportement conduit à servir un plus grand nombre de clients à des prix plus faibles.
Lorsque producteur et distributeur ont un pouvoir de marché sur leurs marchés respectifs et agissent indépendamment, ils génèrent chacun un profit de monopole, par le biais d’une double marge. Le producteur réalise son calcul de maximisation sans tenir compte du comportement du distributeur sur le marché final. Or, ce comportement dépend de celui du producteur. Cette double marge peut simultanément conduire à une réduction du surplus des consommateurs et des profits, justifiant doublement une entente verticale.
L’idée est que lorsque le producteur fixe un prix de monopole au distributeur, celui-ci accroît son prix pour le client final, ce qui réduit sa demande et finalement réduit aussi la marge du producteur. Les deux auraient intérêt à s’entendre pour fixer conjointement le prix, pour pratiquer un prix final plus élevé qu’en concurrence, tout en conservant un volume de ventes important.
Le producteur a intérêt à limiter le pouvoir de monopole dans la distribution, dans la mesure où il profite au distributeur mais pas à lui.
Dans ces conditions, la fixation d’un prix maximal de revente pour le distributeur permet des ventes plus élevées. A l’inverse, le producteur peut imposer des quotas de ventes au distributeur. Pour écouler ce quota, le distributeur doit pratiquer des prix plus bas qu’en l’absence de quotas. Enfin, un système de franchise où les produits sont vendus par le producteur au coût marginal, mais à la condition que le distributeur paie une cotisation, permet de réduire la distorsion du double monopole, tout en réalisant un profit positif.

Les ententes verticales peuvent aussi avoir un effet positif sur la qualité de service au client final. Par exemple, en imposant un prix de revente minimal, les producteurs permettent aux distributeurs de ne pas se livrer à une guerre des prix, dégageant ainsi des ressources pour apporter un service de conseil de meilleure qualité aux clients dans des secteurs où cela est nécessaire. Or, ce service a une valeur réelle, mais il ne peut être financé si les prix sont au niveau concurrentiel. Le service est coûteux et peut, de plus, bénéficier aux concurrents. Le risque est alors que chaque concurrent espère que les autres financera le service. Au final, personne ne le finance, alors qu’il accroîtrait la demande pour tous.

Un problème identique se pose en matière de publicité. La publicité aide à vendre, dans sa fonction informative (faire connaître l’existence d’un bien, ses caractéristiques, son prix, etc.). Mais si un distributeur vend deux produits proches ou identiques, celui qui fait de la publicité risque d’attirer les clients chez le distributeur et les voir néanmoins acheter le produit du concurrent (qui n’a pas fait de publicité). De sorte que personne ne fera de publicité. La vente sélective, voire exclusive peut résoudre ce problème.

La distribution sélective ou exclusive permet aussi aux producteurs de s’assurer que le distributeur ménage son image de marque, dans des domaines où elle est capitale (voir le luxe).

Conclusion

Les autorités de la concurrence ont donc une approche économique au cas par cas des ententes verticales. Elles acceptent les ententes verticales qui améliorent la production et la distribution des produits, encouragent le progrès technique. Il faut néanmoins que les consommateurs en tirent un profit et que ces ententes soient nécessaires et n’éliminent pas la concurrence.

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