La question et sa réponse

Comment l’analyse économique justifie-t-elle les politiques publiques ?

Rédacteur : Stéphane Ménia

On peut distinguer plusieurs motifs d’intervention de l’État dans l’économie, reprenant les dimensions d’allocation et de stabilisation mises en avant par Richard Musgrave dans sa typologie des interventions de l’État.

Corriger des défaillances de marché

La fonction d’allocation est justifiée par les défaillances du marché. Une défaillance de marché est une situation où le premier théorème du bien-être n’est plus respecté : l’équilibre de marché ne conduit plus à un optimum de Pareto. On distingue plusieurs formes de défaillances de marché.

La concurrence imparfaite

Lorsque les entreprises ont un pouvoir de marché, le bien-être social n’est plus maximum. Cela correspond à des situations de monopole, d’oligopole ou de concurrence monopolistique. Les échanges sur le marché se font à un prix supérieur à celui de la concurrence parfaite et les quantités échangées sont plus faibles.
L’État a donc vocation à intervenir pour limiter ce pouvoir de marché, notamment par le biais de la politique de la concurrence.
Un cas particulier est celui du monopole naturel. Il s’agit d’une structure de marché où le coût de production d’un bien est globalement inférieur si une seule entreprise réalise la production (le plus souvent, du fait de fortes économies d’échelle). Il est donc plus efficace qu’une seule entreprise réalise la production . La société dans son ensemble bénéficie ainsi des coûts de production unitaires les plus faibles possibles. Mais un monopole, naturel ou pas, ne fixe pas spontanément son prix au coût marginal.

L’État doit donc logiquement intervenir pour réguler le marché, en imposant un prix.
Il peut le faire en imposant un prix qui corresponde au coût marginal (ce qui engendre une perte pour le monopoleur) et en compensant les pertes du monopole par des subventions.
Une autre formule consiste à imposer au monopole une tarification non plus au coût marginal, mais au coût moyen, de sorte que la subvention devienne inutile. On perd néanmoins la correspondance entre prix et coût marginal et le prix est toujours supérieur au coût marginal. Dans les deux cas, on obtient un « optimum de second rang ». En fixant le prix au coût moyen, on est par définition plus au coût marginal. En subventionnant, on crée une distorsion sur d’autres marchés, du fait du financement de la subvention par un impôt.

Les asymétries d’information

Lorsque l’information n’est pas parfaite, l’équilibre de marché n’est pas Pareto optimal. L’asymétrie d’information implique que certaines informations sur les caractéristiques des biens échangés ou des co-échangistes n’est pas totalement disponible. Cela pose deux problèmes : l’antisélection et l’aléa moral.

L’antisélection apparaît quand la qualité des biens ou des autres agents n’est pas correctement évaluable.
L’aléa moral concerne l’incertitude sur le comportement qu’adoptera un co-contractant dans l’exécution d’un contrat. Il en résulte des échanges inefficaces, car prix et quantités ne sont pas fixés à leur niveau optimal.

Les asymétries d’information se rencontrent dans les domaines de la santé, de l’assurance, du crédit, du travail, etc. (voir encore cette page pour plus de détails).

L’État peut corriger ces défaillances du marché par une réglementation améliorant l’information des parties (réglementations comptables, obligation de certification, etc.) ou en se substituant aux acteurs privés (garanties de crédit, dépenses d’éducation, etc.).

Les biens publics et les externalités

On rappellera qu’un bien est public lorsqu’il est non rival et non exclusif et qu’il existe une externalité lorsque l’action d’un individu a des conséquences sur la satisfaction d’un autre individu. Il existe des externalités liées à la consommation et des externalités liées à la production. Certaines externalités sont positives, d’autres négatives.
Lorsqu’un bien est public, les comportements de passager clandestin font qu’il ne peut être produit par le marché.
Le marché ne donne pas un prix aux externalités. Il y a dissociation entre équilibre de marché et optimum social.

L’État peut intervenir pour financer les biens publics, taxer les externalités négatives ou subventionner les externalités positives, rétablir des marchés en redéfinissant des droits de propriété lorsque cela est possible.

La rationalité limitée des agents

La théorie néoclassique suppose que les agents sont rationnels. Ceci suppose qu’ils ont des objectifs bien définis et sont capables de prendre leurs décisions en évaluant toutes les options possibles et toutes les conséquences de leurs choix. Cette représentation n’est pas toujours réaliste et les individus ne sont pas toujours en mesure de prendre les meilleures décisions pour eux-mêmes. L’État peut les y aider.

Cette approche ne doit pas être confondue avec un paternalisme qui voudrait dire ce qui est bon pour les gens et faire leur bonheur contre leur gré. Une taxe sur le tabac n’entre pas, par exemple, dans la catégorie d’interventions évoquée ici.
Deux formes de défauts de rationalité peuvent être envisagés : les biais cognitifs et l’incohérence temporelle.
Lorsque l’environnement d’une décision est complexe, le cerveau humain n’a pas toujours la capacité à formuler un calcul cohérent et les individus prennent des décisions basées sur des représentations erronées. Ils ont par exemple tendance à surestimer des évènements dont la probabilité est très faible ou à faire des choix différents selon la façon dont les options possibles sont présentées . On parle alors de biais cognitifs.

