Un peu d’économie sur l’élection américaine

Le paradoxe du vote est la version économico-électorale du paradoxe du tas : si vous enlevez un caillou d’un tas de cailloux, le tas reste un tas; si vous en rajoutez un, aussi. Si vous rajoutez un caillou à quelques cailloux épars sur le sol, cela reste quelques cailloux épars sur le sol. De même si vous en enlevez un. Un caillou donné ne change rien à la nature du résultat – tas de cailloux ou non-tas de cailloux.

Si vous remplacez un caillou par un bulletin de vote, il apparaît qu’un bulletin de vote ne change rien au résultat. pourquoi alors les gens vont-ils voter? Selon Steven Landsburg, ils ne devraient pas. Selon le mathématicien Jordan Ellenberg, en réponse à Landsburg, ils ont raison car ils peuvent en fait influencer le résultat du vote. T. Cowen de Marginal Revolution fait un point sur la question du “paradoxe du vote” et fournit son explication de la raison pour laquelle les gens votent. Son explication est intéressante, mais fait l’impasse sur les résultats obtenus par Kahneman et Tsversky sur le sujet, montrant que les gens déclarent aller voter parce qu’ils considèrent que s’ils prennent la décision d’aller voter, d’autres personnes comme eux (avec les mêmes idées politiques) iront voter aussi, ce qui donne plus de poids à leur décision de voter : je vais voter parce que “j’influence” les autres électeurs. Dans cette perspective, Kahneman et Tsversky ont même constaté que les électeurs du matin pensent avoir en moyenne plus d’influence que les électeurs du soir, ce qui offre une certaine cohérence dans un argument justificatif qui paraît totalement irrationnel (comment ma décision peut-elle influer sur celle des autres?).
Cet argument est-il si irrationnel? Pas si l’on considère que les gens agissent aussi vis à vis de leur entourage. Combien de gens appartenant à des milieux socio-politiques proches des démocrates se sont-ils senti coupables, lors de diners, d’avoir renoncé à aller voter en 2000 en discutant avec leurs amis? Si j’appartiens à un milieu qui va voter et que je n’y vais pas, je risque de me sentir exclu.
On peut y ajouter la dimension patriotique, le sentiment d’appartenance à une communauté nationale, liée au vote. Tous ces éléments font du vote un choix faisant interagir les individus d’une façon qui laisse à l’économie quelques découvertes à faire pour enrichir le modèle de l’acteur rationnel.
Comment prédire le résultat des élections? Les sondages laissent tout le monde dans l’expectative. Le mécanisme de marché est-il plus efficace? Il existe un marché des futures permettant de jouer de l’argent en faisant un pronostic. Ce marché a donné Bush gagnant pendant très longtemps; mais la nuit dernière, Bush est passé sous Kerry. Ce marché est-il efficient? son pronostic est-il fiable?
Des modèles économétriques fondés sur différentes variables visent à prédire le résultat du vote. Malheureusement, les modèles qui fonctionnent le mieux se sont lourdement trompés au cours des dernières élections.
Si vous ne croyez pas à tout cela, il restera le football américain, un indicateur qui a fonctionné depuis 70 ans, qui pronostique une victoire de Kerry.

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Alexandre Delaigue

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