75% d’imposition ?

François Hollande propose de fixer le taux marginal d’imposition du revenu à 75% pour les revenus supérieurs à 1 million d’euros. Vu ce que je lis ou entends, il faut d’abord préciser de quoi on parle. Ne seraient taxée à ce taux que la partie du revenu supérieure à ce seuil. En dessous, on applique des taux plus faibles. Donc, si vous gagnez 1 million et deux euros, vous ne paierez pas 750 001,50€ d’impôts. Seuls les 2€ dépassant le million seraient taxés à 75%.

Ensuite, Piketty dit fort justement que “les Etats-Unis, avait, de 1932 à 1980, un taux supérieur de l’impôt sur le revenu autour de 80%, et qui a dépassé 91% des années 40 aux années 60. (…) Cela n’a pas tué le dynamisme américain. L’immense majorité des cadres et des entrepreneurs n’étaient pas concernés…”. Il va dans le sens de ses travaux sur le sujet qui montrent que l’élasticité de l’offre de travail et de l’investissement des hauts revenus n’est pas aussi élevée qu’on pourrait le penser. En d’autres termes, des mesures comme le bouclier fiscal n’ont pas une grande efficacité économique.

Mais 75%, c’est élevé. D’abord, parce que le taux maximum actuel est de 41% et qu’il me semble brutal de passer à 75% partant de là. Les temps changent et ce que la Gauche devrait comprendre c’est que même les classes moyennes, pour diverses raisons, peuvent mal recevoir l’idée que les riches soient très taxés (notamment parce que si c’est le cas, il est ensuite difficile de se plaindre en trouvant un bouc-émissaire évident…). Ensuite, parce que quand on compare cela à d’autres pays, comme la Suède, peu suspecte de ne pas redistribuer et peu suspecte de manquer de dynamisme, 75% c’est élevé. Les Suédois sont à un taux maximum de 55%. Ne serait-il pas suffisant de se situer dans cette zone ? Enfin, Piketty souligne que pour la période mentionnée aux Etats-Unis, “A l’époque, la réforme de Roosevelt s’appliquait aux revenus supérieurs à 200 000 dollars, l’équivalent d’un ou 2 millions de dollars aujourd’hui.”. Ce qui fait tout de même 1 million d’euros de plus. Il ajoute cependant que ceci est “Similaire à la proposition de Hollande, qui concerne 80 à 90 % des hauts cadres dirigeants.”. Ce qui nous dit que 80 à 90% des hauts cadres dirigeants seraient concernés, mais ne nous dit pas qui d’autre (probablement pas grand monde, en fait).

En définitive, je ne pense pas que Hollande ou Piketty envisagent sérieusement un tel taux maximum. Piketty remarque que la mesure reste imprécise mais qu’elle va dans le bon sens. En effet, si rendre l’impôt sur le revenu plus progressif est une bonne mesure, alors cette annonce de campagne va dans le bon sens. C’est ainsi qu’il faut probablement le comprendre. Mais est-il nécessaire d’exagérer au risque de susciter des contre-arguments dévastateurs ?

Add : Un débat semble s’instaurer sur le fait que les niches fiscales et exemptions de tout ordre neutraliseront la mesure. Comme Hollande a plus ou moins promis de les supprimer, je partais de ce postulat. Cela ne veut pas dire qu’il se réaliserait en cas d’élection du candidat PS. Notez que Piketty est très clair sur ce point, il faut les supprimer. Quand il demande des précisions sur le projet fiscal de Hollande, on peut penser que c’est à cela qu’il fait référence. Mais la ficelle des niches est grosse et je pense que c’est plutôt le taux de 75% qui ne verra jamais le jour.

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13 Commentaires

  1. Petite remarque par rapport à la brutalité de passer de 41% à 75 : je n’ai pas les chiffres, mais je ne pense pas que le choc fut plus doux lorsque Roosevelt a imposé les 92%… Savez-vous de quel taux il partait ?

  2. A noter que le projet PS prévoyait déjà une tranche supplémentaire à 45% à partir de 150 000€, qui permettrait de lever 400M€ selon revolutionfiscale.fr soit 2 fois plus la tranche annoncée à 75%.
    Je ne suis pas particulièrement choqué par cette annonce, mais elle me semble maladroite à plusieurs endroits. Selon Saez et Diamond, dans leur fameux papier, le haut de la courbe de laffer est atteint autour d’un taux marginal de 70%. Bien que cela soit dans le cas nord-américain, cette tranche, si on y ajoute la CSG, est bien au dessus et serait donc légèrement contre-productive. Une tranche à 50% à partir de 300 000€ lèverait autant et serait beaucoup mieux acceptée, j’imagine.
    Après, je vous rejoint. Il s’agit bien entendu d’un effet d’annonce destiné à faire le buzz pour faire parler alors que Nicolas Sarkozy accaparait l’attention ces derniers jours. On doit s’attendre à une version révisée et plus sage prochainement

  3. En même temps que les revenus du travail étaient imposés à 90%, les plus-values l’étaient à 25%
    en.wikipedia.org/wiki/Cap…

    Sans doute François Hollande veut-il faire ainsi… Et laisser une possibilité d’arbitrage que s’empresseront d’utiliser les personnes visées.