L’État peut apporter une information destinée à guider les choix des agents.
Certains individus font des choix présents qui ne sont pas cohérents avec leurs aspirations de long terme. Les choix d’épargne relèvent fréquemment de cette logique. L’objectif des individus est de lisser leur consommation dans le temps, ce qui implique un certain niveau d’épargne. Mais on constate souvent une tendance à trop peu épargner. Il y a une incohérence dans le temps dans leurs choix (incohérence temporelle).

L’État peut les aider à adopter un comportement plus optimal en les contraignant à épargner pour leur retraite, par exemple. En matière d’éducation, les familles sous-estiment parfois les bénéfices de l’éducation (même si elles affirment le contraire). La scolarité gratuite et obligatoire aide à corriger ce biais.

La stabilisation conjoncturelle

Principe

Les politiques de stabilisation conjoncturelle visent à corriger la trajectoire de l’économie au cours du cycle. Elle repose sur la manipulation de la demande globale (consommation, investissement, dépenses publiques) pour modifier le PIB à court terme.

Lorsque la demande globale est élevée, la politique conjoncturelle doit réduire la demande ou réduire son rythme de croissance par le biais de la politique budgétaire et/ou monétaire pour éviter une hausse de l’inflation trop importante.

À l’inverse, lorsque la demande privée est faible, la politique économique soutient la demande globale. L’évolution du PIB est donc lissée au cours du temps.

Quelle est l’utilité de la stabilisation ?

De façon générale, les agents économiques préfèrent un environnement stable, qui n’évolue pas brutalement. Atténuer les effets du cycle est une façon d’y remédier.

En ce qui concerne les phases d’expansion, la crainte est que l’inflation ne dépasse un certain point où elle deviendrait très nocive, voire difficilement contrôlable (voir cette page au sujet des coûts de l’inflation).

Lors d’un cycle, il peut exister une asymétrie entre l’expansion et la récession. Comme le souligne Edmund Phelps, il y a de bonnes raisons de penser qu’une récession trop marquée coûte plus pour l’économie qu’une expansion trop marquée.
Les comportements des agents économiques peuvent prolonger une phase de récession et certaines conséquences de la récession peuvent avoir un impact irréversible sur la production potentielle (celle qui est réalisée si tous les facteurs disponibles sont utilisés).
Les économistes soulignent la possibilité qu’il existe des effets d’hystérèse et le justifient par les points suivants.

Une récession peut induire des comportements de précaution et de pessimisme durables qui ralentissent la reprise de l’investissement et de la consommation. Dans ce cas, même si l’économie revient sur un rythme de croissance normal, elle souffre d’un niveau de PIB plus faible de façon permanente, comparé à une évolution sans récession.

L’investissement non réalisé pendant la récession est perdu pour toujours en termes de stock de capital. Cela est vrai pour le capital privé comme public. Ceci est d’autant plus problématique que les investissements qui sont sacrifiés en premier lieu lors d’une récession sont ceux qui portent sur la connaissance (R&D en particulier). Or, ce sont les plus porteurs en termes de croissance. Le rythme de l’apprentissage par la pratique ou l’usage associé au capital physique est également réduit du fait de la baisse de l’investissement et ne sera jamais rattrapé.

Les faillites et leurs conséquences sont irrémédiables. Certains soulignent que les faillites ont un rôle positif en éliminant les firmes les moins productives. Mais ceci n’est vrai que si les firmes qui disparaissent étaient véritablement non rentables à long terme. Dans une récession où les rouages du crédit se grippent, certaines firmes solvables peuvent disparaître par manque de liquidités à court terme alors qu’elles auraient été rentables à plus long terme.

Lorsque la récession est forte et qu’elle dure, la durée moyenne du chômage s’allonge. Les travailleurs perdent progressivement leurs qualifications, la force de leurs réseaux sociaux professionnels et leur moral se dégrade. Les jeunes diplômés subissent une perte en capital humain irrémédiable , notamment en raison du déficit d’apprentissage par la pratique qu’ils subissent (ceci est vrai pour tous les travailleurs, mais est plus gênant encore pour les jeunes).
Tout ceci contribue à réduire les possibilités d’appariement sur le marché du travail. Même si l’activité repart, le chômage peut rester élevé. Un chômage initialement conjoncturel peut donc devenir structurel.
Par ailleurs, si les syndicats ont un pouvoir de négociation élevé, ils négocient seulement des hausses de salaire pour leurs membres (qualifiés d’insiders) et laissent de côté les préoccupations d’emploi des chômeurs (les outsiders). Cet argument a par exemple été mis en avant par Blanchard et Summers pour expliquer la hausse du chômage structurel en Europe dans les années 1980 .
D’autres (Laurence Ball) ont souligné que plus que l’effet du pouvoir de négociation, c’est le prolongement des politiques de désinflation qui ont pu transformer le chômage conjoncturel en chômage structurel.

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