  4. Les taux cités sont généralement faux (en.wikipedia.org/wiki/Inc… mais je crois que vous êtes tout de même les premiers à indiquer les fourchettes à partir desquelles ces taux s’appliquaient (non pas l’équivalent "d’un ou deux" millions, mais de 2.5 à 2.75, sans même évoquer la fourchette de la période précédente, équivalente à plus de 75 millions de dollars). Cela étant, pour ainsi dire personne aux Etats-Unis n’a jamais payé ces taux exorbitants, les fortunes susceptibles d’y être sujettes bénéficiant généralement d’une palanquée d’exonérations et autres niches (les estimations sur le taux effectif sur la même période oscillent entre 20 et 30 % sur l’ensemble des revenus).

  5. Quand on regarde le site du candidat Hollande, on réalise qu’il réagit aux salaires du Cac 2010, et à des rémunérations essentiellement boostées par les stock options. Supprimons les au dessus d’un certain seuil de chiffre d’affaires et arrêtons ces calembredaines

  6. Je trouve que cette proposition de Hollande est à l’image de la politique fiscale en France : pour montrer au peuple qu’on augmente les taxes pour les riches, on augmente les taux nominaux, mais comme on ne touche pas aux multiples exonérations, abattements et niches fiscales existantes, les gens bien conseillés peuvent facilement y échapper. Et dans la tranche à 1M€/an, tout le monde a un conseiller fiscal, ce qui explique que le taux réel d’imposition décroît au-delà d’un certain niveau de revenu…

    Il va donc y avoir quelques personnes qui paieront plus, parce qu’elles se trouvent dans des situations ne leur permettant pas d’optimiser leur fiscalité, et l’immense majorité trouvera un moyen d’échapper partiellement ou totalement à la hausse. Déjà, tous ceux qui tirent leurs revenus de dividendes d’action ne seront pas touchés, grâce au prélèvement forfaitaire obligatoire !

    Rien qu’à mon petit niveau, je ne paie que 20% du taux nominal sur mes revenus d’une location meublée, alors que je paie 100% du taux nominal sur mes revenus salariés.

    Le problème aujourd’hui n’est donc pas le taux nominal d’imposition : si on ne le change pas mais qu’on supprime toutes les réductions disponibles aujourd’hui, ce sera beaucoup plus efficace !

  7. Je trouve au contraire qu’avec cette proposition clivante, Hollande change de maniere appreciable les termes du debat. Le sujet, ce sont les remunerations absurdes octroyees aux cadres dirigeants sans reelle contrepartie ni de prise de risque ni de performance. Un patron d’entreprise est en general quelqu’un qui, par son sens politique, a su gravir les echelons et se faire adouber. Cela n’a rien a voir avec l’enrichissement legitime de l’entrepreneur qui a pris des risques personnels et surtout cela induit des comportements aberrants et contre-productifs, comme de multiples exemples peuvent en attester. Si les "classes moyennes" se chagrinent d’un tel taux d’imposition pour les super-riches, alors elles meritent une reelection de Sarkozy qui les tondra avec plaisir en renforcant les exonerations a destination des vrais riches dont elles s’imaginent chimeriquement etre proches (ou en tout cas plus proches que des pauvres.

  8. LD a dit : "pour ainsi dire personne aux Etats-Unis n’a jamais payé ces taux exorbitants"

    Charles Gave vient en effet de le rappeler récemment :
    http://www.atlantico.fr/decrypta...
    "Il ne faut pas confondre le taux d’imposition marginal décrit par la loi et le taux d’imposition effectif des gens qui prennent des risques. Sous Eisenhower les riches étaient en réalité taxés à 28 % en raison de l’ensemble de leurs avantages fiscaux.
    Par exemple si vous achetiez une maison, vous pouviez déduire la totalité des intérêts. Si vous déclariez tous vos revenus comme un revenu salarié vous pouviez certes être imposé à 91% mais personne ne déclarait cela. Il s’agit d’une des grandes légendes urbaines de la gauche. JP Morgan a fait des études là-dessus, en reprenant le taux d’inflation, en prenant les revenus des gens qui payent beaucoup d’impôts aux Etats Unis et en observant le taux d’imposition ce qu’ils auraient dû payer et de ce qu’ils versaient en réalité. Les déductions fiscales en tous genres leur permettaient de ne payer que 20 ou 30% d’impôts."

  9. Encore une fois, le coup est bien joué pour Hollande mais aussi pour la droite. Hollande montre qu’il veut taper sur les riches (ou fait mine de) et comme la plupart des gens n’ont rien compris au calcul de l’impôt, la droite arrive à faire croire aux gens que les riches vont devoir travailler 9 mois pour l’état avant de pouvoir acheter leur plat de pâtes (au Fouquet’s quand même). On fait semblant de cliver tout en sachant pertinemment de chaque côté que ça ne changera pas grand-chose. S’ensuive l’enchaînement habituel de la fuite des riches entrepreneurs qui créent des emplois (sic !), les stars de la chanson qui viennent pleurer sur la spoliation horrible qui leur est faite (le tout entre une sortie sur les méchants téléchargeurs qui les ruinent et une larmichette pour les restos du cœur), qqs conseillers fiscalistes suisses qui se déclarent super contents de cette annonce et une nouveauté cette année : les entraineurs de foot qui viennent pleurer sur l’avenir de la Ligue 1 qui pourtant n’a pas attendu ce genre de mesure pour ne pas être passionnante.

  10. La comparaison avec les US des années 40 à 60 n’a aucun sens. A l’époque il n’y avait pas de concurrence fiscale entre états, pas d’expatriation des "riches" (transports moins développés et plus couteux, critère prépondérant de la stabilité politique, très faible maitrise des langues étrangères)

  11. On discute un peu sur du vent. Une petite phrase, visiblement non préparée d’un candidat – qui sera vraisemblablement président – sur un plateau de télé.

    En 2007 le même, qui n’était pas candidat, en avait eu une autre sur le même sujet et encore moins chiffré. Le fameux « Je n’aime pas les riches ». C’est d’ailleurs quasiment la seule information que l’on peut déduire de ce taux à 75 % pour ce qui gagne plus d’un millions par mois… heu par an.

    Bon, mais allez prenons là pour argent comptant. Combien sont-ils à gagner plus d’un million par an ? ici : http://www.inegalites.fr/spip.ph... on apprend que le seuil des revenus pour faire partie des 0,01 % est à 730 K€ ;

    Ils sont autour de 2000. Finalement, on se retrouve avec le mythe des 200 familles. Avec une différence notable. Les seuls qui ne pourront pas échapper à la mesure – si elle est vraiment instaurée – sont les riches « méritants » au sens Hollandais du terme. C’est-à-dire ceux qui tirent l’essentiel de leur revenu de leur qualités propres : joueurs de foot, patrons – sans part dans le capital – de grosse boite, artistes.

    Les rentiers, ou les détenteurs de capitaux seront à l’abri de ce taux : Ils leur suffit de loger leurs revenus dans une structure juridique – pour les plus courageux de droit Français – qui leur versera l’argent de poche nécessaire à leurs dépenses quotidiennes.

    Ce qui est affligeant dans le débat actuel, bien plus que les faux chiffres que vous dénonciez dans un billet précédent, c’est qu’il se fait sur des mythes qui n’ont plus aucunes prises sur la réalité.

  12. @1 : "Petite remarque par rapport à la brutalité de passer de 41% à 75 : je n’ai pas les chiffres, mais je ne pense pas que le choc fut plus doux lorsque Roosevelt a imposé les 92%… Savez-vous de quel taux il partait ?"

    Wikipedia vous donne la réponse :
    en.wikipedia.org/wiki/Inc…

    1932 -> 63%
    1936 -> 79%
    1941 -> 81%
    1942 -> 88%
    1944 -> 94%

    A partir de 41, il se passait un truc qu’on appelle a seconde guerre mondiale, je pense que ça permet de justifier pas mal de mesures impopulaires du point de vue fiscal 🙂

    Le vrai décollage est celui de 1932, avec un passage de 25 à 63 % (pendant la 1e GM, il y a eu des taux élevés, mais manifestement perçus comme transitoires pour financer l’effort de guerre).

  13. Ben moi, ce qui m’étonne surtout c’est l’incohérence de cette proposition faite à la télé avec une autre proposition faite quelques minutes plus tôt dans la même émission : le rappochement de la CSG et de l’IRPP d’ici la fin du mandat. Ce ne serait donc qu’une mesure transitoire avant la mise en place de l’impôt prélevé à la source sur l’assiette de la CSG ? La CSG va passer à 75% au delà du million annuel ?

    Sinon, je pense au contraire que Piketty (et Saez) envisage très sérieusement une tranche à 75% ou plus. Et il a de très bons arguments à faire valoir. http://www.voxeu.org/index.php?q...

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